Benoit-et-moi 2017
Vous êtes ici: Page d'accueil » Actualité

Peine de mort: une réponse au pape

Tommaso Scandroglio argumente en s'appuyant entre autres sur saint Thomas d'Aquin (13/10/2017)

>>> Voir aussi: Développement de la doctrine

Nous avons parlé hier du discours prononcé la veille par le pape, devant les participants à la rencontre organisée par le Conseil Pontifical pour la promotion de la Nouvelle Évangélisation. Un discours préparé d'avance, et qu'il s'est contenté de lire. Je m'étais focalisée sur le "développement de la doctrine" que le pape invoquait pour justifier un changement du catéchisme, mais le point qu'il s'agissait de modifier était en lui-même suffisamment polémique pour mériter une analyse à part.
Ce que fait Tommaso Scandoglio dans cet article savant publié aujourd'hui sur la Bussola.

Mais pour parler simplement, on sent bien que le discours du pape repose sur l'amalgame douteux entre le droit à la vie d'un innocent (en l'occurrence le foetus) et celui, présumé, du coupable d'un crime horrible, par exemple du meurtre d'un enfant accompagné de violences sexuelles.

Peine de mort
Sur le principe, elle est légitime

Tommaso Scandroglio
13 octobre 2017
www.lanuovabq.it
Ma traduction

* * *

Revenons sur le discours du Pape de mercredi dernier adressé aux participants à la rencontre promue par le Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation et citons le passage concernant la peine de mort:

«Ce problème ne peut pas être résolu au moyen d’un simple rappel de l’enseignement historique, sans faire apparaître, non seulement l’avancée de la doctrine chez les derniers Pontifes, mais également l’évolution dans la conscience du peuple chrétien, qui s’éloigne d’une attitude consentante à l’égard d’une peine qui lèse lourdement la dignité humaine. On doit affirmer avec force que la condamnation à la peine de mort est une mesure inhumaine qui blesse la dignité personnelle, quel que soit son mode opératoire. En décidant volontairement de supprimer une vie humaine, toujours sacrée aux yeux du Créateur et dont Dieu est en dernière analyse le véritable juge et le garant, elle est par elle-même contraire à l’Evangile. Jamais, aucun homme "pas même le meurtrier ne perd sa dignité personnelle" (Lettre au Président de la Commission Internationale contre la peine de mort, 20 mars 2015) (...) Ce n’est donc à personne que peut être enlevée non seulement la vie, mais la possibilité d’un remords moral et existentiel, qui le réintègre dans la communauté (...)
Malheureusement, même dans les Etats Pontificaux, on a eu recours à ce remède extrême et inhumain, faisant ainsi disparaître le primat de la miséricorde sur la justice. Nous assumons la responsabilité du passé, et nous reconnaissons que ces moyens étaient dictés par une mentalité plus légaliste que chrétienne. Le désir de garder entiers les pouvoirs et les biens matériels avait amené à surestimer la valeur de la loi, empêchant ainsi d’aller plus en profondeur dans la compréhension de l’Evangile. Aujourd’hui cependant, rester neutre face aux nouvelles exigences liées à la réaffirmation de la dignité personnelle, nous rendrait davantage coupables.
Il n’y a pas ici de contradiction avec l’enseignement du passé : la défense de la dignité de la vie humaine du premier instant de la conception jusqu’à la mort naturelle, a toujours été portée, dans l’enseignement de l’Eglise, par une voix cohérente et autorisée (...) Il faut donc répéter que, quelque puisse être la gravité de la faute commise, la peine de mort est inadmissible car elle attente à l’inviolabilité et à la dignité de la personne».

En résumé, le Pape nous dit que les papes récents avaient déjà commencé à enseigner sur la peine de mort une doctrine différente de celle traditionnelle, que la peine de mort constitue une violation du bien inviolable (indisponibile = dont on ne peut disposer) de la vie, qu'elle ne permet pas une rédemption morale, qu'elle est contraire à la dignité personnelle, à l'esprit de l'Evangile, et donc à la foi catholique.

Il me semble qu'on ne peut souscrire à aucun de ces jugements.

En premier lieu, pour évaluer si une action est bonne, il est nécessaire de se référer à son objet moral, c'est-à-dire à la fin immédiate poursuivie: l'objet moral de l'imposition de la peine de mort est bon parce qu'il est de «défendre la communauté»: l'action matérielle "tuer", du point de vue moral doit être compris comme défense du bien commun et non comme "homicide" ou "vengeance". Seul le meurtre direct et volontaire de l'innocent est toujours une chose mauvaise: c'est cela que le magistère enseigne. La peine de mort trouve donc sa légitimité morale dans le fait que nous avons tous l'obligation morale de sauver notre propre vie avant celle des agresseurs: «L'homme est tenu d'assurer sa propre vie avant la vie du prochain» (Thomas d'Aquin, Summa Theologiae, II-II, q. 64, a. 7 c.).

Tout comme un sujet privé peut légitimement tuer son agresseur afin de se défendre s'il n'y a pas d'autres solutions qui lui permette de protéger sa propre vie ou celles d'autrui, de même le système juridique - en prévision de répétitions presque certains du crime ou de crimes de gravité égale - peut avoir recours à la peine capitale si elle est l'unique moyen de défendre la sécurité des citoyens. Citons encore Thomas d'Aquin: «C'est pourquoi, dans le cas où la santé de tout le corps l'exige, on coupe, de façon louable et salutaire, un membre putride et gangrené. Eh bien, chaque personne est à la communauté comme une partie est au tout. Et donc, si un homme avec ses péchés est dangereux et perturbateur pour la communauté, il est louable et sain de le supprimer pour la préservation du bien commun; en effet, comme dit saint Paul: "Un peu de ferment peut corrompre toute la masse"» (Summa Theologiae, II-II, q. 64, a. 2 c.). C'est précisément le devoir de protéger la préciosité intrinsèque des personnes d'une collectivité, c'est-à-dire leur dignité - argument utilisé par François pour censurer la peine de mort - qui justifie cette dernière.

La peine de mort est ensuite justifiée par une autre raison qui s'ajoute à la précédente. Toute personne est propriétaire de droits fondamentaux, parmi lesquels la vie. Cependant, la propriété de ces droits peut être perdue à cause de nos actions: par exemple la liberté personnelle à la suite d'un crime. C'est comme s'il y avait en nous un mur dans lequel sont fixés les droits fondamentaux. Les actions vraiment mauvaises que nous choisissons d'accomplir ont le pouvoir d'abattre ce mur et donc de faire tomber par terre tous les droits qui y sont fixés. Celui qui tue se dépouille lui-même de son propre droit à la vie et l'État doit rectifier cette situation morale. Pie XII dit: «Même quand il s'agit de l'exécution capitale d'un condamné à mort, l'Etat ne dispose pas du droit de l'individu à la vie. Il est alors réservé au public de pouvoir priver le condamné du bien de la vie, en expiation de sa faute, après qu'avec son crime, il se soit dépouillé du droit à la vie» (Discours au Ier Congrès d'Histopathologie du système nerveux, 13/09/1952, n° 28). A cause de nos actions, nous dégradons notre dignité morale, pas celle naturelle qui est inattaquable (le meurtrier reste une personne). C'est un peu comme se dégrader au rang de bêtes et les bêtes n'ont pas de droit. Citons encore Thomas d'Aquin: «Avec le péché, l'homme abandonne l'ordre de la raison: il perd donc sa dignité humaine [...] dégénérant d'une certaine manière au niveau de l'asservissement des bêtes [...] Par conséquent, bien que de tuer un homme qui respecte sa propre dignité soit fondamentalement un péché, tuer un homme qui commet le péché peut être un bien, comme tuer une bête» (Summa Theologiae , II-II, q. 64, a. 2, ad 3).

Ceci est le premier motif pour affirmer que, contrairement à ce que déclare le pape, la peine de mort n'est pas contraire à la dignité morale de la personne (d'ailleurs l'emprisonnement supprime un bien non disponible comme la liberté et pourrait donc être compris, à tort, comme préjudiciable à la dignité du détenu).

Pour que la peine de mort exprime réellement l'objet moral "défense", elle doit cependant être proportionnée à cette fin. Qu'est-ce que cela signifie?

>| Premièrement: qu'il existe un réel danger pour la société, entendu comme certitude ou forte probabilité que le coupable commettra à nouveau des crimes contre la vie ou des biens analogues. La simple possibilité d'une agression future ne justifie pas la fin de défense, ne justifie pas la peine de mort parce que le délinquant est désormais inoffensif (ce point est lié au parcours de rééducation du délinquant que nous verrons plus loin).

>|Deuxièmement: extrema ratio. S'il existe un autre moyen de contenir l'agressivité du délinquant, cette solution doit être recherchée. Dans le cas contraire, la peine de mort ne traduirait plus la finalité de "défendre la communauté", mais serait une expression d'"homicide d'Etat" ou de "vengeance": de la défense, on passerait à l'offense. En outre, des sanctions différentes telles que l'emprisonnement permettraient au délinquant d'avoir plus de temps pour s'amender.

Voici ce que dit le Catéchisme de l'Eglise catholique:

«2267 - L’enseignement traditionnel de l’Eglise n’exclut pas, quand l’identité et la responsabilité du coupable sont pleinement vérifiées, le recours à la peine de mort, si celle-ci est l’unique moyen praticable pour protéger efficacement de l’injuste agresseur la vie d’êtres humains.
Mais si des moyens non sanglants suffisent à défendre et à protéger la sécurité des personnes contre l’agresseur, l’autorité s’en tiendra à ces moyens, parce que ceux-ci correspondent mieux aux conditions concrètes du bien commun et sont plus conformes à la dignité de la personne humaine.
Aujourd’hui, en effet, étant données les possibilités dont l’Etat dispose pour réprimer efficacement le crime en rendant incapable de nuire celui qui l’a commis, sans lui enlever définitivement la possibilité de se repentir, les cas d’absolue nécessité de supprimer le coupable " sont désormais assez rares, sinon même pratiquement inexistants " (Evangelium vitae, n. 56)».

C'est pour cette raison que les papes récents ont appelé à l'annulation de la peine de mort dans le monde entier, non pas parce que le principe de la défense du bien commun réalisé par une telle sanction n'est plus valide, mais parce qu'ils constataient qu'aujourd'hui, dans les pays du monde entier, il existe d'autres instruments - comme la détention - plus proportionnés à la défense.

La peine de mort génère ensuite des effets positifs qui sont ceux de toute autre sanction.

>| Fonction rétributive [ndt: la justice rétributive est une forme de justice pénale qui punit le crime afin d'assurer la cohésion et la paix sociales ]: «La peine a pour premier but de réparer le désordre introduit par la faute» (CEC n° 2266). En d'autres termes, la souffrance du coupable va restaurer le visage de la justice que lui-même a profané. C'est une compensation qui, selon la justice équitable, doit rembourser à la même valeur le préjudice infligé: vie enlevée pour vie donnée. D'où le critère de proportionnalité: à un petit préjudice moral correspond une peine légère; à un grand préjudice moral une peine de même importance (qui peut aussi concerner la liberté personnelle, mais n'exclut pas le bien "vie"). La justice consiste à donner à chacun sa part: la communauté a droit à la souffrance du délinquant.

>| Fonction dissuasive: on ne peut exclure que la prévision dans le code de cette peine et son application effective aient un effet dissuasif sur les concernés.

>| Fonction pédagogico-rééducative: la peine permet au coupable de recouvrer la part d'humanité qu'il a perdue. On objectera: mais s'il meurt, cet argument n'a plus de sens. Pour faire accomplir au coupable un parcours de rééducation, il est bon qu'entre la sentence de condamnation et l'exécution, un certain laps de temps s'écoule pour permettre au coupable de s'amender: ce faisant l'exigence de rachat moral demandé par le Pape est satisfaite. Dans ce cas, la sentence capitale n'aurait plus de raison d'être, car l'amendement a eu lieu et la peine, à cet égard, a donc été efficace. En outre, comme indiqué plus haut, le danger social disparaîtrait et donc la finalité de la peine capitale (défense de la société) disparaîtrait également. Même si cette dernière était appliquée immédiatement après la sentence, rien n'exclut en tout cas la résipiscence et le repentir du coupable. Ceci est un autre motif pour affirmer que la peine capitale peut contribuer à la reconstruction de la dignité du coupable et qu'elle exprime d'une autre manière la vertu de la justice: la punition est due au coupable parce que c'est une occasion précieuse pour lui de se ré-humaniser. Si l'amendement ne se produit pas, la sanction doit être de toute façon imposée: elle n'accomplira pas la fonction rééducative, non pas en raison d'un défaut de la nature de la peine, mais par manque de volonté du coupable, mais elle a quand même la fonction rétributive et dissuasive, et évidemment la finalité défensive compte tenu des conditions mentionnées plus haut.

Passant du plan de la philosophie morale à celui de la théologie morale, rappelons-nous l'épisode du bon larron condamné à mort. A un certain moment, il admet que sa punition est juste: à ce moment, son exécution n'aurait plus de raison d'être parce qu'il a retrouvé sa dignité morale perdue et qu'il n'est plus un sujet dangereux, mais Jésus permet cette injustice pour un bien plus grand: la mort sur la croix servira sur le plan spirituel comme peine pour expier les péchés commis et donc pour acquérir des mérites afin d'entrer au Paradis. Par conséquent, la peine de mort n'est pas contraire à l'esprit de l'Évangile, aussi parce qu'étant moralement valide, comment pourrait-elle être en contradiction avec la foi catholique?

Comme nous l'avons vu, la bonté morale de la peine de mort repose sur le principe de la défense de la communauté. Ainsi, nier la validité morale de la peine de mort conduit aussi à nier l'institution de la légitime défense personnelle - qui en constitue le fondement préalable - et de la guerre défensive (entre autres choses, l'application de la peine de mort trouve une expression efficace surtout dans les contextes de guerres défensives, spécialement civiles, où la mise à mort de l'agresseur injuste, chef de la coalition adverse, met souvent fin au conflit et est donc l'expression d'une juste défense de la nation). Le résultat serait moins de protection pour la vie, plus de garanties pour les attentats à celle-ci.