Benoit-et-moi 2017
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Liturgie: retour vers les années 70

A propos de la lettre du Pape au cardinal Sarah, une interview d'un liturgiste laïc sur le site <LifeSite News>. Avec une introduction du P. Scalese (26/10/2017)

Patrick Bouchitay dans "La vie est un long fleuve tranquille"...

Sous le titre "La balkanisation de la liturgie" , le Père Scalese, interpelé par des lecteurs à propos de la lettre du Pape au cardinal Sarah, confie qu'il préfère s'abstenir pour le moment de tout commentaire (il est permis d'imaginer ses raisons...). Il renvoie à un article qu'il a écrit récemment à propos du Motu Proprio "Magnum Principium", ajoutant:

L'intervention pontificale inhabituelle ne fait que confirmer mon interprétation du Motu proprio, qui différait de celle des sempiternels "bien informés", lesquels, à l'époque, essayaient de minimiser la portée du document. Il me semble utile de mettre à la disposition de tout le monde (..) une interview sur le sujet du Dr Peter Kwasniewski du Wyoming Catholic College, publiée hier sur le site internet <LifeSite>.

La réforme liturgique du Pape risque de ramener l'Eglise en arrière vers les années 70

24 octobre 2017
www.lifesitenews.com
Ma traduction

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Quelles pourraient être les répercussions de la lettre publique du Pape François au Cardinal Robert Sarah, le liturgiste en chef du Vatican, le corrigeant pour avoir cherché à freiner la nouvelle décentralisation liturgique du Pape?

Pour mieux comprendre la signification et l'impact potentiel de la lettre du Pape au cardinal, nous nous sommes entretenus avec le Dr Peter Kwasniewski, écrivain prolifique et conférencier international sur la liturgie, et aussi chanteur, chef d'orchestre et compositeur de musique sacrée.

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LifeSite: Docteur Kwasniewski, quel est selon vous l'aspect le plus important de la lettre du Pape François au Cardinal Sarah?

Dr Kwasniewski: L'aspect le plus important est de loin l'abandon plutôt brutal des dispositions clés de Liturgiam Authenticam, qui était le fruit de plusieurs années de réponse à d'énormes difficultés et erreurs dans de nombreuses traductions vernaculaires. La traduction originale par l'ICEL (International Commission on English in the Liturgy) du Missel romain et d'autres livres était une parodie pathétique des textes sources et a entraîné l'enracinement de nombreuses mauvaises habitudes mentales et liturgiques. Le processus qui a conduit à la nouvelle traduction anglaise, bien qu'elle ne soit certainement pas parfaite sous un certain nombre d'aspect, assurait au moins une correspondance de fond avec la lex orandi - la loi de la prière. Je remarque encore en assistant à la Messe Novus Ordo combien les textes sont plus riches et plus catholiques, malgré leurs défauts résiduels par rapport au Missel romain traditionnel. Dans la lettre du Pape au Cardinal Sarah, il est clair que les principes pour lesquels Wojtyla et Ratzinger se sont battus sont retirés ou mis à l'écart pour que nous puissions remonter aux années 1970 - "toujours en arrière, jamais en avant" semble être la devise des progressistes liturgiques, qui sont restés nostalgiquement coincés dans une certaine mentalité "esprit de Vatican II" et sont incapables d'aller au-delà de l'agenda étroit qui caractérise cette phase.

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Q: Pouvez-vous expliquer aux lecteurs quels principes de Liturgiam Authenticam ont été modifiés?

R: Liturgiam Authenticam semble avoir été une tentative de mettre un terme à la balkanisation et à la banalisation du culte qui avait pris le dessus dans presque toutes les langues, la beauté exaltée des textes liturgiques étant réduite à la caricature de dessins animés (par exemple, "il prit la coupe" au lieu de "il prit ce précieux calice dans ses mains saintes et vénérables"). Liturgiam Authenticam soutenait qu'il était absolument nécessaire que le Saint-Siège conserve le contrôle ultime de la traduction des livres liturgiques, et que la révision finale des textes devait revenir au Vatican, avec l'autorité de modifier les textes. Magnum Principium et cette nouvelle clarification sont un renversement de ce changement de cap, attendu depuis longtemps.

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Q: Comme l'Eglise prie, elle croit. Quels effets à long terme ces changements pourraient-ils avoir sur la foi des gens?

R: Lorsque nous voyons l'expression "adaptations légitimes", nous devrions la reconnaître comme langage codé pour l'inculturation expérimentale qui brise l'unité de fond du rite romain. En réalité, cela a déjà été fait par les centaines de traductions vernaculaires déjà existantes ainsi que par la pléthore d'options dans les nouveaux livres liturgiques, mais nous assistons récemment à une accélération du régionalisme et du pluralisme.
Les conférences épiscopales ont déjà beaucoup trop de pouvoir, ce qui a réduit le rôle et la responsabilité des évêques individuels et du pape. Ce n'est pas conforme au principe de subsidiarité parce que chaque évêque est souverain dans son diocèse, et le pape est souverain sur toute l'Église; les conférences épiscopales sont de simples mécanismes bureaucratiques qui n'ont pas de fonction, d'autorité ou de responsabilité inhérente. On pourrait les comparer à la différence entre les différentes nations souveraines et les Nations Unies. Déjà au Concile Vatican II, lorsque certains des Pères ont exprimé le désir qu'une autorité plus grande, indépendante de Rome, soit investie dans les épiscopats nationaux, d'autres Pères ont répliqué avec force, affirmant que cela fragmenterait l'Église dans ses expressions de la foi.
Plus en profondeur, la remise en question de Liturgiam Authenticam (n. 80, en particulier) est une continuation de la nouvelle explication donnée par le Pape sur le développement doctrinal, où il met de côté le principe éternel de saint Vincent de Lérins, souvent cité par les Papes précédents, selon lequel chaque fois que quelque chose de nouveau est dit - et nous pourrions considérer qu'une traduction liturgique est une chose nouvelle qui est dite - cela devrait toujours être in eodem dogmate, eodem sensu, eademque sententia - càd exprimant la même doctrine, le même sens, le même jugement. Ce n'est pas du tout la façon dont les progressistes voient les définitions dogmatiques, les enseignements moraux ou les textes liturgiques. Tous ces éléments, pour eux, sont en permanence adaptables, changeants, voire contradictoires, en fonction du soi-disant "progrès" de la société, de la culture et de la mentalité.
C'est un point de vue intrinsèquement évolutionniste, débiteur de Hegel et Darwin, où l'on peut faire une volaille d'un poisson. Que cela soit vrai ou non pour le monde naturel, on n'a jamais cru que ce l'était pour la sainte doctrine.

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Q: Dr Kwasniewski, vous avez beaucoup écrit sur les retombées liturgiques de Vatican II. Quelles pourraient être, selon vous, les répercussions de la lettre du Pape et de son contenu?

R: Invoquer la "compréhension du texte [liturgique] par les destinataires" risque de réintroduire le genre de rationalisme qui a fait de la liturgie catholique un terrain vague. La liturgie, en tant que mystère divin et oeuvre de Dieu parmi nous, ne peut être comprise par aucun homme ni même par aucun ange. Il y a différentes voies VERS la liturgie, à travers les cinq sens et l'intellect, et bien sûr, elle doit offrir aux fidèles des "poignées" qu'ils peuvent saisir pour suivre les rites en cours. Mais une liturgie qui se veut simple et immédiate est vouée à l'appauvrissement, à la superficialité et à l'ennui. Il n'y a rien qui puisse fasciner, déconcerter, stimuler ou récompenser le participant. Dans la liturgie, nous aspirons à endosser l'esprit du Christ, ce qui est un travail de toute une vie. Nous devons passer à travers les ténèbres et la lumière, les idées et les sentiments, le silence, le vide, l'autodiscipline, la souffrance, soutenus par les riches ressources de notre tradition vieille de 2000 ans. La réduction de la liturgie à une chose normale, horizontale, ordonnée et de "compréhension" facile est la grande erreur et le fléau des 50 dernières années.
D'un autre côté, certains prétendent - et je ne sais pas dans quelle mesure leur revendication est fondée - que le nouveau processus mis en place par le Pape François rendra plus difficile d'obtenir une nouvelle traduction, car cela requerra le consentement unanime d'une conférence épiscopale toute entière, au lieu d'être aux mains d'un comité directeur travaillant en tandem avec la Congrégation pour le Culte Divin pour obtenir l'approbation de cette dernière. Si c'est vrai, cela rendra le changement local plus difficile, ce qui est probablement une bonne chose à ce stade. (..) Je ne pense pas que nous verrons des changements tout de suite. Le vrai sujet de préoccupation, me semble-t-il, est qu'il s'agit d'un élément de plus dans une campagne plus vaste pour défaire le travail de réforme de Jean-Paul II et de Benoît XVI, qui était, à bien des égards, trop peu important et trop tardif, mais qui fait néanmoins l'objet d'une haine acharnée de la part de ceux qui n'ont jamais pu tolérer le "conservatisme" ou même le "traditionalisme" de Wojtyla et Ratzinger.

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Q: Y a-t-il autre chose que vous aimeriez ajouter?

R: Il semble qu'il y a quelque chose d'important qui doit être dit. Comme vous le savez, le Cardinal Marx a dit que Magnum Principium libère les conférences épiscopales et fait de Liturgiam Authenticam une lettre morte. Le Cardinal Sarah n'était pas d'accord avec Marx sur ce point - et maintenant le Pape François transmet le signal qu'il prend le parti de Marx plutôt que celui de Sarah, tout comme il a soutenu la position du Cardinal Kasper sur la communion pour les divorcés et les remariés. De cette façon, le Pape illustre constamment qu'il se tient fondamentalement aux côtés de la hiérarchie allemande, considérée comme l'une des plus libérales du monde, sur les questions brûlantes du moment.