La réponse-dérobade du Pape à Mgr Vigano

Marco Tosatti

à travers un communiqué transmis par le Bureau de presse du Saint-Siège. Décryptage des non-dits par Marco Tosatti (8/10/2018)

>>> Voir aussi: Quand Ouellet marque contre son camp

 

Le Vatican tire, mais à blanc


Marco Tosatti
www.lanuovabq.it
7 octobre 2018
Ma traduction

* * *

Plus de quarante jours après la lettre de dénonciation de l'Archevêque Carlo Maria Viganò, un communiqué du Saint-Siège - sans jamais nommer l'ancien nonce - annonce une enquête interne pour faire la lumière sur l'affaire McCarrick. Un communiqué plein de réticences et de contradictions, et surtout qui évite la question fondamentale : est-il vrai ou non que le Pape François savait pour McCarrick, par le nonce de l'époque Viganò, depuis le 23 juin 2013?


---

Le Saint-Siège a publié hier un communiqué, en italien et en anglais, qui voudrait probablement être une réponse au témoignage de l'Archevêque Carlo Maria Viganò, publié dans la nuit du 25 au 26 août dernier. Nous disons «voudrait», parce que dans le texte il n'est jamais fait référence à l'ex-nonce, ni au premier ni au second des documents qu'il a rendus publics. Concrétement, on annonce une enquête basée sur l'examen des documents disponibles au Vatican sur le cardinal Theodore McCarrick, qui mène actuellement une vie de prière et de pénitence dans un couvent aux Etats-Unis. Mais voici le texte intégral du document:

Après la publication des accusations concernant la conduite de l’Archevêque Theodore Edgar McCarrick, le Saint-Père François, bien conscient et préoccupé du désarroi que celles-ci provoquent dans la conscience des fidèles, a demandé que l’on publie le communiqué suivant:

En septembre 2017, l’Archidiocèse de New-York a signalé au Saint-Siège qu’un homme accusait celui qui était encore le cardinal McCarrick d’avoir abusé de lui dans les années soixante-dix. Le Saint-Père a décidé d’ouvrir sur le sujet une enquête préalable approfondie, qui s’est déroulée à l’Archidiocèse de New-York, et au terme de celle-ci, les documents pertinents ont été transmis à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Entretemps, étant donné que des graves indices étaient apparus au cours de l’enquête, le Saint-Père a accepté la démission de l’Archevêque McCarrick du Collège des cardinaux, en lui interdisant d’exercer publiquement le ministère et en lui ordonnant de mener une vie de prière et de pénitence.

Le Saint-Siège ne manquera pas de publier en temps voulu les conclusions de l’affaire impliquant l’Archevêque McCarrick. Concernant les autres accusations portées contre le prélat, le Saint-Père a décidé que les informations recueillies au cours de l’enquête préalable devaient être rassemblées avec une étude plus approfondie de tous les documents se trouvant dans les archives des Dicastères et des Bureaux du Saint-Siège concernant l’ex-cardinal McCarrick dans le but de vérifier tous les faits le concernant, de les replacer dans leur contexte historique et de les évaluer objectivement.

Le Saint-Siège est bien conscient qu’il pourrait ressortir de l’examen des faits et des circonstances des choix qui ne seraient pas cohérents avec l’approche actuelle de ces questions. Toutefois, comme a déclaré le Pape François, «nous suivrons le chemin de la vérité, où qu’il puisse nous conduire» (Philadephie, 27 septembre 2015). Ni les abus ni leur couverture ne sera plus toléré. Traiter différemment les évêques qui les ont commis où qui les ont couverts représente en fait une forme de cléricalisme qui ne sera plus jamais accepté.

Le Saint-Père François renouvelle son invitation pressante à rassembler les forces pour combattre la grave plaie des abus au sein et hors de l’Église et pour éviter que de tels crimes ne soient encore commis à l’avenir au dépens des innocents et des plus vulnérables de notre société. Comme annoncé précédemment, il a convoqué les Présidents des Conférences épiscopales du monde entier en février prochain alors que résonnent encore les mots de sa récente Lettre au peuple de Dieu : « Le seul chemin que nous ayons pour répondre à ce mal qui a gâché tant de vies est celui d’un devoir qui mobilise chacun et appartient à tous comme peuple de Dieu. Cette conscience de nous sentir membre d’un peuple et d’une histoire commune nous permettra de reconnaitre nos péchés et nos erreurs du passé avec une ouverture pénitentielle susceptible de nous laisser renouveler de l’intérieur»
(traduction Diakonos)


Il y a plusieurs points intéressants à noter dans ce texte.
Le premier, c'est que toute l'histoire de Théodore McCarrick a démarré en septembre 2017, avec l'ouverture de la procédure judiciaire (par la justice laïque) contre le cardinal, et les nouvelles ultérieurement envoyées au Vatican par l'archidiocèse de New York. Comme si l'on voulait donner l'impression que dès qu'on a su quelque chose, on a agi. Le point central de l'histoire de McCarrick est précisément ceci: que l'on savait beaucoup de choses depuis de nombreuses années, y compris au Vatican, comme en a témoigné Mgr Viganò. Seulement que les victimes n'étaient pas mineures, et par conséquent la justice civile n'a pas été mise en cause, et alors... À cet égard les paroles du Cardinal Maradiaga, homme de confiance du Souverain Pontife, étaient très révélatrice: dans une interview toute récente, en relation avec les agressions sexuelles de séminaristes et de jeunes prêtres par "Oncle Teddy", il a parlé de «quelque chose d'ordre privé», et de «fait de nature administrative»».

L'enquête sur MacCarrick sera publiée «en temps voulu», autrement dit sans que l'on sache quand, et elle sera complétée par «une étude plus approfondie de tous les documents présents dans les Archives des Dicastères et des Bureaux du Saint-Siège» sur l'ex-cardinal. Le communiqué de presse prévient que les faits pertinents seront replacés «dans leur contexte historique et évalués objectivement». On se demande ce que signifie une phrase aussi prudentielle. L'explication se trouve peut-être dans la phrase qui suit immédiatement: «Le Saint-Siège est bien conscient qu’il pourrait ressortir de l’examen des faits et des circonstances des choix qui ne seraient pas cohérents avec l’approche actuelle de ces questions».

Nous nous trompons peut-être, mais voilà la première chose à laquelle nous avons pensé: dans les années 70, 80 et 90, qu'un cardinal mette dans son lit des séminaristes et des jeunes prêtres, c'était l'approche de l'époque, jugée inappropriée aujourd'hui? Et donc, comme l'approche d'aujourd'hui n'est plus la même qu'à l'époque, faut-il comprendre les silences et les couvertures, en leur donnant un caractère historique? Nous espérons nous tromper; mais nous ne pouvons pas trouver d'autre explication logique à une telle phrase, sinon tâter le terrain, pour protéger complicités et silences.

Les abus et leur couverture n'étaient pas tolérés déjà à l'époque où Mgr Viganò travaillait à la Secrétairerie d'État, et en fait il a écrit à ses supérieurs - Sodano et Sandri - toute une série de recommandations pour la punition de McCarrick. S'il l'a fait, et s'il a pu le faire, c'est parce que, même à l'époque, un tel comportement était répréhensible et méritait une sanction immédiate.

Le communiqué renvoie ensuite à la réunion de février 2019 de tous les présidents des Conférences épiscopales pour discuter du problème des abus.

Plus de quarante jours se sont écoulés depuis la publication du premier témoignage de l'archevêque Viganò. Ceci est le premier document du Saint-Siège qui, sans citer l'ex-nonce, affirme son intention de vouloir s'occuper de l'affaire McCarrick. L'impression qu'on en retire est celle d'une réponse faible et dilatoire. S'il y a des documents - comme c'est certainement le cas - sur l'ex-cardinal à la Congrégation pour les évêques et à la Secrétairerie d'État, en quarante jours, n'y a-t-il ni de temps ni les moyens de les compiler pour organiser une réponse concrète et précise aux accusations de Viganò ? Cela ne semble pas très crédible.

Alors, pourquoi reporter à des temps futurs, sans autre précision, les fruits de l'enquête ?
Et malheureusement, il n'y a toujours pas de réponse - et ici il n'est pas nécessaire de chercher dans les archives - à la question centrale. Est-il vrai ou pas que le 23 juin 2013, le Nonce aux États-Unis de l'époque a dit clairement au Pape qui était McCarrick et ce qu'il avait fait et pourquoi Benoît XVI l'avait sanctionné? Il n'y a aucune trace de cela dans le communiqué, mais c'est le grand, le dramatique noeud non résolu de cette tragédie.

Tous droits réservés.
La reproduction, uniquement partielle, des articles de ce site doit mentionner le nom "Benoît et moi" et renvoyer à l'article d'origine par un lien.