Des 'gilets jaunes' (potentiels) en Espagne aussi?

Journée Mondiale des Pauvres: le Père Jorge González Guadalix dresse un portrait de "l'Espagne d'en bas", celle qui n'a pas les honneurs des médias (et n'a pas droit à la sollicitude du Pape) et qui survit tant bien que mal, loin des grandes métropoles. Il n'y a donc pas qu'en France ? (22/11/2018)

>>> Dernier article du même: Une Eglise de "taifas"

 

Le P. Jorge Gónzalez Guadalix écrit aujourd’hui [18 novembre] un texte à l’occasion de la Journée Mondiale des Pauvres instaurée par le Pape François. Un texte qui tombe à pic ! Il parle d’une certaine réalité qui est aussi une réalité française, celle d’une France qu’une autre « France » ne veut surtout pas voir. Quoi, elle existe encore cette France-là ! Une France que certains voudraient disparue. Une France de toujours face au Mondialisme ? La France des « gilets jaunes » pourrions-nous peut-être dire pour faire référence à l’actualité immédiate ?
(Carlota)

On ne passera pas à la télé

La Sierra Norta


Père Jorge González Guadalix
18 novembre 2018
www.infocatolica.com
Traduction de Carlota

* * *

Ce dimanche, l’Église catholique célèbre la IIème journée mondiale des pauvres lancée par le Pape François à la fin du Jubilé Extraordinaire de la Miséricorde. Il y a quelques jours, nous avons reçu le matériel et les affiches. Ces journées sont prodigues en actions dont j’en suis sûr, les médias vont se faire l’écho tout au long de la journée.

Nous n’avons rien de spécial de prévu pour la journée. Il n’y a pas non plus ici le type de pauvreté que les médias nous sortent des jours comme celui-ci ou à l’époque de Noël. Nous n’avons pas de gens qui dorment dans la rue, ou mangent plus ou moins tous les jours et nous avons un service de Caritas archipresbytéral (ndt Secours Catholique au niveau du doyenné qui regroupe plusieurs paroisses) qui s’occupe d’utilisateurs de toute la zone en leur offrant aide économique, aliments, vêtements, formation et accueil.

Notre pauvreté est autre, je l’ai déjà dit à maintes reprises. Nous vivons dans un district aux moyens de transport précaires, le bus, le train, qu’on a eu, et dont la ligne a été fermée, des infrastructures à améliorer, une connexion internet à pédales, un futur incertain, la zone la plus dépeuplée de la province de Madrid. La grande majorité de nos villages n’ont pas de collèges, pas de commerces, pas de services. Des enfants, à peine. C’est un drame d’avoir à se déplacer jusqu’à Madrid: des camionnettes vers Buitrago (ndt bourg du coin) et puis le bus. Les gens de ces villages, pour beaucoup des personnes âgées et isolées pour milles choses ou dépendant de leurs enfants ou de l’aide des voisins pour des choses aussi élémentaires qu’aller à la banque ou se faire faire des analyses.
Ils ont leurs curés, oui, chacun d’entre eux servant deux, trois, quatre et jusqu’à cinq paroisses. Une messe le dimanche et un peu plus. On n’a pas faim, ni froid, sauf dans des cas très ponctuels, il n’y a pas de toxicomanes dans les rues, pas de personnes qui font la manche dans le métro, le métro, on ne connaît pas ! Il n’y en a pas qui dorment collés à un distributeur de billets, un distributeur de billets, on ne connaît pas non plus !
Personne ne nous montrera à la télé. Nous sommes si peu de chose, même pour la télé. Tout au plus, une chaîne, qui, par temps de froid et de neige, monte à la Sierra Norte (ndt chaine de montagne au nord de Madrid) pour offrir aux téléspectateurs l’image typique d’actualité des voisins rassemblés autour d’un feu.
Je ne sais pas ce que je vais dire à mes paroissiens tout à l’heure, à propos de la journée, parce que l’homélie exige que j’explique les lectures et pas que je fasse une étude sur la pauvreté dans le monde Nous prierons pour les plus pauvres et je les inviterai à pratiquer la solidarité entre nous et à donner un coup de main, autant que possible, à la Caritas de l'Archevêché..
À Madrid, je suppose qu’ils vont célébrer la journée avec des actions particulières. Mais toujours à Madrid. La Sierra Norte, c’est loin.
Au niveau économique, nos gens mangent et ont du chauffage. Il y a d’autres pauvretés, mais nous pensons que parce qu’ils ont une maison et du bois pour se chauffer ils n’ont besoin de rien.
Nous sommes riches en d’autres choses, en amitié, en solidarité, en vie sociale même si c’est entre quatre personnes. Ces gens-là, ce dont il manque c’est d’autres choses : les enfants qui ont dû s’en aller faute de futur, les petits-enfants qui viennent quand ils viennent, le collège fermé, le médecin qui passe seulement deux fois par semaine, une petite boutique pour ne pas dépendre du klaxon de la camionnette, le tintement de la cloche de la messe journalière.
Non, non, on ne nous verra pas à la télévision aujourd’hui. Nous sommes si petits, même pour la télévision, ou tout au moins jusqu’aux prochaines grosses neiges.

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