Benoit-et-moi 2017
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Un schisme de facto dans l'Eglise

autour d'Amoris laetitia, mais pas seulement... (22/1/2017)

>>> L'image ci-dessous illustrait un article de Ross Douthat en 2015 intitulé "Le Pape François va-t-il briser l'Eglise" (que j'avais traduit ici: benoit-et-moi.fr/2015-I): deux ans après, ce n'est plus une question, mais une constatation objective.
Plusieurs articles font le point.

L'article de Marco Tosatti, qui concerne le cas de l'Allemagne, s'appuie sur l'analyse de Guido Horst, (ex?)-correspondant à Rome du quotidien catholique libéral allemand Die Tagespost (un peu l'équivalent allemand de la Croix...) et du site de la Conférence des évêques allemands.
Il n'y a évidemment pas qu'en Allemagne que le "schisme" fait plus que se dessiner... Et récemment, un article du site Campari & De Maistre, s'appuyant il est vrai plus sur des intuitions (fondées malgré tout sur des observations vérifiables) que sur une déclaration formelle d'une église locale par la voix d'une conférence épiscopale, parlait déjà de schisme latino-américain - mais pas en relation avec Amoris Laetitia (j'avais traduit l'article sans le publier, et je le fais aujourd'hui, voir annexe).

L'article de Guido Horst


UN SCHISME DE FACTO DANS L'EGLISE

16 janvier 2017
[Original en allemand www.die-tagespost.de, traduit en anglais et commenté - sur le sitewww.onepeterfive.com]
Guido Horst

* * *

Ces jours-ci, quiconque se promène au Vatican et parle avec un membre individuel du clergé de l'élargissement du conflit autour d'Amoris Laetitia se heurte au mutisme; c'est un mutisme qui peut aussi - en fonction de la sensibilité de l'ecclésiastique individuel à l'égard de la clarté théologique et du poids de la doctrine - s'élargir lui-même en désarroi complet. Avec son affirmation - telle qu'il l'a présentée à la télévision italienne - que certaines ambiguïtés du chapitre huit du document post-synodal «ne sont pas un danger pour la foi» et donc qu'une correction du pape est impossible en ce moment, le Cardinal Gerhard Müller a probablement fait une déclaration très importante. Il n'y aura pour le moment pas de réponse de François aux questions, respectivement aux doutes des quatre cardinaux. Dans le cas contraire, le préfet de la Congrégation pour la Foi n'aurait pas parlé de façon si nette. Mais les réponses viennent maintenant d'autres directions. L'Eglise de Malte est une petite église locale à la périphérie de l'Europe, mais l'archevêque de Malte, Charles Scicluna est un homme respectable, qui en tant que collaborateur de premier plan de la Congrégation pour la Foi a eu un rôle décisif au moment des scandales d'abus sexuels. Quand - en même temps que l'évêque de Gozo - il donne pour instruction aux pasteurs du petit Etat insulaire que chaque divorcé remarié peut décider lui-même avec Dieu de recevoir la communion, cela signifie clairement que chaque Église locale peut faire ce qu'elle veut. Le sillon s'approfondit. Florence contre Rome, la Pologne contre l'Argentine, Malte contre Milan. C'est ce qu'on appelle un schisme de fait

Le Vatican , qui était autrefois en mesure - par exemple, dans le cas du système allemand de centres de consultation pour femmes enceintes (*) - après une longue bataille, de mettre en œuvre une décision consacrée à la clarté du témoinage - à l'époque pour la vie - n'est maintenant plus capable d'assurer une telle clarté. Le pape est silencieux en ce qui concerne la lettre des cardinaux et il refuse ainsi indirectement de faire une déclaration claire sur la façon dont les paragraphes controversés d'Amoris Laetita doivent être lus à la lumière des déclarations des papes précédents. Cela aussi est une réponse. Et le préfet de la Congrégation pour la Foi déclare que les débats concernant la clarification papale demandée est maintenant trerminé. Rome n'est plus une autorité qui apporte la clarté, mais une observatrice tranquille regardant silencieusement comment et en combien de temps l'unité de l'assistance pastorale de l'Eglise part en miettes.

Comme cela arrive si souvent, cela se fait sur le dos des "petites gens". Dans cette affaire, il y a de nombreux pasteurs qui devront expliquer aux fidèles - et aussi à ceux qui se tiennent à distance de l'Église - ce qui a changé exactement aujourd'hui. La morale, les sacrements, la pastorale? La bonne intention du pape - à savoir que les pécheurs et les faibles ne s'auto-excommunient plus, mais reconnaissent qu'il y a aussi encore une place pour eux dans l'Eglise - menace donc de se noyer dans l'ignorance des pasteurs et avec une controverse de plus en plus venimeuse entre théologiens et évêques. Le Cardinal Carlo Caffarra a raison quand il dit que c'est particulièrement un fardeau pour les prêtres - un fardeau qu'ils ne peuvent pas porter. Mais, aujourd'hui, ils sont laissés seuls.

* * *

NDT
(*) En janvier 1998, après une longue semaine de débats passionnés et deux jours de discussions à huis clos les évêques allemands ont décidé de se plier à la demande de Jean-Paul II sur la question de l'avortement : l'Eglise catholique allemande ne délivrera plus, au sein de ses centres d'accueil et de conseil sur la grossesse et l'avortement, les certificats dont les femmes enceintes ont besoin pour pratiquer une interruption volontaire de grossesse (www.la-croix.com).

Commentaire de Marco Tostti


LES ALLEMANDS ADMETTENT:
AMORIS LAETITIA A PROVOQUÉ UN SCHISME DE FAIT. LE PAPE DOIT CLARIFIER.
www.marcotosatti.com

Il ne mâche pas ses mots, Guido Horst, commentateur du journal catholique allemand Tagespost dans un court article sur l'état de l'Eglise après Amoris Laetitia. «Un schisme de fait», écrit-il. Un terme qui, si notre mémoire est bonne a déjà été utilisé dans le passé récent par l'évêque auxiliaire d'Astana, Athanasius Schneider.

Le fait que dans le même temps, le journal dirigé par le Secrétariat de la Conférence épiscopale italienne, Avvenire, consacre au contraire un article à dire qu'en réalité tout va bien, et se demande «qui sait ce qu'il faudra encore pour mettre fin à un débat qui semble absurde à de plus en plus de fidèles?», est un indice d'une division qui s'élargit chaque jour, au lieu de se recomposer

Mais lisons ce qu'il dit Horst, dans son article intitulé: «UN SCHISME DE FAIT» .
Horst interprète les déclarations faites par le cardinal Müller comme une confirmation qu'«il n'y aura aucune réponse aux questions de François, et en particulier aux doutes des quatre cardinaux».

Mais la réponse est déjà venu de Malte, ajoute Horst. Quand les deux évêques de l'île «donnent pour instruction aux pasteurs du petit Etat insulaire que chaque divorcé remarié peut décider lui-même avec Dieu de recevoir la communion, cela signifie clairement que chaque Église locale peut faire ce qu'elle veut. Le sillon s'approfondit. Florence contre Rome, la Pologne contre l'Argentine, Malte contre Milan. C'est ce qu'on appelle un schisme de fait».

Ajoutons ici une brève note: espérons quece qui est rapporté sur l'évêque de Gozo, Mario Grech - suspendre a divinis les prêtres qui n'accordent pas la communion aux divorcés remariés - n'est pas vrai. Même si, dans le climat que l'Eglise vit d'aujourd'hui, cela peut sembler une menace plausible, au grand dam de la liberté de conscience.

Le problème, affirme Horst, est que le pape est muet. «Le pape est silencieux en ce qui concerne la lettre des cardinaux et il refuse ainsi indirectement de faire une déclaration claire sur la façon dont les paragraphes controversés (en réalité, il s'agit de notes) NDR) d'Amoris Laetita doivent être lus à la lumière des déclarations des papes précédents». Et du Catéchisme de l'Eglise catholique, ajoutons-nous. Ainsi, «Rome n'est plus une autorité qui apporte la clarté, mais une observatrice tranquille regardant silencieusement comment et en combien de temps l'unité de l'assistance pastorale de l'Eglise part en morceaux». Et les prêtres, les prêtres individuels, sur lesquels sont finalement déversées toutes les pressions «sont laissés seuls».

Des mots durs, en particulier parce qu'ils viennent de quelqu'un qui ne peut certainement pas être classé parmi les opposants ou des détracteurs du règne actuel. Tout comment est certainement en faveur du Pape le commentaire de Björn Odendahl sur le site des évêques allemands, Katholisch.de, où il déplore, en tant que progressiste, le silence du pape: «D'une certaine façon, écrit-il, les conservateurs ont raison: les paroles du Pape ne sont pas assez claires. Il devrait élever la voix et mettre rapidement un terme à ces événements qui nuisent à l'Eglise».

Selon nous, il est peu probable qu'il le fasse, permettant que l'Église subisse une division sur un thème central comme l'Eucharistie et les paroles de Jésus sur le mariage, probablement sans précédent dans les temps modernes.

Nous croyons qu'il ne fera pas, car ce qu'a dit l'archevêque Bruno Forte en Avril 2016 nous semble très éloquent. Durant le Synode, le Pape lui aurait confié (cf. benoit-et-moi.fr/2016/actualite/confidences-de-mgr-forte et benoit-et-moi.fr/2016/actualite/quand-forte-vend-la-meche): «Si nous parlons explicitement de communion pour les divorcés remariés, ceux-là, tu ne sais pas quel bazar (casino) ils vont nous combiner. Alors, n'en parlons pas de manière directe, fais en sorte qu'il y ait les conditions, et après, les conclusions, c'est moi qui les tirerai».
Mgr Forte était Secrétaire spécial du Synode des Évêques, auteur du contoversé «rapport intérmédaire», désavoué par le Président de l'Assemblée, le cardinal Erdo, et largement non acceté par les groupes de travail du Synode. Et Mgr Forte a commenté: «Typique d'un jésuite». Ajoutant que l'exhortation apostolique «ne repreésente pas une nouvelle doctrine, mais l'application miséricordieux de celle de toujours».
Si l'anecdote racontée par Mgr Forte est vraie, et il n'y a aucune raison d'en douter, on comprend mieux le degré de confusion et d'ambiguïté, ainsi que de diversité des interprétation suscité par l'exhortation apostolique. C'est-à-dire une absence délibérée de clarté qui rappelle les polémiques et les accusations laïcites qui depuis des siècles ont pour cible la Compagnie de Jésus. Fruit d'une stratégie mise en place avant même que les travaux du Synode 2014 aient commencé.

Annexe: "Campari & de Maistre


OÙ VA L'ÉGLISE? LE POSSIBLE SCHISME LATINO-AMÉRICAIN
www.campariedemaistre.com
(Ma traduction)
David Lovat
10 Janvier 2017

* * *

Les grand schismes advenus dans l'Eglise fondée par Jésus-Christ dans les mains de Pierre et des apôtres, sous la supervision de Marie avec la descente de l'Esprit Saint à la Pentecôte, ont tous eu une base historico-politique contingente que nous pourrions qualifier de cause accidentelle et une base anthropologico-culturelle qui en représente la cause réelle primaire: elle concerne l'essence même des peuples qui y adhèrent en leur temps.

Par exemple, les peuples slaves adhèrèrent en grande partie au schisme orthodoxe du XIe siècle après un conflit qui durait depuis quatre siècles et qui portait sur les questions théologiques et ecclésiologiques connues des savants, mais plus profondément, il avait à voir avec une manière d'organiser la structure familiale, sociale, juridique et politique différente entre le «monde catholique» et le «monde slave», lequel s'était structuré progressivement durant ces siècles, sortant de la barbarie précédente; quand le processus anthropologico-culturel de la formation d'un «monde slave» bien caractérisée fut mûr, le schisme depuis longtemps latent dans la cour byzantine put se consommer.

De même, les Anglo-Saxons adhérèrent à l'hérésie protestante de Luther, ou à celle de Calvin, mais le schisme anglican [ne] se produisit [qu']au XVIe siècle; les conditions historico-politiques étaient différentes pour les nombreuses composantes de la galaxie protestante mais la période fut commune, car la base anthropologico-culturelle était commune: ils avaient désormais formé le «monde anglo-saxon» qui divergeait du «monde catholique» par la façon de concevoir la vie sociale, du droit civil au droit de la famille jusqu'à la manière même d'envisager l'être humain dans le monde et par rapport à la divinité, de sorte que lorsque les différences et les frontières géopolitiques furent définies le schisme mûrit comme conséquence naturelle.

Aujourd'hui, c'est le «monde latino-américain» qui a pris une forme particulière bien à lui, du point de vue politique, économique, social et même religieux, cinq siècles après la colonisation et à quelque deux siècles du processus d'indépendance de l' Espagne et du Portugal. Il va vers une nouvelle doctrine d'origine chrétienne qui mélange, avec des éléments de catholicisme colonial, le protestantisme avec le marxisme. L'Amérique latine n'a concrétisé qu'au cours des 40 dernières années sa spécificité anthropologico-culturelle et aussi théologique (la «théologie de la libération» condamnée par saint Jean Paul II avec les documents Libertatis Nuntius et Libertatis conscientia, condamnation jamais acceptée par ses représentants), sortant de la condition de colonie culturelle de l'Europe pour enfin devenir un continent par lui-même, de sorte que nous assistons aujourd'hui à un schisme rampant fondé sur une hérésie déjà déclarée et condamnée - le cathomarxisme de la théologie de la libération - jailli de façon naturel du continent sud-américain, où politiquement se répandent les populismes fondés sur le socialisme, sur l'écologisme (le culte ancestral pré-colombien de la Pacha Mama, qui est la «déesse Terre», la Gaïa grecque), sur le tiersmondisme, sur la lutte des classes marxistes remise à jour et revisitée dans une perspective mondialiste.

Inutile de répéter que, dans cette phase historique, ils ont un leader très en vue, les évêques et les cardinaux de ces terres, et leur vision du christianisme trouve des prosélytes même en Europe, dans cette partie de l'Eglise qui fut fascinée par les mêmes questions sociales et politiques, à partir de 68.

Les éléments pour le schisme sont tous là: d'abord, parce qu'un courant politiquement important, tant dans le clergé que dans la société, adhère à une nouvelle interprétation de la doctrine chrétienne, différente dans les fondamentaux de celle traditionnellement pratiquée - depuis deux millénaires - dans l'Église catholique; etensuite, parce que, comme pour les Slaves et les Anglo-Saxons à l'époque, le processus des Latino-Américains est avant tout un processus d'évolution socio-culturelle de vastes dimensions, avec une base territoriale et donc géopolitique homogène, qui se traduit alors, entre autres choses, en une élaboration théologique potentiellement schismatique.

Dans les cas précédents de l'histoire de l'Eglise tous les hérétiques et les schismatiques s'en sont toujours pris aux catholiques attachés à la Tradition apostolique, prétendant être les «vrais chrétiens», les accusant de trahir «le véritable esprit de l'Evangile» qui est évidemment le nouveau découvert par eux; et c'est la même chose aujourd'hui, comme en témoignent les réactions des représentants de l'avant-garde de cette «Église œcuménique libérationniste» aux protestations, ou même aux critiques courtoises, de ceux qui ont mis en évidence l'hétérodoxie des impulsions innovatrices en provenance de ce monde.

L'avenir nous dira ce qui se passera pendant et après l'actuel pontificat de François, mais ce ne seront pas les questions doctrinales qui provoqueront un schisme; elles n'en seront tout au plus que le prétexte et la justification. En Amérique du Sud, la crise du catholicisme est en effet déclarée, avec une forte baisse du nombre des fidèles, qui passent à l'athéisme ou aux églises évangéliques, et cela dépend[ra] de l'évolution sociale et culturelle particulière de ce continent. Encore une fois le poids de l' anthropologie culturelle dans les choix religieux se démontre bien supérieur à la compréhension des questions théologiques et doctrinales par la masse, et le «monde latino-américain» aujourd'hui semble s'être définitivement constitué comme réalité propre, psychologiquement émancipée de sa racine européenne. Les conséquences dans le domaine ecclésiastique et religieux pourrait être automatiques.