François: bilan d'un quinquennat (II)

Suite et fin de la synthèse du Père Scalese (19/5/2018)

>>> Première partie:
François: bilan d'un quinquennat (I)

Bilan d'un quinquennat et futures perspectives
Partie II


Père Giovanni Scalese CRSP
17 mai 2005
querculanus.blogspot.fr
Ma traduction

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Le 13 mars 2018 marque le cinquième anniversaire de l'élection au trône pontifical de Jorge Mario Bergoglio. Le temps est peut-être venu de faire le point sur les cinq dernières années et d'essayer de prévoir d'éventuels scénarios futurs sur la base de la situation actuelle.

II. PERSPECTIVES POUR L'AVENIR


L'irréversibilité des réformes
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Víctor Manuel Fernández en avait parlé dans une interview au Corriere della Sera en 2015: «Le Pape... sait qu'il y en a qui espèrent qu'avec le prochain Pape tout reviendra en arrière.... Il faut savoir qu'il vise des réformes irréversibles... Il n'y a pas de retour en arrière.... La majorité du peuple de Dieu.... n'acceptera pas facilement que nous retournions en arrière dans certaines choses».
Que cela fût la véritable intention du Pape a été confirmé plus tard par Enzo Bianchi lors d'une conférence tenue à Cagliari en mai 2017: «Un jour, on a demandé [au Pape] dans une circonstance confidentielle: "Mais, Sainteté, achèverez-vous toutes ces réformes que vous annoncez?" Sa réponse a été : "Je ne le prétends pas; je veux commencer des processus, et je veux qu'on ne revienne jamais en arrière de tout ce chemin que nous faisons ensemble"».
Plus récemment, Edward Pentin a révélé que les membres de l'épiscopat allemand auraient exercé des pressions sur le Pape pour accélérer les réformes. Et il a ajouté: «On dit qu'ils craignent que les réformes ne soient révoquées par un futur Pape, et c'est pourquoi ils voudraient qu'elles soient, autant que possible, gravées dans la pierre (set in stone), peut-être au moyen d'une Constitution apostolique». Il est surprenant que, de la part de ceux qui ont toujours théorisé la fluidité de la réalité et regardé avec suspicion à la doctrine, parce qu'elle dure comme la pierre, arrive aujourd'hui la requête de "sculpter dans la pierre" les réformes. En réalité, c'est une attitude typique de toute révolution: une fois que les anciennes structures ont été renversées, on n'admet plus d'autres transformations.

Questions
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A ce stade, on peut poser quelques questions concernant le futur: cette tentative de rendre les réformes actuelles irréversibles réussira-t-elle? Les successeurs du Pape François continueront-ils sur la route qu'il a entreprise ou préféreront-ils revenir aux "sentiers du passé" (Jr 6,16) ? S'ils optent pour cette dernière solution, pourront-ils la mettre en œuvre sans problème? Les réformes actuelles ne pourraient-elles pas constituer un obstacle à la réalisation de leur intention? Il n'est pas facile de répondre à ces questions, non seulement parce qu'aucun d'entre nous n'est prophète, mais aussi parce qu'il est difficile de prédire comment les choses vont évoluer.

Avant tout, il faudra voir combien de temps durera le pontificat actuel. Je sais bien qu'il n'est pas de bon goût de toucher cette corde alors qu'un pape est encore en vie; mais, comme Bergoglio lui-même en a parlé plus d'une fois, nous nous sentons autorisés à la mentionner. Il a exprimé le sentiment que son pontificat serait court (trois à quatre ans). Cinq années se sont écoulées et rien ne permet de prédire que le pontificat se terminera bientôt. On se pose la question: réussira-t-il à mener à bon port toutes les réformes en chantier? C'est difficile à dire. C'est un fait que celles déjà apportés constituent des changements qui ne sont pas secondaires.

Qui sera le successeur du Pape François ? Je ne parle pas de la personne, mais de son orientation: sera-t-il un "bergeroglien", qui poursuivra son programme, ou l'un de ses opposants, qui cherchera à abroger ses réformes? Là encore, il n'est pas facile de répondre à cette question. Il est vrai que chaque Pontife, avec les nouvelles nominations cardinalices, cherche à façonner le corps électoral qui choisira son successeur; mais le résultat n'est pas toujours garanti (comme cela s'est produit dans le dernier conclave).

Dans l'hypothèse où un membre de l'opposition devrait être élu lors du prochain conclave, aurait-il la possibilité d'abroger les réformes en cours? En théorie, oui: personne ne pourrait limiter son autorité; mais de fait, il aurait les mains liées et, de toute façon, il paierait cher toute tentative de "contre-réforme", ne serait-ce qu'en termes de popularité. Prenons un exemple: si la décentralisation, espérée dans Evangelii gaudium, en faveur des conférences épiscopales devait arriver à bon port, il serait alors extrêmement difficile de procéder à une recentralisation, démarche qui finirait inévitablement par aliéner les sympathies des épiscopats. En tout cas, selon nous, l'adoption de logiques mondaines, comme le spoil system ou l'alternance de pontificats progressistes et conservateurs, constituerait une grave vulnus pour l'Église. L'Église vit de continuité et non d'oppositions idéologiques; dans l'Église, "réformer" ne signifie pas introduire des nouveautés éphémères et réversibles, mais ramener à la splendeur originelle.

Enfin, il faut considérer l'évolution du monde dans lequel l'Église est insérée. Ce n'est pas seulement l'Église qui est en crise, mais aussi, et peut-être dans une plus large mesure, le monde qui l'entoure. L'époque dans laquelle nous vivons ressemble beaucoup à une "fin de l'empire": un effondrement de la civilisation actuelle ne peut être exclu. Il est clair que, dans cette perspective, une Église complètement alignée sur le monde, comme celle qui se forge durant ces années, serait destinée à succomber avec lui.
C'est pourquoi il est important que se forme un "reste", qu'il demeure fidèle à la tradition de l'Église et conserve intacte la doctrine catholique, et qu'il soit prêt à intervenir au moment de l'éventuel écroulement pour jouer le rôle joué par l'Église à la chute de l'Empire romain: faire passer l'humanité de l'ancien au nouvel ordre. L'Église a été la semence de la civilisation médiévale, mais elle a pu le faire grâce au patrimoine accumulé au cours des premiers siècles de son existence. A cet égard, la figure de saint Augustin nous semble emblématique: il assista à la ruine du monde romain auquel il appartenait; il mourut alors que les Vandales étaient aux portes de la ville. Qu'aura-t-il ressenti en voyant ce monde - son monde - s'effriter? Et pourtant, sa pensée et ses œuvres ont constiyué la base pour la renaissance. Je pense que la même chose pourra se produire pour nous: le patrimoine doctrinal que l'Église a accumulé au cours des siècles (même dans les années les plus récentes: pensons à la doctrine sociale de l'Église, aux enseignements de Vatican II et au magistère des derniers papes) ne doit pas être perdu: il constituera la base pour la reconstruction. Ce patrimoine constitue la "semence" qu'aujourd'hui, alors que l'inondation est en cours, nous sommes appelés à sauver, afin qu'une fois que le fleuve sera rentré dans son lit, elle puisse être semée et fructifier.

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