Benoit-et-moi 2017
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Un projet mauvais

Le P. Scalese s'étonne qu'à cinq ans de distance, Aldo Maria Valli ait publié deux billets aux contenus diamètralement opposés. Et constate qu'on voit aujourd'hui les fruits du "mauvais" projet d'Eglise que le vaticaniste appelait alors de ses voeux (29/3/2017)

J'avais lu avec intérêt le billet d'Aldo Maria Valli daté du 15 mars et intitulé "Il sogno" - le Rêve (les lecteurs qui ne sont pas familiers avec l'italien trouveront ci-dessous la traduction de l'excellent résumé du P. Scalese). Il s'ouvre sur ces mots: "le réveil sonne, je me lève, prends mon petit déjeuner, lis le journal...", et se conclut par: "Et puis soudain je me réveille. Comme d'habitude, après un rêve aussi intense, mon cœur bat fort. Je me le dis toujours: 'au dîner, mange léger'. Maintenant, il faut que je me calme. Il faut retourner à la normalité".
Je l'avais mis de côté, me disant que je le traduirai peut-être, mais que j'avais le temps, puisqu'il traitait d'un sujet qui n'était pas exactement d'une actualité brûlante.
Ce que j'inorais, et que le P. Scalese, dont la mémoire est excellente (!) m'apprend, c'est que le même Valli avait écrit 5 ans auparavant, donc à la fin du Pontificat de Benoît XVI, et surtout en plein scandale Vatileaks, dans une revue catho-progressiste "Vino Nuovo" un article de tonalité radicalement opposée. Tellement opposée qu'on pourrait croire qu'il y a deux auteurs différents et en plus adversaires irréductibles (Aldo Maria Valli se souvient-il d'avoir écrit cet article? Il serait intéressant de le savoir). L'article est daté du 12 mars 2012, presque un an jour pour jour avant l'élection de François, et s'intitule "Sogno di una notte di fine inverno" - Songe d'une nuit de fin d'hiver. En guise de préambule, une note: "Après les chroniques des dernières semaines sur Vatilleaks et les manoeuvres des Palais Sacrés, voilà le rêve que pourrait faire un vaticaniste sur l'issue du futur conclave".

Le Père Scalese relève donc une contradiction massive chez le vaticaniste italien. Le genre de contradiction qui, si elle était le fait d'un homme politique en période électorale ferait les manchettes de tous les journaux! Suivez mon regard...

Mais l'intérêt de l'article du P. Scalese va bien au-delà de la polémique qu'on pourrait y voir entre le sage barnabite et un journaliste catholique honnête qui reconnaît (au moins implicitement) qu'il s'était trompé: en réalité, dit le P. Scalese, les idées que défendait le Valli version 2012, et que rejette le Valli de 2017, étaient en gestation déjà avant Vatican II, le Concile leur a offert une tribune pour s'exprimer et se propager, et aujourd'hui, elles semblent avoir pris le dessus, mais les résultats sont sous les yeux de tous - confusion des fidèles et conflits ouverts jusqu'aux plus haut sommets de l'Eglise - et impose cette constatation que le projet d'Eglise qu'elles dessinaient est resté un mauvais projet, vicié à la base.

Le P. Scalese conclut malgré tout sur une note relativement optimiste:

(...) les anomalies que nous rencontrons aujourd'hui dans l'Église sont justement la conséquence de ces idées. Le rêve d'il y a cinq ans n'était pas un idéal évangélique; c'était plutôt un distillat d'idéologie pure, dont nous voyons aujourd'hui les résultats. Et de ce point de vue, je pense qu'il est providentiel que l'Eglise fasse cette expérience: elle sert à ouvrir les yeux de beaucoup de ceux qui ont cru en ces idées.

Un projet mauvais

28 mars 2017
querculanus.blogspot.fr
Ma traduction

* * *

Il y a quelques semaines Aldo Maria Valli a publié sur son blog un beau billet, dans lequel, à travers l'allégorie du rêve, il exprime la nostalgie d'une normalité qui dans l'Eglise d'aujourd'hui semble devenue si rare qu'on est contraint d'en rêver. Il s'agit de vingt points sur lesquels il est difficile de ne pas se trouver d'accord: ce sont des choses tellement évidentes (ou, au moins, qui l'étaient jusqu'à il y a quelques années), qu'il ne devrait pas être nécessaire de les «rêver». Que les curé doivent être proches des couples qui décident de se marier à l'église; que les paroles de l'Evangile sont claires (et sûres) et doivent être interprétées dans leur sens évident; que la liturgie a son caractère sacré, et que tout le monde, du Pape au dernier enfant de choeur, doit prendre l'attitude appropriée; que les académies pontificales doivent se faire les promotrices des valeurs morales les plus authentiques, etc. etc., ce sont des choses acquises pour tout bon catholique. Tellement acquises que nous ne devrions pas être ici à en parler. Mais, dans le moment historique que nous vivons, elles sont devenues objets de nostalgie, puisque la « normalité » est devenue autre, et coïncide avec l'opposé de toutes ces évidences (qui finissent donc par être considérées comme des exceptions, des extravagances, des singularités). Merci, donc, à Valli, de nous rappeler que beaucoup de ce qui passe aujourd'hui pour normal, ne l'est en réalité pas du tout.

Mais ... il y a un mais. Il y a cinq ans, à cette époque, Valli avait fait un autre rêve (apparemment, l'arrivée du printemps stimule en lui l'activité onirique). Il l'avait publié sur le site Vino Nuovo. Ce rêve était prophétique: avec exactement un an d'avance, il avait prédit le résultat du prochain conclave. Et disons que, grosso modo, il avait vu juste. Dans ce cas, il s'agissait de dix points: les dix décisions du nouveau Pape qui émergerait du conclave. Eh bien, ces dix décisions sont l'exact contraire du rêve de cette année. Un exemple. Dans le rêve d'il y a deux semaines, à un moment donné, Valli dit:

Je vais déjeuner avec un collègue et il me dit que le pape, pour ne pas se démarquer, a décidé d'aller vivre dans le palais apostolique, comme tous ses prédécesseurs.

Eh bien, le rêve d'il y a cinq ans s'ouvrait dans un sens complètement opposé:

En premier lieu, le nouveau pape décida de déménager. Élu au terme d'un conclave exténuant, au milieu de mille polémiques et conflits, et après que le règne de son prédécesseur se fût terminé en luttes de pouvoir aussi souterraines que violentes au sein de la curie, il décida de dire adieu au Vatican. Assez, il fallait donner un signal. Si cela n'avait tenu qu'à lui, il aurait déménagé à Assise, la ville des pauvres, mais Pierre, après tout, a connu le martyre à Rome. Donc, le nouveau pape ordonna: «Rome doit rester la ville du successeur de Pierre, mais plus de Vatican. Je vais vivre à Saint Jean de Latran. Là, j'ai ma chaire d'évêque de Rome, et comme le pape est pape en tant qu'évêque de Rome, et non vice versa, il est juste que j'habite au Latran».

Et ce n'était que la première décision. Elle était suivie par neuf autres, toutes sous le signe de l'utopie paupériste la plus rabâchée: «pas de pompe, pas de gardes, pas de gendarmes, pas de majordomes de sa sainteté, pas de cour pontificale»; «révocation de toutes les charges curiales et réduction drastique des bureaux»; «renoncement au titre de chef d'Etat»; «convocation d'un grand concile œcuménique Vatican III» (pas à Rome, mais en Terre Sainte); «non au concordat» [avec le gouvernement italien]; pour le nouveau conclave, «rendez-vous pour tous sur la Place St-Jean de Latran, en plein air»; pour ce qui concerne le Vatican, «plus de barrières, plus de portails»; au lieu de voitures de luxe, papamobiles et hélicoptères, utilisation des autobus, des tramways et du métro; première encyclique réduite à quelques mots: «En ce temps-là, Jésus entra dans le temple et se mit à chasser ceux qui y vendaient, en leur disant: "Il est écrit: 'Ma maison sera une maison de prière'. Mais vous en avez fait une caverne de voleurs".»

C'est ce que Valli a rêvé il y a cinq ans. A évidence, il a fait du chemin; et on ne peut que se réjouir. Sapientis est mutare consilium [c'est le propre du sage de changer d'avis, ndt]. Mais selon moi, quelques éclaircissements s'imposent. Par pitié, qu'on ne se méprenne pas: je ne demande pas à Valli d'abjurer ou même de retirer ses convictions précédentes. Désormais, l'abjuration, on ne l'exige même plus des hérétiques et des schismatiques. Pourtant, il ne me semble pas juste non plus de simplement fermer les yeux, comme si de rien n'était. Il est plus qu'évident qu'il y a eu une évolution dans la sensibilité et dans la pensée de Valli, et je crois que cela devrait être noté. Valli est journaliste; et un journaliste, selon moi, a des devoirs envers ses lecteurs: avant tout, le devoir de leur expliquer le sens et les motifs de certains retournements. Je m'explique. Si aujourd'hui on déplore certaines anomalies dans la vie de l'Eglise, alors qu'il y a seulement cinq ans, ces mêmes anomalies avaient été proposées et souhaitées comme signes de renouveau, il faut expliquer aux lecteurs ce qui est arrivé: pourquoi ce qui, il y a cinq ans, était les objectifs à atteindre, s'est-il tranformé aujourd'hui en anomalies à déplorer? Je ne voudrais pas que l'on tombe dans l'erreur commise envers certaines des idéologies modernes, en particulier le marxisme: beaucoup sont encore convaincus que le «socialisme réel» (celui qui avait été instauré en Union soviétique et dans les pays satellites) était une trahison de l'idéologie (considérée comme bonne en soi), une trahison dûe aux responsabilités et aux limites des hommes qui géraient la chose publique dans ces pays. Dans la pratique, l'erreur était, selon eux, dans l'application de l'idéologie et non dans l'idéologie elle-même [ndt: on a dit la même chose de la Révolution française, sans voir que 1789 contenait en germe l'exécution du Roi, Robespierre et la Terreur].

Eh bien, quelque chose de semblable pourrait se produire dans l'Église. Les idées exprimées par Valli dans son rêve de 2012 constitueraient l'idéal évangélique de l'Eglise; les anomalies que Valli déplore aujourd'hui dans l'Eglise dépendraient seulement des limites des hommes qui ont été appelés à mettre en oeuvre cet idéal. Personnellement, au contraire, je crois que les anomalies que nous rencontrons aujourd'hui dans l'Église sont justement la conséquence de ces idées. Le rêve d'il y a cinq ans n'était pas un idéal évangélique; c'était plutôt un distillat d'idéologie pure, dont nous voyons aujourd'hui les résultats. Et de ce point de vue, je pense qu'il est providentiel que l'Eglise fasse cette expérience: elle sert à ouvrir les yeux de beaucoup de ceux qui ont cru en ces idées. Ils pensaient qu'elles étaient l'évangile dans sa pureté, libéré des incrustations religieuses, politiques et culturelles qui s'étaient déposées sur lui au fil des siècles; en réalité, il s'agissait seulement d'une utopie, qui avait repris quelques éléments de l'Evangile, pour se faire accepter plus facilement, mais qui avait pour but de bouleverser l'Eglise.

A l'évidence, cette idéologie n'a pas été inventée par Valli, mais existait avant lui, et il s'en était entiché comme beaucoup d'autres catholiques (laïcs, prêtres, évêques et cardinaux). Et il ne faut même pas croire, comme pourraient le faire les traditionalistes, que c'est un fruit du Concile. Elle existait déjà bien avant que Vatican II ne fût convoqué. Et même, on pourrait penser que le Concile était précisément la tentative - soldée par un échec - utilisée par elle pour s'imposer à l'Eglise. Et, après le Concile, elle a continué à se répandre (se présentant même comme l'interprétation authentique du Concile Vatican II, comme «l'esprit du Concile»), en dépit de la résistance des papes qui se sont succédé, jusqu'à triompher dans ces dernières années. Et maintenant, en voyant les résultats de l'application de cette idéologie, vient la nostalgie d'une «normalité» qu'auparavant on critiquait, la prenant pour le retard de l'Eglise sur l'histoire (qui ne se souvient de l'une des dernières sorties du Cardinal Martini, particulièrement malheureuse: «l'Eglise est restée en arrière de deux cents ans»?). Maintenant que l'Eglise marche enfin avec les temps, on s'aperçoit que quelque chose ne va pas. Non pas parce que quelque chose a mal tourné dans l'application du projet mais tout simplement parce que le projet était mauvais.