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Plaidoyer pour le "vrai" Vatican II

Le P. Scalese profite d'un article de Roberto de Mattei pour revenir sur son sujet de prédilection: il faut défendre le vrai Concile contre ceux qui veulent l'utiliser pour subvertir l'Eglise (17/8/2017)

>>> Sur mon site, à propos du Concile, voir aussi ces deux articles du Père Scalese :
¤ Le Concile et l'esprit du Concile (le tout premier article, en 2009)
¤ L'esprit du Concile version 2.0 (actualisation sous François, en 2016)

Je me sens un peu impliquée, d'une part parce que j'ai pas mal traduit le Père Scalese et le Professeur de Mattei, et d'autre part, parce que c'est justement à travers son article sur Vatican II de mars 2009 - avec lequel il démarrait son blog mémorable <Senza peli sulla lingua> - que j'ai connu, apprécié, et commencé à traduire le premier, et mis le pied dans un univers qui alors m'était totalement étranger, celui du débat théologico-sociétal post-Concile (comme j'ai eu l'occasion de le rappeler ICI).

Loin de moi la prétention de m'immiscer dans un débat entre spécialistes (j'aurais vraiment l'impression d'endosser des habits trop grands pour moi.... et puis "qui suis-je pour juger?"), mais les arguments du Père Scalese traduisent bien ma propre perception "empirique" des choses, même avec mon faible niveau de connaissance du sujet, et ils constituent la lecture qui, tout en restant raisonnablement critique, me semble la plus proche des efforts de Benoît XVI pour fournir une interprétation du Concile (efforts qui trouvent chez les "tradis" purs et durs les pires détracteurs du Saint-Père).
Avant ma traduction de l'article du Père Scalese, il faut évidemment lire celui de Roberto de Mattei, traduit dans notre langue sur le site dieuetmoilenul.blogspot.fr, dont voici le passage-clé:

Au niveau théologique, toutes les distinctions peuvent et doivent être faites pour interpréter les textes du Vatican II qui a été un Concile légitime : le vingt et unième de l'Église Catholique. Ses documents peuvent être définis de temps en temps de manière pastorale ou dogmatique, provisoire ou définitif, en respectant ou non la Tradition. Monseigneur Brunero Gheradini, dans ses travaux récents, nous offre un exemple de la façon dont un jugement théologique peut être articulé s'il veut être précis (Il Concilio Vaticano II un discourso da fare, Casa Mariana, Frigento 2009 e Id., Un Concilio mancato, Lindau, Torino 2011). Chaque texte, pour un théologien, a une qualité et un degré d'autorité et de force différents. Par conséquent, le débat est ouvert.
Au niveau historique, cependant, Vatican II constitue un bloc non décomposable : il a sa propre unité, son essence, sa nature. Considérée dans ses origines, sa mise en œuvre et ses conséquences, il peut être décrit comme une révolution dans la mentalité et le langage, qui a profondément changé la vie de l'Église, initiant une crise morale et religieuse sans précédent. Si le jugement théologique peut être vague et exhaustif, le jugement de l'histoire est sans merci et sans appel. Le Concile Vatican II n'a pas seulement échoué ou été un échec : il fut une catastrophe pour l'Église.

Concile et histoire

Père Giovanni Scalese CRSP
querculanus.blogspot.fr
11 août 2017
Ma traduction

* * *

Une attitude vraiment historique devrait envisager sérieusement la distinction, faite par Benoît XVI dans sa dernière rencontre avec le clergé romain avant de se retirer (14 Février 2013), entre le «Concile des Pères» et le «Concile des médias», le «Concile réel» et le «Concile virtuel»
(...)
Je crois que le temps est venu de commencer à défendre le vrai Concile de ceux qui prétendent s'en faire abusivement l'interprète, faisant passer pour «Concile» ce qui en est une simple caricature. Je crois que le temps est venu pour les vrais amoureux de la tradition de commencer à considérer Vatican II et le magistère post-conciliaire comme faisant partie de la tradition (avec toutes les distinctions possibles sur le plan théologique) et à les défendre au nom de la tradition. Penser que la tradition s'est arrêtée en 1962 (ou en 1958) signifierait donner raison à ceux qui avant, pendant et après le Concile, jusqu'à aujourd'hui, ont essayé et essaient de subvertir l'Eglise. Le Concile, le vrai, n'a pas été une révolution, mais seulement une tentative, plus ou moins réussie, de rénover l'Eglise dans la tradition. La révolution, c'est ce qu'ont essayé et essaient d'imposer les modernistes d'hier et d'aujourd'hui. A eux, il faut s'opposer, non seulement au nom de la tradition, mais aussi au nom Concile lui-même, qui est partie intégrante de cette tradition.

La semaine dernière , le professeur Roberto de Mattei a publié sur l'agence d'informations Corrispondanza Romana, un bref article intitulé «Le Concile Vatican II et le message de Fatima», dans lequel, s'appuyant sur un récent discours de Mgr Athanasius Schneider, il réitère sa position sur le Concile Vatican II, avant de se concentrer sur un point précis: la consécration manquée de la Russie au cœur Immaculé de Marie, demandée par la Vierge à Fatima et sollicitée, durant le Concile, par un groupe de plus de cinq cents prélats, dont la requête fut totalement ignorée par Paul VI et la majorité des Pères.

Je n'ai pas l'intention de m'attarder sur ce dernier aspect, à propos duquel je me trouve pleinement d'accord avec le professeur de Mattei. Le Concile Vatican II semble vraiment une suite d'occasions manquées: de la non-consécration de la Russie à la non-condamnation du communisme. Il faut dire que l'histoire ne se fait pas avec des «si»; on ne s'attendrait pas à lire, sous la plume d'un historien une phrase comme: «Si la demande de consécration avait été faite, de grandes grâces se seraient répandues sur l'humanité». C'est peut-être vrai, mais ... la consécration n'a pas eu lieu. Et c'est le seul fait historique qui compte.

Je voudrais en revanche mettre l'accent sur la première partie de l'article, celle où est abordée la question épineuse du jugement à donner sur le Concile Vatican II. La position du professeur de Mattei à ce sujet est connue: son jugement - qui est le jugement d'un historien - est «impitoyable et sans appel». Il peut se résumer dans la phrase:

Le Concile Vatican II n'a pas seulement été un Concile manqué ou qui a échoué [c'est une référence claire à la position de Mgr Brunero Gherardini, ndlr], il a été une catastrophe pour l'Église.

Il me semble que la nouveauté de cette dernière intervention du professeur peut être trouvée dans le fait que, tandis qu'auparavant (c'est du moins mon impression, mais je peux me tromper) il excluait la possibilité d'une autre évaluation, à côté de celle historique, il semble aujourd'hui l'admettre. Dans l'article, il y a clairement la distinction entre deux plans, celui théologique et celui historique. La différence entre les deux niveaux résiderait dans le fait que, tandis qu'au niveau théologique, le jugement peut être articulé («Chaque texte, pour un théologien, a une qualité et un degré d'autorité et de force différent»), sur le plan historique, au contraire,

Vatican II constitue un bloc non décomposable : il a sa propre unité, son essence, sa nature. Considérée dans ses origines, sa mise en œuvre et ses conséquences, il peut être décrit comme une révolution dans la mentalité et le langage, qui a profondément changé la vie de l'Église, initiant une crise morale et religieuse sans précédent...

De là le jugement négatif et sans appel rapporté ci-dessus.

Mieux, le professeur de Mattei dans son intervention ne se limite pas à admettre une approche différente à Vatican II, mais il semble même l'encourager:

Au niveau théologique, toutes les distinctions peuvent et doivent être faites pour interpréter les textes du Vatican II qui a été un Concile légitime: le vingt et unième de l'Église Catholique. Ses documents peuvent être définis à tour de rôle de manière pastorale ou dogmatique, provisoire ou définitif, en respectant ou non la Tradition... Par conséquent, le débat est ouvert.

Si je me souviens bien, jusqu'à récemment, ce n'était pas la position du professeur de Mattei. Reprenant (bien que du bord opposé) la thèse bien connue - purement idéologique - de l'école de Bologne, il semblait dévaluer complètement les documents du Concile, pour accorder de l'importance uniquement à l'événement conciliaire. Reconnaître la légitimité du débat théologique sur les textes conciliaires et admettre que la solution à la question lefebvriste dépendait de son déroulement fructueux, n'est pas anecdotique.

Personnellement, j'ai toujours été convaincu de l'utilité et de la nécessité d'une réflexion théologique dépassionnée sur le Concile Vatican II (voir l'article qui a ouvert ce blog dans le lointain 2009: «Concile et esprit du Concile»). Cela sans rien ôter à l'importance de l'approche historique. Le livre du professeur de Mattei «Vatican II. Une histoire à écrire» (Lindau, Turin, 2010, traduit en français) reste selon moi un point de référence incontournable pour reconstruire la dynamique des événements: il est juste de savoir comment les choses se sont vraiment passées. Comme il est juste de prendre sereinement note des effets négatifs du Concile dans la vie de l'Eglise. Dans l'article de 2009, je les ai décrits, sans fausse pudeur, dans les termes suivants:

La réforme liturgique a rendu les églises désertes; le renouvellement des catéchèses a répandu l'ignorance religieuse; la réforme de la formation sacerdotale a vidé les séminaires; la modernisation de la vie religieuse met en danger l'existence de beaucoup d'instituts; l'ouverture de l'Église au monde, au lieu de favoriser la conversion du monde, a signifié la « mondanisation » de l'Église elle-même.

Il s'agit de faits historiques difficilement contestables. Mais nous devons nous demander: cette observation sans préjugés des faits justifie-t-elle le jugement historique «impitoyable et sans appel» du Professeur de Mattei? Vatican II doit-il nécessairement être rejeté comme une «catastrophe pour l'Eglise»? Personnellement, je ne le pense pas. Et cela, en essayant de rester sur un plan strictement historique.

1. Il n'est pas historique d'affirmer que le Concile Vatican II aurait donné le coup d'envoi à une crise religieuse et morale sans précédent, en ignorant - ou feignant d'ignorer - que cette crise était déjà en cours depuis des décennies, voire des siècles. Présenter l'Église préconciliaire comme une Église parfaite, où tout allait sans problèmes, est tout simplement faux. Sans se lancer dans des recherches longues et prenantes, il suffit de se poser la question: d'où sortaient les théologiens qui, à l'intérieur et à l'extérieur du Concile, poussaient le plus à une transformation radicale de l'Eglise? Étaient-ce des Martiens? N'étaient-ce pas des théologiens qui oeuvraient librement déjà avant le Concile et avaient été formés dans les séminaires et les facultés ecclésiastiques avant le Concile? Cela signifie que certaines idées circulaient déjà dans l'Église, à tel point que d'abord Pie X (encyclique Pascendi), et ensuite Pie XII (Encyclique Humani generis) avait ressenti le besoin d'intervenir pour tenter de freiner certaines tendances. Sans y réussir. On dira: mais au moins les Papes d'avant le Concile s'opposaient à ces tendances; Vatican II les a adoptées. Je verrais la chose autrement: le Concile, prenant acte de l'échec des précédentes interventions papales, a essayé une autre voie, celle du «discernement»: distinguer dans les tendances novatrices celles qui étaient valides, pour les adopter, et celles qui étaient erronées, pour les repousser.

2. Il n'est pas historique de ne considérer dans le déroulement du Concile que les luttes entre factions opposées, les jeux de pouvoir, les manigances des lobbies, les abus de présidence, les compromis au rabais. Ce sont des faits historiques incontestables; mais ce ne sont pas les seuls. C'est aussi l'histoire, l'effort de Paul VI pour redresser le Concile; c'est aussi l'histoire, cet engagement de la majorité des Pères dans ce travail de discernement dont nous parlions; c'est aussi l'histoire, les documents conclusifs du Conseil. Ceux-ci ne peuvent pas être situés dans une dimension a-historique ou méta-historique; ils sont tellement historiques que nous pouvons en reconstruire la genèse, en fixer la valeur théologique différente, en mettre en évidence les limites, etc.

3. Une attitude vraiment historique, en outre, devrait envisager sérieusement la distinction, faite par Benoît XVI dans sa dernière rencontre avec le clergé romain avant de se retirer (14 Février 2013), entre le «Concile des Pères» et le «Concile des médias», le «Concile réel» et le «Concile virtuel» [w2.vatican.va]; et en vérifier les reflets dans la réalité: lequel de ces deux «Conciles» a eu le plus d'influence dans la vie de l'Eglise? Les conséquences négatives du «Concile» doivent-elles être attribuées au Concile des Pères ou à celui des médias? En d'autres termes, aux documents du Concile ou à l'«esprit du Concile»? Ce sont des questions auxquelles un historien ne peut se soustraire. Nous ne parlons pas ici de l'interprétation à donner aux textes conciliaires - qui est la tâche du théologien - mais nous essayons de comprendre comment les choses se sont réellement passées. Et ceci revient exclusivement à l'historien, lequel ne peut se limiter à dire que le Concile a été une catastrophe, une révolution qui a donné le coup d'envoi à une crise religieuse et morale sans précédent. Il s'agit d'une simplification absolument anti-historique.

4. Il n'est pas historique, dans l'examen de la période post-conciliaire, de ne considérer que les catastrophes évidentes et indiscutables causées par une application erronée du Concile. Il convient également de considérer l'effort de défense et de reconstruction des papes post-conciliaires (Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI). Ceux-ci ont donné la seule interprétation légitime du Concile, ont appliqué son oeuvre réformatrice et se sont opposés aux tentatives de subversion de l'Eglise au nom du «Concile». Les Papes qui se sont succédé au cours des cinquante dernières années, au milieu des brumes qui se sont propagées après le Concile, ont été les phares qui ont indiqué aux fidèles la route à suivre. Bien que parmi de nombreuses difficultés et contradictions - qui ne doivent pas être cachées, mais qui ne peuvent pas surprendre - ils ont éclairci de nombreux points. Non qu'ils aient éliminé la confusion, mais ils ont identifié plusieurs points clés sur lesquels il n'était pas possible de continuer à discuter indéfiniment.

* * *

Eh bien, puisque de nos jours, l'un après l'autre, on remet en question précisément ces points-clés, qui semblaient désormais acquis; puisqu'on est en train de démanteler tout ce qui avait été reconstruit dans la période post-conciliaire, comme si cinquante ans s'étaient écoulés en vain; puisqu'on essaie de faire passer l'idée que le vrai Concile n'est pas celui des documents, mais celui d'un «esprit» non précisé qui continuerait à agir dans l'Eglise, sans tenir compte des critères précédemment indiqués; je crois qu'il ne sert à rien de continuer à polémiquer contre Vatican II, en le considérant comme la source de tous les maux de l'Eglise; je ne crois pas que la situation actuelle puisse être considérée de façon simpliste comme «fruit» du Concile. Au contraire, je crois que le temps est venu de commencer à défendre le vrai Concile de ceux qui prétendent s'en faire abusivement l'interprète, faisant passer pour «Concile» ce qui en est une simple caricature. Je crois que le temps est venu pour les vrais amoureux de la tradition de commencer à considérer Vatican II et le magistère post-conciliaire comme faisant partie de la tradition (avec toutes les distinctions possibles sur le plan théologique) et à les défendre au nom de la tradition. Penser que la tradition s'est arrêtée en 1962 (ou en 1958) signifierait donner raison à ceux qui avant, pendant et après le Concile, jusqu'à aujourd'hui, ont essayé et essaient de subvertir l'Eglise. Le Concile, le vrai, n'a pas été une révolution, mais seulement une tentative, plus ou moins réussie, de rénover l'Eglise dans la tradition. La révolution, c'est ce qu'ont essayé et essaient d'imposer les modernistes d'hier et d'aujourd'hui. A eux, il faut s'opposer, non seulement au nom de la tradition, mais aussi au nom Concile lui-même, qui est partie intégrante de cette tradition.