Benoit-et-moi 2017
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Mon ami Joseph Ratzinger

Reprise d'une interview de Marcello Pera par Giuseppe Rusconi, en 2014 (24/7/2017)

19 Juin 2014
www.rossoporpora.org
(ma traduction, extrait)

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(...)

- Sénateur Pera, comment avez-vous connu le cardinal Joseph Ratzinger?
- Je suis allé lui rendre visite dans son bureau de Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, ayant été impressionné par beaucoup de ses écrits. J'ai été frappé en particulier par son livre «Foi, vérité et tolérance». Je ne pensais pas que le relativisme avait pénétré même dans certains domaines de la théologie chrétienne, et lui m'a éveillé et inquiété. Si les chrétiens renoncent à l'idée de vérité, à quoi de réduit notre religion? Et puis: quelles sont les conséquences pour notre identité d'un christianisme réduit uniquement à un «récit», comme on dit aujourd'hui, aussi bon que n'importe quel autre?

- Q'est-ce qui vous a tout de suite frappé chez le cardinal?
- L'homme et l'intellectuel. J'ai immédiatement perçu une personnalité du plus haut niveau. Brillant, clair, direct, avec une pensée systématique et très articulée. Il considère son interlocuteur avec attention et respect et ne cache aucun problème. Il parle laïquement, comme il écrit, pas par sermons ou catéchisme, mais par concepts et raisonnement rigoureux. Il écoute les questions et ne se soustrait à aucune difficulté. Je me suis toujours senti à l'aise, comme devant un maître. Dans ma vie, j'en ai connu de première grandeur, comme Popper, et il est un de ceux-là. Pas seulement un théologien, mais un grand philosophe, ouvert, critique, profond, et avec une vaste culture dans de nombreux domaines. Et il a un don personnel que seuls les grands possèdent: il est doté de modestie intellectuelle, ce qui lui permet de marier l'esprit critique et même auto-critique avec la vérité en laquellel il croit. Ensuite, il y a l'aspect personnel: courtois, disponible, attentif, scrupuleux. Et surtout franc. Je peux dire que dès que nous avons commencé à parler de la question du relativisme, qui était l'objet de mon premier intérêt pour lui, j'observai aprudemment qu'il me semblait qu'il faudrait plus de force de réaction de la part de l'Eglise. Il m'a surpris parce qu'il m'a répondu: «Beaucoup de nos évêques manquent de courage». Je le pensais, mais lui l'a dit.

- Comment se sont développées les relations entre vous?
- Nous nous sommes revus plusieurs fois, sans jamais discuter de questions politiques au sens strict. Un thème alors à l'ordre du jour au Parlement était l'Europe. Et un jour, justement sur la situation culturelle et spirituelle de l'Europe, je l'ai invité à donner une conférence à la bibliothèque du Sénat. C'est alors qu'est né «Sans racines»: une conversation non plus privée, mais publique et écrite.

- Quelles sont les questions sur lesquelles vous vous êtes trouvés en harmonie?
- En plus de l'Europe, que je considérais et considère comme un désert spirituel, la relation entre laïcs et croyants. Cela aussi est une caractéristique de l'œuvre de Joseph Ratzinger: parler avec les laïcs et les mettre au défi. Par-dessus tout, pour le laïc, la question est: sur quoi se fondent ces valeurs auxquelles vous dites être particulièrement lié? De quelle façon les argumentez-vous et les défendez-vous, aujourd'hui où elles sont attaquées de l'intérieur et de l'extérieur? Nous connaissons la réponse, qui est toujours la même depuis les Lumières: la raison. Oui, mais qu'offre la raison quand ce qui est en question, c'est précisément cette même raison? Si la raison d'un groupe arrive à la conclusion qu'il est «rationnel» de permettre, par exemple, l'avortement et si la raison d'un autre groupe le nie, à quelle raison doit-on recourir? Et quand la raison européenne est contestée et attaquée, par exemple, par la raison islamique, à qui pouvons-nous nous adresser et comment pouvons-nous résoudre le conflit? Il ne suffit pas de dire «dialogue», comme non seulement les laïcs, mais aussi une grande partie de l'Eglise d'aujourd'hui le disent: le dialogue n'est pas un dialogue s'il n'existe pas de critère pour dialoguer. Ce critère est-il construit par la raison, ou bien est-ce la raison qui le découvre? Et si elle le découvre, de quelle manière? Avec une illumination? C'est sur ce point que Ratzinger, pourtant si amoureux de la raison comme le dernier des laïcs, porte le terrain de la discussion sur la vérité. Et on en vient ainsi aux limites du relativisme. Problèmes fascinants, et de la plus grande actualité politique, même si ce n'est pas évident à première vue.

- La relation a continué même quand Joseph Ratzinger est devenu pape? De quelle manière?
- Oui, nous nous sommes rencontrés après, et cela a continué au fil du temps. Je le remercie encore et je lui serai toujours débiteur pour les opportunités de rencontres privées qu'il m'a données. Ce n'était pas facile pour lui, mais il était toujours généreux de lui-même. Je ne l'oublierai jamais. Tout comme je n'oublierai jamais la préface qu'il a voulu écrire de mon livre «Perché dobbiamo dirci cristiani». C'est seulement quelques pages, mais si on lit attentivement, on peut y trouver un trésor.

- La renonciation du pape Ratzinger vous a surpris, touché? La considèrez-vous comme un acte rationnel? Selon vous, quelles sont les conséquences principales d'un tel acte?
- Elle m'a peiné, mais pas surpris. On n'est pas surpris quand quelqu'un devient vieux ou perd son énergie, au plus, on le regrette. Mais j'ai compris son geste, ou j'ai cru le comprendre. C'est comme s'il s'éait adressé au Seigneur à genoux et qu'il avait dit: «Seigneur, que veux-tu de moi? Comment puis-je te servir, maintenant que mes forces deviennent insuffisantes? Comment puis-je porter Ta croix et satisfaire les exigences que tu as placées sur mes épaules? Comment puis-je servir Ton Eglise, en un moment pour elle si difficile, si mes énergies ne suffisent pas à corriger?». Beaucoup de gens, même dans l'Église, ont du mal à se faire une raison pour sa démission, et je les comprends aussi. Mais cela me semble une paresse intellectuelle. Cette paresse peut devenir arrogance, il faut au contraire la transformer en un acte de foi, comme pour Benoît XVI. Quant aux conséquences, on ne peut pas en parler, tout simplement parce que celui du Pape a été un acte prophétiquee, et la prophétie ne se mesure pase par des calculs à court terme. C'est un dessein de Dieu.

- Vous avez encore des relations avec le pape émérite? Comment se configurent-elles?
- Oui, je le vois encore, et pour moi c'est une grande joie, une bénédiction. Notre dialogue et notre communion intellectuelle continuent. Et cela me fait un immense plaisir de le voir dans son appartement et d'échanger avec lui. Il a la sa lucidité intellectuelle de toujours.

(...)

Ma traduction de la totalité de l'interview ainsi qu'une présentation sont à lire ici: benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/mon-ami-le-pape