"Le Pape m'a dit...."

... ou quand des propos tenus en privé se substituent au Magistère officiel. Les mots prêtés au Pape par une religieuse argentine créent une fois de plus la confusion (5/4/2018)

Soeur Marta Pelloni

De deux choses l'une: soit il y a un complot international qui veut faire passer le Pape pour ce qu'il n'est pas, soit le Pape fait en privé des déclarations qui ne sont pas conformes à la doctrine.

Le problème n'est pas tant (ou pas seulement) la teneur des propos, ni même si le pape les a vraiment prononcés (d'ailleurs, est-ce le Pape François ou le cardinal Bergoglio? dans ce dernier cas on pourrait dire qu'il s'agit clairement aujourd'hui d'une instrumentalisation par d'AUTRES), mais l'usage qui en est fait, et surtout l'absence de démenti et de clarification (ou leur arrivée tardive, en général pour couper court aux critiques de la frange la plus 'conservatrice' du catholicisme), d'autant plus qu'il n'est pas hasardeux de supposer que la Salle de presse est bombardée de demandes pressantes des "lanceurs d'alerte" habituels.

En fin de compte, tout cela n'est possible que parce que l'attitude même du Pape le rend crédible. Et force est de constater qu'il y trouve son compte - sinon, il réagirait autrement.

"Le Pape m'a dit....".
Le Magistère privé fait son chemin


Andrea Zambrano
www.lanuovabq.it
5 avril 2018
Ma traduction

* * *

Une religieuse d'Argentine dédouane le préservatif: «Le Pape me l'a dit....». Silence dans la salle de presse du Vatican. Mais en attendant, on voit émerger un magistère privé de François, toujours exposé par des tiers, mais en contradiction avec le magistère public, qui rend désormais urgente une intervention de clarification. Car lorsque les opinions sont imposées par le pouvoir, le pas vers l'idéologie est très court.

A force de déclarations choc, la salle de presse du Saint-Siège finira par être rebaptisée Bureau des démentis & confirmations. Le tintamarre médiatique ne s'est pas encore éteint après les paroles attribuées au Pape par Eugenio Scalfari sur la non-existence de l'enfer, qu'hier est tombé un nouveau pavé sur la table du porte-parole du Vatican: celui du dédouanement du préservatif et des contraceptifs pour éviter l'avortement. Le tout attribué au Pape François par une religieuse d'Argentine. Est-ce possible? La méthode est désormais celle de la déclaration choc faite par un interlocuteur qui prétend en avoir parlé avec le Pape.

En Argentine, on est en plein débat sur la dépénalisation de l'avortement et une station de radio locale a interviewé une religieuse très connue dans le pays, Martha Pelloni, qui s'occupe des enfants à arracher à la drogue et des femmes en difficulté. Eh bien, au cours de l'interview, la soeur, après avoir dit qu'elle était en faveur du débat, comme le président Macri, a soutenu qu'une femme ne devrait pas avoir besoin d'avorter parce que si elle est bien informée, si elle travaille et si elle ne subit pas de violence, elle n'a pas besoin d'avoir recours à l'avortement [ndt: et donc l'éducation des femmes, qui est de la responsabilité du gouvernement, rend la dépénalisation de l'avortement inutile]. Mais allant sur le thème de la parentalité responsable, elle affirme: «Le Pape François, parlant à ce sujet, m'a dit trois mots : préservatif, [caractère] transitoire et réversibilité. Un diaphragme et, dans ce dernier cas, qui est ce que nous recommandons aux femmes sur le terrain.... la ligature des trompes».

On ne comprend pas bien pourquoi la ligature des trompes devrait rentrer parmi les procédures réversibles, étant donné l'irréversibilité substantielle de la stérilisation des trompes. Dans tous les cas, la formule, rapportée sans autre détail, a provoqué l'inévitable clameur: «Le pape dédouane les contraceptifs». Bien entendu, on ignore le contexte, quand cette phrase aurait été prononcée et, surtout, on ignore si la phrase a été prononcée par le pape François ou par celui qui était l'évêque Bergoglio. Hier, la salle de presse n'a fourni aucune précision. Mais en attendant, la machine médiatique mouline et assimile le concept, celui des contraceptifs, à libérer du carcan doctrinal, déjà impliqués dans une vaste opération de relecture critique de l'encyclique Humanae Vitae de Paul VI.

Pourrait-ce être vrai? L'a-t-il dit, oui ou non? La confusion règne en maître. En fin de compte, il suffirait que le Saint-Siège fasse une déclaration sèche pour dire que ce n'est pas vrai ou que ce qui émerge dans les rencontres privées du Pape n'est pas affaire de Magistère, et fait partie de la sphère privée. Mais c'est peut-être là, justement, que réside le problème, le chevauchement entre les niveaux privé et public pour faire avancer les poussées révolutionnaires dans le domaine de la doctrine et de la morale, en utilisant un matériel théologique qui a longtemps été débattu et qui pousse pour être approuvé.

Comme le montre en effet l'affaire Scalfari, ces derniers temps, ce qui sort de la sphère privée de Bergoglio, d'une manière ou d'une autre, vient à la connaissance du public et est réélaboré comme s'il s'agissait d'une déclaration faite in cathedra Petri assistée de l'infaillibilité pontificale. De deux choses l'une: soit il y a un complot international qui veut faire passer le Pape pour ce qu'il n'est pas, soit le Pape fait en privé des déclarations qui ne sont pas conformes à la doctrine. Quoi qu'il en soit, il est de plus en plus nécessaire d'expliquer et, s'il le faut, de clarifier, ce dangereux court-circuit, qui a des répercussions immédiates. Pensons seulement à la façon dont l'opposition des évêques argentins peut sortir affaiblie dans la lutte contre l'approbation d'une loi qui décriminalise l'avortement si l'on apprend que le Pape dédouane les contraceptifs.

A présent, certains s'empresseront de signaler toutes les interventions publiques au cours desquelles le Pape a dit non aux contraceptifs, un peu pour apaiser les angoisses, un peu pour normaliser le tout, mais en attendant, on verra aussi en oeuvre ce magistère parallèle qui se nourrit de déclarations privées ou partielles de Bergoglio pour soutenir le contraire, dans un duel au dernier sang dont pour finir, c'est le principe de non-contradiction qui sortira vaincu.

Et ce modus operandi ne semble pas trouver d'obstacles de la part du Pape lui-même et de ses collaborateurs les plus proches.
Avec ce pontificat, un nouveau type de communication a été inauguré: «Le Pape m'a dit que...». On le voit aujourd'hui avec les cas de Pelloni et Scalfari, mais on l'a vu aussi dans le passé avec beaucoup d'autres interprètes des confidences du Pape. Il suffit de se souvenir du cas de l'évêque Bruno Forte sur la manière d'accueillir les résultats du Synode des évêquesen matière de communion pour les divorcés remariés.

Ce faisant, on crée un Magistère privé à opposer au Magistère officiel. Un Magistère personnel qui voyage en parallèle, et avec la faveur des médias, mais sur lequel il serait temps que Bergoglio lui-même intervienne pour dire si c'est celui-là qu'il faut prendre en compte ou non, parce que la cohabitation entre une vérité et son contraire jette de plus en plus de fidèles dans le désarroi.

Le pas est vite franchi. On va du Magistère du doute - soutenu par des évêques et des cardinaux -, dans lequel la doctrine n'aide plus à confirmer la foi, mais à élargir l'éventail des possibilités et des solutions, au magistère privé, dans lequel chacun, cessant d'enseigner, ne fait rien d'autre qu'exposer ses propres opinions. Et lorsque les opinions acquièrent de l'autorité non pas en vertu de leur vérité, mais en vertu du degré hiérarchique du pouvoir du moment qui les expose, le pas vers l'idéologie est vraiment court.

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