Abus sexuels: la justice fédérale US s'en mêle

Aldo Maria Valli résume les faits, à partir d'informations parues dans la presse américaine (29/10/2018)

L'attornay Mc Swain

Il n'y a pas si longtemps, j'aurais trouvé (peut-être à tort, mais je n'imaginais pas l'étendue des méfaits) que c'était une ingérence insupportable d'un gouvernement hostile dans les affaires de l'Eglise. Mais dans le contexte actuel, c'est plutôt une bonne nouvelle. Même si le risque existe que cela fonctionne comme un boomerang et que dans le futur, une ingérence de ce type concerne des faits pour lesquels la position de l'Eglise, ou du moins de la partie saine du clergé - par exemple l'opposition à l'avortement - pourrait être interprétée comme un délit relevant du pénal. Mais cette fois, l'intervention d'un poids lourd comme la justice fédérale des Etats-Unis, qui ne lâchera pas prise, pourra permettre de crever enfin cet abcès, et surtout de mettre un terme aux agissements infâmes de certains prélats, bénéficiant de protection en (très) haut lieu..

Enquêtes sur les abus. A présent, aux États-Unis, le gouvernement fédéral entre en lice


Aldo Maria Valli
www.aldomariavalli.it
19 octobre 2018
Ma traduction

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Le ministère de la Justice des États-Unis a ouvert des enquêtes sur les abus sexuels dans l'Église catholique advenus dans l'État de Pennsylvanie. C'est ce que rapportent les médias américains, selon lesquels tous les diocèses de l'État ont confirmé qu'ils ont reçu des mandats pour la présentation de documents conservés dans leurs archives.
C'est la première fois que le gouvernement fédéral des États-Unis intervient dans des cas d'abus sexuels commis par des responsables de l'Eglise. Jusqu'à présent, en effet, les affaires avaient toujours été traitées par les États et les autorités locales.
«Le diocèse de Pittsburgh a reçu le mandat du ministère de la Justice et coopérera à l'enquête sur les abus», confirme le père Nicholas S. Vaskov, porte-parole du diocèse.
Les mandats font suite à la publication du rapport sur les abus sexuels rédigé par le Grand Jury de Pennsylvanie, un document de mille quatre cents pages, fruit d'années d'enquête.
Le grand jury du parquet de Pennsylvanie, présidé par le procureur général Josh Shapiro, a révélé qu'au moins depuis les années 1940, des centaines de prêtres ont abusé de milliers de fidèles, souvent mineurs, tandis que leurs supérieurs les ont systématiquement couverts.
Le rapport, le plus complet jamais produit par une agence gouvernementale aux États-Unis sur les cas d'abus, rassemble une quantité énorme de témoignages et de documents, révélant le mécanisme de dissimulation mis en place par les autorités ecclésiastiques pour minimiser ou dissimuler les abus. Certains des dirigeants de l'Église impliqués, non seulement sont restés à leur poste, mais ont gravi les échelons de la hiérarchie, comme dans le cas du successeur de Theodore McCarrick à Washington, le cardinal Donald Wuerl (soixante-dix-huit ans le 12 novembre prochain), dont la démission a été acceptée par le pape il y a quelques jours seulement.
Selon deux sources qui se sont entretenues avec l'Associated Press à condition de préserver l'anonymat, l'initiative du ministère de la Justice marquera un saut qualitatif dans l'enquête, compte tenu de ses pouvoirs.
«Il s'agit d'un fait "pionnier"», commente Marci Hamilton, directrice de Child USA, un groupe de réflexion interdisciplinaire qui vise à étudier et à prévenir les cas d'abus et d'abandon de mineurs. «Jusqu'à présent, en effet - explique Mme Hamilton -, le gouvernement fédéral était resté complètement silencieux au sujet des enquêtes menées à charge contre les représentants de l'Église catholique».
Au moins sept des huit diocèses catholiques de Pennsylvanie (Philadelphie, Pittsburgh, Scranton, Érié, Greensburg, Allentown et Harrisburg) ont admis avoir reçu des assignations et se sont déclarés prêts à coopérer avec des fonctionnaires du ministère de la Justice.
«La citation à comparaître n'est pas une surprise pour nous, si l'on considère l'horrible conduite des autorités ecclésiastiques, détaillée dans le rapport du Grand Jury, dans tout l'Etat», dit dans une note le diocèse de Greensburg. «Les survivants, les paroissiens et le grand public veulent voir que chaque diocèse a entrepris une action radicale, décisive et de fort impact. Nous pensons que c'est une nouvelle occasion de rendre le diocèse plus transparent. Nous nous considérons comme un partenaire des forces de l'ordre, avec l'objectif d'éliminer les abus».
L'objectif du procureur (attorney) des Etats-Unis, William McSwain de Philadelphie, qui est à l'origine des citations, est de vérifier si des séminaristes, prêtres, évêques ou autres ont commis des crimes d'importance fédérale. McSwain, nommé par le président Donald Trump au début de cette année, demandera à certains membres de l'Église catholique de témoigner devant un grand jury fédéral à Philadelphie, mais cela pourrait prendre des mois, étant donné la masse énorme de documents à étudier.
McSwain a demandé aux évêques de lui remettre toute preuve utile à l'enquête, y compris d'éventuelles images téléchargées et utilisées par téléphone ou ordinateur.
«Je suis électrisé à l'idée que nous puissions enquêter en profondeur. Maintenant, le gouvernement fédéral américain va mettre tout son poids et toutes ses ressources dans l'enquête», a déclaré Shaun Dougherty, 48 ans, de Johnstown, qui a signalé aux autorités qu'il avait été abusé par un prêtre quand il était enfant.
Deux diocèses catholiques de rite oriental en Pennsylvanie ont également admis faire l'objet d' une enquête.
Si les procureurs fédéraux pouvaient prouver que les fonctionnaires de l'Église ont systématiquement dissimulé des abus de prêtres au cours des cinq dernières années, les diocèses pourraient également être inculpés en vertu du Racketeer and Corrupt Organisations Act, alias RICO, la loi initialement adoptée pour combattre le crime organisé et en particulier la mafia.
Il s'agit d'une «grande escalade» dans le contrôle du gouvernement sur l'Eglise, affirme Rod Dreher, écrivain et journaliste qui suit depuis des années les événements liés à ces abus. «La décision d'ouvrir une telle enquête, même limitée à un seul Etat, est digne d'être soulignée parce que jusqu'à présent, le gouvernement fédéral avait toujours évité d'affronter les accusations selon lesquelles l'Église aurait caché pendant des décennies l'ampleur du problème des abus sexuels parmi ses prêtres, permettant aux abuseurs de continuer à travailler et à vivre en toute tranquillité dans la communauté».
«C'est une évolution surprenante, incroyable et bienvenue», a déclaré Michael Dolce, un avocat qui représente les victimes d'abus sexuels.

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