Le changement de paradigme de François

Lors d'une conférence à Rome le 26 novembre dernier, Mgr Nicolas Bux, un éminent théologien, pose un diagnostic sévère mais réaliste de la situation de l'Eglise, où le marxisme s'est infiltré comme une lèpre depuis Vatican II... (10/12/2018)

Le compte-rendu d'Edward Pentin.

 

Changement de paradigme: Ce qu'il signifie, et comment y répondre


Edward Pentin
30 novembre 2018
www.ncregister.com
Ma traduction


«L'évolution de la compréhension de l'Évangile par l'Église au cours des siècles n'est pas une question de changement de paradigme, mais de développement de la doctrine, organique et dans la continuité de la foi.»

Pour faire face à la crise actuelle de l'Église, il faut proclamer la vérité et résister à tout "changement de paradigme" qui déforme les vérités de la foi.

Tel est l'avis donné par Mgr Nicola Bux, conseiller théologique respecté de la Congrégation pour les causes des saints, lors d'une conférence à Rome le 29 novembre sur le pontificat du pape François.


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La pièce maîtresse de la conférence, organisée par le mouvement de laïcs Tradition, Family and Property et la Fundazione Lepanto [que préside Roberto de Mattei, ndt], était le livre de José Antonio Ureta intitulé Pope Francis’ Paradigm Shift: Continuity or Rupture in the Mission of the Church? — An Assessment of his Five-year Pontificate (Le changement de paradigme de François: Continuité ou rupture dans la mission de l'Église? - Un bilan de ses cinq années de pontificat) - un ouvrage que Mgr Bux a décrit comme un «outil précieux» pour comprendre la première demi-décennie de pontificat de François.

Mgr Bux, qui était consultant auprès de la Congrégation de la Doctrine de la Foi sous Benoît XVI, a dit que la clé pour comprendre ce pontificat est de comprendre ce que signifie ce «changement de paradigme».
Bien que non défini formellement, on croit en général qu'il s'agit d'une «conversion pastorale» dans laquelle les approches pastorales à des situations concrètes ont préséance sur la doctrine ou les structures juridiques.
Selon Ureta, ce changement de paradigme (que le secrétaire d'Etat Parolin a défini comme «un nouvel esprit, une nouvelle approche»), est «avant tout une inversion des facteurs: la doctrine et la loi doivent être subordonnées à la vie vécue par l'homme contemporain».
Mais selon Mgr Bux, un tel concept présente un certain nombre de dangers. Il a fait référence à une réflexion récente de Stanislaw Grygiel, professeur d'anthropologie philosophique et ami de longue date du pape Jean-Paul II, qui a écrit qu'en soumettant la raison divine à la pratique pastorale, «la Personne du Christ devient juste une opinion ou une hypothèse qui était appliquée hier mais plus aujourd'hui».
En effet, écrit Grygiel, c'est un principe marxiste - la pratique sociale de l'homme est à elle seule le critère de la vérité - qui est entré dans l'Église et est devenu populaire auprès de «nombreux professeurs latino-américains». C'est une «erreur métaphysique et anthropologique» guère reconnue par les étudiants, a ajouté Grygiel, quelque chose "qu'ils vont payer cher, et que malheureusement nous allons payer aussi».

MARXISME RAMPANT

«Le marxisme s'est infiltré dans la mentalité des intellectuels occidentaux et de beaucoup d'hommes d'Eglise, de manière à les inciter dans leur pratique à modifier la doctrine de l'Eglise, c'est-à-dire la Personne du Christ», écrit Grygiel, faisant référence à Jean-Paul II et à son Sign of Contradiction, Spiritual Exercises to Paul VI, en 1976. "La confusion qui en découle constitue le plus grand danger pour l'Église»
«Que devons-nous faire? a demandé Mgr Bux. «Proclamer toujours la vérité parce que "la vérité vous rendra libres"», a-t-il dit. Par contre, se taire quand il faut parler est un mensonge aussi vil que parler quand il faut se taire», a-t-il mis en garde.
Il a aussi rappelé que Jean-Paul II «n'a jamais utilisé de paroles de compromis» pour défendre la vérité de la personne. «Ce n'était pas un péroniste», a dit Mgr Bux. «L'erreur dont nous sommes témoins dans l'Église nous permet de détacher l'homme de la vérité et de l'enchaîner à la praxis, qui décide comment l'homme et les choses doivent être»
De plus, Mgr Bux a noté que «toute praxis qui produit la vérité est réduite à de la politique», et a avancé que là réside en substance, «le changement de paradigme du Pape François». S'inspirant du livre d'Ureta, il souligne en outre que pour François, «la vérité est une relation» et donc «relative».
«Ainsi, la perspective dominante dans laquelle il [François] évolue est la politique, qu'il s'agisse de questions politiques ou ecclésiastiques, du Venezuela, de l'Ukraine ou de la Chine», a expliqué Mgr Bux.
Citant encore une fois Grygiel, il a dit que le Pape Saint Jean Paul II «n'a jamais fait de politique» parce que pour lui, être prêtre, évêque puis Pierre signifiait confier son action «à la vérité de l'homme, révélée en la Personne du Christ». Cela lui a permis d'être «l'un des plus grands hommes politiques» capable de «changer le monde». En outre, la crainte de Dieu l'empêchait d'«ajouter quelque chose de lui» à la Parole de Dieu. «Le Christ doit être adoré, pas modifié», écrit Grygiel. «Jean Paul n'a pas adapté le Christ au monde».
Mgr Bux a poursuivi en expliquant que c'est seulement par la conversion à l'amour de Dieu qu'un vrai dialogue peut avoir lieu, sinon l'Église se transforme en un «simple organisme humain, réduit à une organisation bureaucratique", et n'est pas en mesure de «réaliser la sanctification du monde».
Il a affirmé que l'orthodoxie met en avant la notion que la foi a «continuellement» la capacité de «juger le monde» mais aujourd'hui, c'est le contraire qui se produit. Au lieu de «purifier les valeurs humanistes de la modernité avec la foi catholique», Paul VI et le Concile Vatican II, peut-être sans le vouloir, ont en fait apporté la post-modernité, dont le fruit a été ce «changement de paradigme», a-t-il ajouté.

Il a fait valoir que ceci a conduit au sentiment, au sein de l'Église, que s'opposer au monde est quelque chose de négatif, «à surmonter au nom de la tranquillité», mais c'est contraire à la croyance qu'un chrétien est un «étranger dans le monde et ne peut jamais dormir tranquille, comme Jean Paul II et Don Giussani [fondateur du mouvement communion et libération] en ont convenu».

MÉLANGER DES "SITUATIONS EXTRÊMES"

En développant ce point, Mgr Bux a dit que le «changement radical de paradigme» aujourd'hui en vogue signifie «croire en l'urgence» d'apporter la justice au monde en termes «d'élimination de la pauvreté, de commerce équitable, de fraternité» ou mélanger avec des «situations extrêmes» telles que «migrants, homosexuels, divorcés». Mais souvent on n'entend pas les mots «Jésus-Christ», a-t-il observé, et la messe est «réduite à un show télévisé avec danse et applaudissements». Et tout cela est en train de se produire, dit-il, «alors que dans le monde la référence à Dieu est absente» et que le monde lui-même «devient de plus en plus indifférent, ennemi de l'Eglise, de la religion, de la foi, de Dieu».
Il a poursuivi en se référant aux paroles d'Eugenio Scalfari, qui, après une de ses interviews avec le Pape, a dit que François poussait pour un changement du «concept de religion et de divinité» qui aboutirait à un changement culturel qui serait difficile à modifier. «Si cela devait arriver», a averti Mgr Bux, «les conséquences seraient catastrophiques».
Déjà, dit-il, l'élan missionnaire a «diminué, signe d'une crise de la foi». Il a ensuite souligné une contradiction flagrante dans les paroles de François : d'une part, dans Evangelii Gaudium, il affirme que la mission et l'annonce de l'Evangile sont le «paradigme», mais d'autre part, et «à la manière péroniste comme on dit à Buenos Aires», il a dit qu'il n'y a «pas de Dieu catholique» et que le prosélytisme «est un non-sens grave; pas pour convertir mais pour servir, pour marcher ensemble».
Mgr Bux a encore une fois cité saint Jean Paul II, en particulier son encyclique Veritatis Splendor: «L'unité de l'Église est endommagée non seulement par les chrétiens qui rejettent ou déforment les vérités de la foi, mais aussi par ceux qui négligent les obligations morales auxquelles ils sont appelés par l'Evangile».
Il a également abordé la recommandation d'Ureta dans son livre de résister aux dirigeants de l'Eglise qui lisent le «changement de paradigme» comme «rupture» avec l'enseignement et la tradition de l'Eglise.
Mgr Bux a fait remarquer que l'Esprit Saint «n'était pas promis aux successeurs de Pierre pour révéler une nouvelle doctrine, mais pour garder le dépôt de la foi». Et citant des commentaires récents du Cardinal Gerhard Müller, ex-préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, il a noté que l'autorité du Pape s'étend «sur la foi révélée de l'Eglise catholique et non sur les opinions théologiques individuelles de lui-même ou celles de ses conseillers».
C'est pourquoi, a dit Mgr Bux, «il y a des occasions où il est légitime de suspendre prudemment son assentiment». Quand la Croix du Christ est «rendue vaine», afin de ne pas perdre la foi, il propose «l'objection de conscience et la fidélité au Pape malgré le Pape» - en citant encore une fois le livre d'Ureta.

«L'évolution de la compréhension de l'Évangile par l'Église au cours des siècles - a-t-il conclu - n'est pas une question de changement de paradigme, mais de développement de la doctrine, organique et dans la continuité de la foi.»

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