Benoit-et-moi 2017
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"Ma conception du Sacerdoce"

Un exposé du cardinal Ratzinger, à Fribourg (Allemagne) en 1978, à l'occasion du Congrès Catholique allemand (5/5/2017)

Ce beau texte trouvé sur le site <Un puente de fe> est issu du site de l'hebdomadaire catholique espagnol <alfayomega.es>, qui en explique la genèse.
En septembre 1978, le 86ème congrès catholique allemand réunissait à Fribourg le cardinal Ratzinger et Mère Teresa de Calcutta. Jean-Paul 1er venait d'être élu (le 26 août), et il commençait son bref règne (il devait mourir le 28 septembre); Karol Wojtyla (qui allait être élu Pape un mois plus tard), n’avait pas pu venir mais avait envoyé son discours par courrier. Le doyen de la Faculté de l’Université Ecclésiastique Saint Damas de Madrid, Gerardo del Pozo, a traduit en espagnol l’intervention du cardinal Ratzinger, après en avoir retrouvé le texte dans une librairie de livres anciens en Allemagne. Le futur Benoît XVI parle de ce qui soutient son sacerdoce.

Il va sans dire que cette traduction au deuxième degré (un texte original en allemand, traduit en espagnol puis en français à partir de cette verson), n'est pas "officielle", d'autant plus que ladite version espagnole contient apparemment des lourdeurs d'expression pas toujours faciles à rendre dans notre langue si l'on veut conserver un minimum de fluidité à sa lecture, mais nous pensons que le sens a été préservé...

UN TÉMOIGNAGE SACERDOTAL SINGULER DU CARDINAL RATZINGER
Le jour où Joseph Ratzinger parla de sa vocation sacerdotale en présence de Mère Teresa

Cardinal Ratzinger
www.alfayomega.es
Traduction de Carlota

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Je veux commencer en remerciant cordialement pour cet accueil chaleureux que nous avons reçu ici et qui nous fait sentir physiquement pour ainsi dire la communion de la foi et la joie de l’Evangile.
Cela me rappelle une expérience de ces dernières semaines dont je veux faire partir mes réflexions, parce que dans cette expérience est récapitulée et rendu visible, comme à travers une loupe, ce que j’ai connu pendant les 27 ans de mon sacerdoce, à l’occasion des nombreuses petites expériences que j’ai eu à vivre.

Je pense à cette mémorable après-midi du 26 août, quand, après l’élection papale, nous [les cardinaux] à côté du Saint Père, sommes entrés dans la galerie (/tribune) de la Basilique Saint Pierre et, regardant, vers le bas, il nous a été donné de vivre une expérience extraordinaire. Après que le Pape eût donné sa bénédiction, j’ai vu non seulement une joie indescriptible se répandre, mais les hommes ont commencé à danser, un enfant faisait des sauts, des gens qui ne se connaissaient pas se donnaient mutuellement la main et étaient heureux; comme si tout le monde avait été touché par une étincelle de joie à laquelle personne ne pouvait se soustraire.

C'était un événement profondément émouvant, dont la grandeur et la totale singularité faisaient ressortir en contre-lumière d’autres souvenirs d’un caractère différent. Par exemple, je pensais rétrospectivement au cri Heil que nous avons connu en des temps malheureux; dans lequel il y avait toujours de la haine et en même temps de l’angoisse, de la peur et de la violence. Là il n’y avait rien de cela, rien de commandé, une joie spontanée qui unissait tout le monde mais dans laquelle chacun se retrouvait en lui-même.

Je me suis demandé: que se passe-t-il de particulier ici? Et l’on peut d’abord répondre: les hommes attendent à cet instant un père, un père qui n’appartient pas à celui-là ou à cet autre, mais à tous, qui incarne cela, qui rend visible et perceptible la confiance et l’appartenance mutuelle. C’est sans doute vrai, mais ce n’est pas tout, il y a que chose de plus derrière.

Les hommes ont le désir de quelqu’un qui n’agisse pas simplement à partir de sa capacité propre, parce qu’il a une aptitude à diriger, parce qu’il peut parler, parce qu’il peut enthousiasmer les hommes, se présenter devant eux et les convoquer. Ils aspirent à un être qui ne parle pas en son nom propre, un être qui représente quelqu’un ou quelque chose qu’il ne peut être en aucune façon. Un être qui ne console pas parce qu’il est formé pour cela, mais parce qu’il a un pouvoir qui est plus grand que ce que tous les hommes peuvent faire par eux-mêmes. Ils aspirent à quelqu’un qui accueille personnellement, de l’intérieur, ce pouvoir objectif, et qui le présente de façon crédible.

Et quand cela arrive, alors deviennent visibles l'aspect proprement humain et en même temps l'essence spirituelle théologique du ministère sacerdotal, du sacrement de l'Ordre. On voit comment le sacrement correspond à ce qui est originellement humain et comment l'aspect originellement humain renvoie à l'essence proprement chrétienne. Nous aspirons à ce qui n'apparaît pas visible en soi, à ce qui représente quelque chose de plus grand, à ce qui vient d'un pouvoir objectif pour annoncer la joie, la bonté et l'appartenance mutuelle. Et dans le langage de l'Eglise nous appelons sacrement, consécration sacerdotale, cette objectivité sans laquelle le tout se réduit de nouveau au particulier.

Ceci n'est pas une affaire apparemment sacerdotale, ne contribuant en rien, à proprement parler, à la réalité en soi, comme cela apparaissait parfois au cours des années passées agitées, mais c'est plutôt une nécessité interne, justement ce dont nous avons besoin, ce qui est l'objet de notre recherche.


Le culte du Führer face au sacerdoce.
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Des témoignages de l’Ancien et du Nouveau Testament, il ressort toujours que Dieu ne choisit pas quelqu’un qu’on soupçonnerait d’avoir apparemment toutes les conditions et capacités humaines, le charisme du commandement, de la parole, et qui entraîne ainsi avec lui. Dieu met de côté toutes ces capacités et choisit quelqu’un qui apparemment est inapproprié, quelqu’un auquel on n’avait pas pensé. Exaltavit humiles [il a élevé les humbles - paroles du Magnificat]. Il a renversé les puissants et a cherché les autres. C’est l’idée centrale dans l’Ancien et du Nouveau Testament et c’est elle qui explique la signification du sacrement de l’ordination sacerdotale.

Ce n’est pas lié au fait que quelqu’un ait d’emblée de grandes qualités pour diriger. Elles peuvent conduire à ce qu’il occupe le premier plan ; à ce que, pour ainsi dire, l’on ne parle que de lui et que sa force même semble un élément décisif. Mais en fin de compte, c’est insuffisant. C'est lié, au contraire, au fait que le Seigneur se rend présent et que l’élu peut s’effacer devant lui. Et qu’en s’effaçant, il laisse la place au Seigneur. C’est la grande différence entre le culte du Führer et le sacerdoce. Dans le culte du Führer un homme s’impose et obtient que l’on se confie à lui. Dans le sacrement [de l’ordination sacerdotale] un homme s’efface, laisse la place libre pour l’Autre qui nous soutient et nous porte en avant vers les autres. Avec ce présupposé, cela exige que celui qui est ainsi appelé dise oui à la tâche objective, à la forme objective qui le précède et qu’il l’accomplisse de l’intérieur, la vive et la rende crédible. Cela signifie que, d’un côté, ce ne doit pas être d’une façon telle que seul se présente quelqu’un qui conduit les hommes à lui, mais quelqu'un qui s’efface devant un pouvoir plus grand dont nous avons besoin, que nous a donné le Seigneur. Toutefois, on ne peut pas accomplir sa mission seulement comme un fonctionnaire ; comme si l’on assumait un rôle qui reste en dehors de sa propre vie, sans devoir se livrer en la vivant et en la rendant crédible aux autres et en même temps en se retrouvant soi-même.


Être nécessaire pour les autres.
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Pour revenir au début, si je regarde en arrière ces 27 années (de sacerdoce), qu’est ce qui m’a justement fait aller de l'avant, au fil du temps, dans les orages, les crises, les remises en question à l’extérieur et intérieurement ? Je dirais ceci : ce fut d’abord naturellement la rencontre intérieure avec le Seigneur ; l’expérience qu’Il est là, que toujours il m’accueille et me guide, qu’il me tire de mes égarements, qu’il va avec moi et me parle réellement. Et tout ce qui m’avait été transmis en connaissance, en expérience et également en foi reçue et vécue, a été important.

Mais finalement, ce qui a été décisif, c’est cela: expérimenter dans tout cela l’appel à être nécessaire [pour les autres] et la confiance de rester ainsi dans la mission et dans la vie intérieure à partir d'elle. Cette confiance, cette rencontre avec l’ être nécessaire, qui recherche précisément celui qui ne s’annonce pas lui-même, mais qui se compromet avec l’appel du Seigneur, se laisse modeler par lui et le communique ; cette confiance oblige que l’on soit soi-même quelqu’un en qui l’on a confiance, et à s’en assurer intérieurement. On est soutenu, comme je l’ai toujours éprouvé, quand il nous est permis de donner aux autres. Ainsi, dans la mesure où l’on avait confiance en moi, on me soutenait, aussi, on me faisait éprouver que je suis quelqu’un en qui on a confiance, que je dois assumer la responsabilité de cette confiance et vivre en harmonie avec elle. C’est sous cette forme que se reproduit encore et encore, dans cette rencontre - comme je le crois -, la construction réciproque de l’Église : dans la mesure où nous donnons, nous sommes gagnants. Ce n’est pas pour moi une phrase mais une expérience de vie. En pouvant soutenir les autres, je suis moi-même soutenu.

Et en tout cela, nous expérimentions cette vérité : nous n’avons pas été laissés seuls, mais le Seigneur va avec nous. Et en lui, en nous faisant confiance mutuellement et en nous portant les uns les autres, c’est Lui-même qui nous porte, qui se présente une fois de plus au milieu de nous et nous offre avenir et espoir.

Cardinal Joseph Ratzinger