L'un des maux de l'Eglise aujourd'hui

AM Valli dénonce le sentimentalisme et la "rhétorique de l'écoute" qui y sévissent, et qu'est venu confirmer de manière éclatante le document final du synode des jeunes (4/11/2018)

Par exemple, j'ai dénombré pas moins de six occurrences du mot révélateur empathie, ou de ses dérivés.

Contre la rhétorique de l'écoute


www.aldomariavalli.it
1er novembre 2018
Ma traduction (soulignements de moi)

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Déjà à d'autres occasions, dans cet espace de réflexion, nous avons remarqué comment s'est répandu dans la pensée catholique un sentimentalisme qui a peu à voir avec l'Evangile.
La confirmation de ce qui est à tous points de vue une corruption du christianisme se trouve dans le document final du dernier synode sur les jeunes.
L'utilisation du mot «empathie», qui plaît tant au monde, est révélatrice. Voilà une Église qui, au lieu d'indiquer le chemin de la sainteté, préfère recommander l'effort de se mettre à la place des autres. C'est une bonne attitude, bien sûr, mais elle ne trouve un sens que si elle sert à conduire les âmes au salut.
A la place, dans le document final du synode, nous avons la rhétorique de l'accompagnement, du 'marcher' ensemble et de l'écoute, sans que le but de tout cet accompagnement, ce 'marcher' et cette écoute ne soit jamais clairement exprimé. Il en résulte une Église qui n'enseigne plus la crainte de Dieu et ne met pas en garde contre le péché, mais dispense des conseils en vue d'un bien-être générique.

C'est justement à cela que Samuel Gregg consacre une analyse intéressante dans le Catholic World Report, notant que le sentimentalisme désormais dominant se manifeste surtout dans la manière de présenter Jésus Christ. Le Christ qui, par sa dureté contre le péché, déconcerte souvent ses disciples, se transforme en un sympathique maître libéral, un Jésus inoffensif, ami de tous, qui semble n'avoir aucune prétention à transformer nos vies, mais qui précisément se limite à accompagner et à consoler et, surtout, évite soigneusement toute référence à la Vérité, parce que s'il en parlait, il dérangerait les consciences de nous, post-modernes qui avons désormais cessé de nous interroger sur les grands absolus et pensons que la seule réponse peut venir de la coexistence de plusieurs réponses.
Ce Jésus sentimentaliste vous encourage à vous sentir bien dans votre peau, à être fidèle à votre conscience, à embrasser votre histoire. C'est un Jésus qui ne juge pas et garantit un paradis générique à tous, parce qu'il accompagne tout le monde, et écoute tout le monde.
Mais celui-là n'est pas le Christ dont les Écritures nous parlent. Et Gregg cite à juste titre à ce propos un passage célèbre de Joseph Ratzinger: «Un Jésus qui serait d'accord avec tout et avec tous, un Jésus sans sa sainte colère, sans la dureté de la vérité et du vrai amour, n'est pas le vrai Jésus comme le montre les Ecritures, mais une misérable caricature de lui. Une conception de l'Evangile où n'existe plus la gravité de la colère de Dieu n'a rien à voir avec l'Evangile biblique. Le vrai pardon est quelque chose de bien différent d'un faible "laisser courir". Le pardon est exigeant et demande à la fois à celui qui le reçoit et à celui qui le donne une prise de position qui implique l'ensemble de leur être. Un Jésus qui approuve tout est un Jésus sans la croix, parce qu'alors, la douleur de la croix n'est pas nécessaire pour guérir l'homme» (Joseph Ratzinger, "Regarder le Christ, 1986) [cf. benoit-et-moi.fr/2014..].
Et c'est pourquoi, expliquait encore Ratzinger, «la croix est de plus en plus exclue de la théologie et interprétée à tort comme une vilaine aventure ou comme une affaire purement politique. La croix comme expiation, la croix comme "forme" du pardon et du salut ne s'inscrit pas dans un certain modèle de pensée moderne. Ce n'est que lorsque le lien entre la vérité et l'amour est clairement visible que la croix devient compréhensible dans sa véritable profondeur théologique. Le pardon est lié à la vérité et exige donc la croix du Fils et exige notre conversion. Le pardon est précisément restauration de la vérité, renouvellement de l'être et dépassement du mensonge caché dans chaque péché. Le péché est toujours, par essence, un abandon de la vérité de son propre être et donc de la vérité voulue par le Créateur, par Dieu».

De la miséricorde au miséricordisme, du pardon au pardonisme, il n'y a qu'un pas qui peut être vite franchi. Il suffit d'enlever la loi divine et de mettre à sa place la conscience individuelle, transformée en absolu.
Selon Gregg - et je suis d'accord avec lui - le sentimentalisme galopant dans l'Église réduit la gravité et la clarté de la foi chrétienne. On ne parle plus, ou rarement, ou par des voies transversales, du salut des âmes. Tout devient plus léger et plus impalpable. Alors que le Dieu révélé dans le Christ est bien miséricordieux, mais est aussi juste et clair dans ses attentes envers nous, parce qu'il nous prend au sérieux, le sentimentalisme le réduit à un bon copain, à un compagnon de route qui nous accompagne de façon générique.
Gregg rappelle que le catholicisme a toujours attaché une grande importance à la raison et, par conséquent, à l'objectivité du bien et du mal. C'est la raison éclairée par la foi qui nous permet de nous orienter et de choisir le bien plutôt que le mal. En revanche, avec l'avènement du sentimentalisme, tout se perd dans un brouillard indistinct, où le subjectivisme triomphe. Il n'y a plus de bien ou de mal objectif. Il n'y a que la condition subjective à travers laquelle une situation est interprétée. D'où la tendance à relativiser et à justifiier. Ce qui en est gravement atténué, c'est notre capacité à connaître la vérité morale.
Au sein de ce processus, nous assistons parallèlement à une infantilisation de la foi. Dans la conviction que la personne n'est en mesure de supporter le poids d'une proposition radicale, qui oppose de façon nette le chemin de la sainteté et celui du péché, on cherche à dorer la pilule, à édulcorer le message, pour le rendre moins dur, plus accessible. Ainsi, le mot «péché», qui met face à sa propre responsabilité, disparaît pour faire place à quelque chose de moins clair et de plus autoconsolant, comme «erreur» ou «blessure» ou «douleur».
Le gros problème, c'est la vérité. Et pourtant Jésus, tout en se montrant miséricordieux, dit à la femme adultère: «Va, et ne pèche plus».
Selon Samuel Gregg, c'est le monde occidental tout entier qui se noie dans le sentimentalisme. La culture populaire, les médias, la politique, tout est imprégné d'un émotivisme qui exclut la rationalité. Ce qui compte le plus, c'est la «passion», qui est bien sûr importante, mais qui peut conduire à des choix dévastateurs si elle n'est pas guidée par la connaissance objective du bien et du mal.
C'est ainsi que même la foi n'est plus vécue comme adhésion à un message précis, à accepter de façon rationnelle, mais surtout comme «chemin» personnel, à l'intérieur duquel je suis appelé à «sentir» ce qui est juste pour moi et me permet de me sentir bien.

Maintenant, essayez de lire la première partie du document final sur le Synode des jeunes, où l'on parle constamment de Jésus qui écoute et marche avec nous. Vous verrez qu'en se référant à la page évangélique des disciples d'Emmaüs, qui raconte en fait comment Jésus «marchait avec eux», on ne dit pas que Jésus, en réalité, ne se limite pas à cela. Jésus, en effet, tout en marchant à leurs côtés, interroge les disciples pour vérifier ce qu'ils ont compris de toute l'histoire de sa mort sur la croix, et à la fin, sans faire trop de compliments, il les apostrophe en ces termes (Luc 24, 25-27): « "Esprits sans intelligence! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire?". Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait».
«Esprits sans intelligence! Comme votre cœur est lent à croire» dit Jésus. Mais que reste-t-il de tout cela dans le document synodal? Rien. L'impression est que la page évangélique des disciples d'Emmaüs se plie à la nécessité de transformer l'écoute en un moyen aux fins de la pastorale des jeunes.

S'écouter les uns les autres peut être important, mais cela ne mène nulle part si nous nous ne nous mettons pas sérieusement, tous ensemble, à l'écoute de Celui qui, seul, a des paroles de vie éternelle.

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