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L'ordre ne règne pas à Malte.

Derniers développements, par Giuseppe Rusconi (qui a assisté à la conférence de presse de Boeslager) et Riccardo Cascioli. Mise à jour (9/2/2017)

>>> Dossier Ordre de Malte (en particulier, les deux précédent articles de Riccardo Cascioli: Malte: double jeu, avec le card. Burke? et
Ordre de Malte: une autre pièce du puzzle)

>>> Ci-contre: le Grand Chancelier réintégré, Albrecht von Boeselager.

Les affaires de l'Ordre Malte englobent de nombreuses questions qui sont paradigmatiques pour l'Eglise toute entière.
La première est la question de savoir qui commande vraiment.

Giuseppe Rusconi

Ordre de Malte: comment je t'éduque la presse étrangère.
Attaque contre Trump

www.rossoporpora.org
3 février 2017

Jeudi, 2 Février dans l'après-midi, le Bureau de la Presse Étrangère à Rome a accueilli la conférence de presse post-Anschluss de l'ordre de Malte. Premier rôle? Albrecht Freiherr von Boeselager, le chancelier remis en selle par Sainte Marthe - "Légalité restaurée" - Dans l'introduction de von Boeselager une violente attaque contre Trump (pour commencer) pour sa politique des migrants.

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Il y a trois jours, voilà l'annonce sur le tableau d'affichage de la Presse Étrangère de Rome: «Jeudi 2 Février, conférence de presse de l'Ordre de Malte sur le thème: "Les priorités du gouvernement de l'Ordre de Malte". Interviendront Albrecht Boeselager, Grand Chancelier et Mauro Casinghini, directeur du Corps de Secours de l'Ordre de Malte italien».
Comment ... même pas le temps de se réinstaller et déjà von Boeselager vient à la Presse Étrangère pour une conférence de presse? Pourquoi si vite? Viendra-t-il avec la crânerie du récent vainqueur tout juste réinstallé? Est-il alarmé par la révolte larvée dans différents secteurs de l'Ordre? Veut-il éduquer la communications mondiale en lui suggérant la version correcte des événements?

Qui sait ... toujours est-il que von Boeselager a fait son entrée - parmi les flashs de nombreux photographes - dans la Salle de la via dell'Umiltà 83c, bondée comme dans les grandes occasions, de journalistes curieux (et de quelque ambassadeur). Il n'était pas seulement avec le Casinghini précité (qui sur la scène a joué un rôle muet), mais il était accompagné par Dominique de La Rochefoucauld-Montbel (Grand Hospitalier, ministre de la Santé), par Janos Esterhazy de Galántha (Receveur du Commun Trésor, ministre des Finances) et par le directeur de la communication Eugenio Ajroldi de Robbiate. Absent, celui qui gère l'Ordre par intérim, Fra 'Ludwig Hoffmann von Rumerstein ... juste pour faire comprendre qui est aujourd'hui le patron du glorieux Ordre chevaleresque après l'Anschluss opéré par la Miséricorde Argentine avec les Finanz-Panzer allemands (avec la bénédiction active du puissant Cardinal Marx, archevêque de Münich et Freising, autrement dit d'un glorieux, «hyper-catholique», archidiocèse qui aujourd'hui se retrouve sans séminaristes .... un vrai succès pastoral!)

Juste avant que le Vainqueur rejoigne la salle de presse, une «Déclaration» en anglais et en italien avait été distribuée, avec le titre: «Le gouvernement a rétabli son leadership dans le respect de la Constitution de l'Ordre» .... À un collègue français, cela a rappelé irrésistiblement « L'ordre règne à Varsovie », attribué par le journal "La Caricature" au général Bastien Sébastiani, ministre de la guerre, qui le 16 Septembre 1831 commenta plus ou moins en ces termes l'occupation de Varsovie par les troupes russes pour réprimer l'insurrection polonaise du 29 Novembre 1830.

«Le gouvernement a rétabli son leadership» a donc été le leitmotiv de la conférence de presse, qui a duré une heure et quart, et fut riche en questions non thuriféraires.

Pour commencer von Boeselager a résumé en six points la position de l'Ordre. En particulier, il a réitéré la «fidélité irrévocable, indiscutable», de l'Ordre au pape, qu'il a remercié ainsi que le cardinal Parolin «pour l'énorme aide» apportée et pour la commission d'enquête de cinq membres. Le Grand Chancelier a souligné que «la crise du gouvernement est née d'un acte illégal» et a souligné l'engagement de «rétablir la normalité dans l'ordre, en rassurant ses membres».

En conclusion des six points d'introduction, celui concernant les politiques migratoires. Ici, d'une voix vibrante, von Boeselager a entre autre déclaré: «Nous condamnons fermement toute politique discriminatoire (...) Nous sommes alarmés et préoccupés par des positions discriminatoires fondées sur l' origine et la race (...) L'histoire a déjà fourni de nombreux exemples qui montrent les conséquences dramatiques et monstrueuses des politiques fondées sur les origines et sur les groupes ethniques». En ces jours, une déclaration de ce genre ne fait-elle pas irrésistiblement penser à une critique sévère de la politique migratoire du nouveau président des États-Unis? Ou peut-être à la Hongrie?

A notre question à ce sujet, von Boeselager a essayé de se mettre à l'abri, notant que ses déclarations étaient de principe, qu'elles n'étaient pas contre des personnes en particulier (et donc pas contre Trump), qu'il y a de nombreux pays qui violent les droits des migrants, qu'il n'avait pas attaqué le gouvernement hongrois, que la Hongrie «a certaines spécificités historiques»... mais en tout cas, «nous n'accepterons pas la négation de nos principes humanitaires». Réponse peu convaincante, compte tenu de la solennité et du moment historique de l'attaque, dont il est difficile de nier qu'elle était réservée dans tous les cas au moins à Trump.
*

Passons à quelques réponses sur des points particuliers.

La démission du Grand Maître Fra 'Matthew Festing: «Nous sommes reconnaissants au Grand Maître qui a accepté de proposer sa démission (...) Le Grand Maître n'a pas été renvoyé, mais il lui a été demandé d'une manière pastorale ... il lui a été conseillé de démissionner». Sublime, la franchise de von Boeselager!

La souveraineté de l'Ordre: (répondant à notre question sur l'Anschluss Vatican sur le SMOM [Sovereign Military Order of Malta]): «Je pense que l'intervention du Vatican a été le contraire d'un Anschluss. Le pape a fait tout son possible pour renforcer notre mission, et non pas l'affaiblir. Le Saint-Siège n'a pas violé la souveraineté de l'Ordre». Question d'un collègue: Un pays étranger vous a dit que vos décisions étaient nulles (voir la lettre du 25 Janvier du cardinal Parolin.) ...: «La lettre du cardinal Parolin peut avoir été mal comprise et c'est la raison pour laquelle le Pape a écrit plus tard une autre lettre. Mais le cardinal Parolin devait se dépêcher, il devait partir pour l'Afrique ...».

Distribution de préservatifs par "Malteser International": «Ma conscience est propre. Quand nous avons découvert ces programmes, nous les avons tous interrompus, SAUF UN. Ils sont fidèles à l'enseignement de l'Eglise». La Rochefoucauld a toutefois ajouté qu'il n'est pas toujours facile d'appliquer les principes dans certaines situations et parfois «des questions se posent pour lesquelles des solutions doivent être trouvées dans l'enseignement de l'Eglise». Notons que la question implique de nombreux projets auxquels coopère(ait) Malteser International en unité d'action avec l'ONU: pas seulement «un projet au Myanmar» (comme on l' a dit et répété), mais aussi au Kenya et au Sud Soudan, dans diverses périodes entre 2006 et 2015, comme l'a découvert une commission de l'ordre voulue par le grand Maître Festing en 2015. Entre 2006 et 2014, le grand Hospitalier chargé de superviser les activités de Malteser international était von Boeselager .

L'avenir du cardinal Burke, "patron" de l'Ordre. Que deviendra son rôle avec la nomination annoncée d'un délégué pontifical? «Je pense que nous ne pouvons pas prévoir, ni ne souhaitons faire de commentaires sur le rôle qu'il aura à l'avenir. (...) Nous confirmons la volonté de collaborer avec le Délégué Pontifical».

L'histoire de la donation de 120 millions de francs suisses et les intentions attribuées au Grand Chancelier de «transférer» au Vatican (IOR) les propriétés immobilières de l'Ordre en Italie: à notre question à ce sujet, c'est Esterhazy de Galántha qui a répondu, faisant un long et détaillé excursus sur les procédures d'acceptation des dons. Trois secondes et demi de pause et, avant qu'il puisse (éventuellement) continuer, se référant à la donation et aux intentions déclarées dans la question, le diligent porte-parole Eugenio Ajroldi de Robbiate (qui avait déjà donné des signes d'impatience au moment de la question), lui "chipait" le micro, donnant la parole à un autre collègue pour la question suivante. Nous comprenons l'agitation du porte-parole... jusqu'à présent, il a sans doute été habitué au cours des conférence de presse tout au plus à des politessses du genre «Oui, M. le Marquis, certainement, M. le Comte, je vous en prie, M. le Duc» ...

Encore sur l'argent. A propos d'une fiducie créée pour la donation déjà mentionnée: «Il n'y a aucune connexion entre l'Ordre et le trust».

Chute des donations? «Nous avons perdu un peu la confiance des donateurs. Mais la réduction n'est pas significative. La Rochefoucauld ajoute: «Ce n'est pas facile pour un donateur. Nous devons en prendre note. Ce qui est choquant, c'est que certaines personnes ont décidé de ne plus nous donner quoi que ce soit parce qu'elles croyaient que nous étions contre le pape». Il nous semble comprendre que toute la faute en est à l'ex-Grand Maître Matthew Festing, qui a destitué von Boeselager. Mais en Allemagne, des millions n'ont-ils pas été perdus avant, à cause du conflit von Boeselager-Festing?

Riccardo Cascioli

L'ordre ne règne pas à Malte. Et pas non plus dans l'Église

www.lanuovabq.it
8 février 2017

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Les lumières des médias se sont désormais éteintes sur l'affaire de l'Ordre Souverain Militaire de Malte qui pourtant, pendant des jours, avait occupé les premières pages des journaux. On pourrait considérer que finalement, l'histoire est close, avec la victoire - et le retour en selle - du "bon Samaritain" Albrecht von Boeselager, qui reprend son poste de chancelier (n°3 de l'Ordre), et la défaite ignominieuse du Grand Maître fra' Matthew Festing, le méchant qui, au nom de la doctrine rigide, et conseillé par le cardinal Raymond Burke, avait chassé le bon Boeselager, avant de se retrouver chassé à son tour.

En réalité, les événements des derniers jours laissent entendre que l'histoire est loin d'être terminée et que, malgré les déclarations officielles, l'ordre ne règne pas à Malte.

À ce stade, au lecteur, mais aussi à l'auteur de ces lignes, la question se pose: pourquoi s'intéresser à ce point aux affaires internes de l'Ordre de Malte? Aussi important que soit l'Ordre, cela vaut-il la peine de consacrer autant d'espace à des histoires qui en fin de compte intéressent un nombre limité de personnes?

Le fait est que les affaires de l'Ordre Malte englobent de nombreuses questions qui sont paradigmatiques pour l'Eglise toute entière.

La première est la question de savoir qui commande vraiment. Ou plutôt, quelles forces influencent la gestion des centres névralgiques de l'Eglise, en particulier là où coule beaucoup d'argent. Questions qui deviennent plus inquiétantes après la conférence de presse convoquées par l'Ordre le 2 Février, au Bureau de la presse étrangère de Rome, menée par Boeselager lui-même [Ici le compte-rendu de Giuseppe Rusconi sur Rosso Porpora, taduction à venir]. Le chancelier s'est présenté accompagné de personnalités liées à l'Ordre; absent, en revanche, le Lieutenant Fra' Ludwig Hoffmann von Rumerstein, autrement dit celui qui, en vertu de la décision du pape, devrait guider l'Ordre jusqu'à l'élection du nouveau Grand Maître.

La signification est claire: ceux qui tiennent en main, vraiment en main, les rênes du pouvoir interne, c'est le «courant allemand» dont Boeselager est le représentant. «Le gouvernement a rétabli son leadership» a été le point central de la déclaration de Boeselager, suggérant l'idée qu'il y avait eu une tentative de coup d'Etat, heureusement repoussée. Il s'agit d'une reconstruction qui d'un côté confirme l'affrontement entre deux factions (et cela, aussi, quoique sous une forme différente, représente ce qui se passe en plus grand dans l'Église), mais qui de l'autre est illogique: habituellement, un coup d'État est fait par ceux qui veulent prendre le pouvoir à la place du souverain légitime, ce serait la première fois qu'on entendrait parler d'un coup d'Etat perpétré par un chef de l'Etat contre l'un de ses sujets. Et en effet, à la fin, celui qui a sauté, c'est le Grand Maître, mais c'est aussi le Conseil souverain désavoué de fait, qui avait ratifié l'éloignement de Boeselager et son remplacement immédiat.

Mais qui est Boeselager et que représente-t-il? Des voix internes à l'Ordre font comprendre qu'il y a aussi des intérêts économiques, avec le courant allemand qui veut depuis des années mettre sous son contrôle la riche caisse de l'Ordre. On est bien loin de l'Eglise pauvre.

Mais il y a d'autres questions très importantes en jeu. Formellement Boeselager avait été destitué parce qu'il était considéré comme responsable d'avoir couvert la distribution de contraceptifs au Myanmar et en Afrique (cf. Ordre de Malte: une autre pièce du puzzle). Et le pape avait recommandé au cardinal patron de l'Ordre, Burke, de prendre des mesures pour résoudre clairement ce scandale. Dans la conférence de presse, Boeselager a répété pour la énième fois qu'il y avait eu un unique épisode au Myanmar et que dès qu'il l'avait su, il était intervenu pour arrêter le projet incriminé.

Mais les documents que nous avons recueillis et présentées ces derniers jours disent exactement le contraire: non seulement la distribution de contraceptifs a concerné au moins deux autres pays - le Kenya et le Sud Soudan - pour une longue période (de 2004 à 2016), mais elle était théorisée dans les documents mêmes de l'Ordre. Du reste, dans la conférence de presse, Dominique de La Rochefoucauld-Montbel (Grand Hospitalier, ministre de la Santé) a déclaré à cet égard qu'il n'est pas toujours facile d'appliquer les principes dans certaines situations et parfois «surgissent des questions pour lesquelles il faut trouver des solutions dans l'enseignement de l'Eglise ». Traduction: d'accord pour l'éthique, mais pour obtenir l'argent de l'ONU, on doit garantir certains «services», autrement dit: il faut faire des compromis ou bien renoncer à l'argent. Le choix fait est évident. C'est ce que dans la fameuse lettre du 1er Décembre au cardinal Burke, le Pape demandait de rectifier.
Et pourtant, l'intervention du pape et celle du secrétaire d'Etat se sont avérées décisives pour faire triompher Boeselager et le parti de la contraception. C'est un signal dangereux, parce que la situation de Malte est la même que celle de beaucoup d'autres ONG catholiques qui ont depuis longtemps choisi la soumission au monde en distribuant des contraceptifs dans les pays pauvres.

L'enjeu est aussi la révision des Constitutions de l'Ordre, déjà annoncée par le pape. Depuis quelque temps , il y a une forte pression des Allemands pour rénover l'Ordre en renforçant les 'classes' non-religieuses, une sorte de «laïcisation» qui rendrait l'ordre de Malte plus proche d'une organisation non gouvernementale moderne et efficace (ONG). Au contraire, toujours dans la lettre à Burke, le pape avait demandé un renforcement de l'identité spirituelle de l'ordre. Comme s'il n'avait rien dit, le soutien du Vatican est allé à ceux qui tentent de séculariser l'Ordre de Malte.

Des contradictions criantes, tout comme la diversité des indications à l'Ordre données par les deux lettres successives, celle du secrétaire d'Etat, le cardinal Pietro Parolin (25 Janvier) et celle de François (27 Janvier). La première, résolument plus 'tranchante' (en français dans le texte), parlait d'un véritable mise sous contrôle, avec la nomination d'un délégué pontifical qui assumerait les pleins pouvoirs. La seconde établit une collaboration entre le délégué pontifical (plus tard identifié en la personne de Mgr Angelo Becciu, n.2 de la secrétairerie d'Etat) et le Lieutenant.

Incroyable, la motivation donnée par Boeselager à cette diversité: «La lettre du cardinal Parolin pouvait avoir été mal comprise et c'est la raison pour laquelle le Pape écrivit plus tard une autre lettre. Mais le cardinal Parolin devait se dépêcher, il devait partir pour l' Afrique .... ». En dehors du fait qu'il ne pouvait y avoir aucun malentendu tant elle était claire, la presse a pardonné à Boeselager l'énormité de l'affirmation: le secrétaire d'État aurait décapité une entité souveraine dans sa hâte d'attraper un avion! C'est tout simplement fou!

Et puis il y a un dernier aspect: les purges et la scission consécutive à certaines lourdes interventions du Saint-Siège. Il est clair qu'une division entre courants sur une base nationale existait déjà dans l'Ordre de Malte, mais cette intervention aux côtés de l'une des parties, au lieu d'un travail de réconciliation semble avoir généré un fossé plus profond. Et ce n'est certainement pas le premier cas.

Quoi qu'il en soit, le Grand Maître, contraint à la démission par le pape, ne semble pas avoir jeté l'éponge. La revue anglaise The Tablet, rapportant une brève conversation téléphonique, a écrit que Festing pourrait même utiliser les voies judiciaires pour rendre sa démission invalide et en tout cas aurait dit que «la partie est loin d'être terminée». C'est un signe qu'au sein de l'Ordre, le triomphe de Boeselager et de ses amis a été subi mais certainement pas acceptée. Et donc, malgré les paroles rassurantes de Boeselager, dans les prochains mois il pourrait y avoir d'autres coups de théâtre.

Sans parler de la situation étrange dans laquelle se trouve le cardinal Burke. Déjà son transfert à l'Ordre de Malte avait été lu par tous comme une punition pour ses positions trop attachées à la tradition, à présent il est le bouc émissaire pour la confusion qui s'est créée dans l'Ordre. Personne n'a voulu écouter ses raisons, et sa demande d'audience au pape n'a pas eu de réponse. En compensation, à présent, François a nommé Mgr Becciu comme délégué pontifical, qualité en laquelle il assumera toutes les tâches du Cardinal patron. Qui est laissé là, épuisé, comme il n'existait pas.
Un mode de gouvernement vraiment curieux.