Pourquoi Mgr Vigano dit (sans doute) la vérité

... et pourquoi Benoît XVI garde le silence. Les hypothèses raisonnables d'un philosophe-blogueur américain, reprises par AM Valli (7/9/2018)

La confrontation Bergoglio/Vigano: un philosophe la voit ainsi


www.aldomariavalli.it
7 septembre 2018
Ma traduction

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L'affaire du mémorandum de l'archevêque Carlo Maria Viganò monopolise depuis des jours les commentaires des principaux observateurs du Vatican, et il n'est pas facile de tout suivre. En tout cas, l'une des évaluations les plus intelligentes (évidemment à mon avis) semble être celle du philosophe Edward Feser, professeur au Pasadena City College, qui illustre un certain nombre de raisons pour lesquelles on peut raisonnablement soutenir que Viganò a dit la vérité.

La première raison, dit Feser, est le silence assourdissant du pape. Bergoglio a été la cible d'une attaque sans précédent d'un ecclésiastique de haut rang, archevêque, ambassadeur du Vatican aux Etats-Unis. Et pourtant, pour l'instant, il a refusé de répondre. Et ceci «n'est tout simplement pas l'attitude que l'on attendrait d'une personne si les accusations portées contre elle étaient manifestement fausses». Au contraire, on s'attendrait à ce que l'interssé procède à une réfutation forte et immédiate.

Certains des défenseurs de François, note Feser, affirment que Bergoglio fait preuve d'une totale indifférence et se comporte comme Jésus lui-même, qui n'a pas répondu aux accusations. Une observation qui pourrait être acceptée si Bergoglio avait toujours choisi cette ligne. François, au contraire, s'est défendu en plus d'une occasion. Par exemple, lorsqu'il a été accusé d'être communiste, ou lorsqu'il a été accusé de ne pas avoir parlé ouvertement des crimes en Argentine, ou lorsqu'il a été attaqué par la gauche d'avoir rencontré Kim Davis en 2015 (dans ce cas, défense demandée à la salle de presse du Vatican). Il s'est également défendu lorsqu'il a été attaqué en 2016 en raison de son refus d'associer l'islam au terrorisme et quand, en 2017, il a comparé les camps pour migrants aux camps nazis.

Ainsi, la thèse selon laquelle Bergoglio, plutôt que de répondre à la critique, préfère «tendre l'autre joue» ne tient pas. Puisqu'il a si souvent répondu, pourquoi ne répond-il pas maintenant que les accusations viennent d'un haut représentant de la hiérarchie ?

Considérant ensuite, observe Feser, que dans ce cas, ce qui est en jeu n'est pas seulement sa réputation, mais le bien de l'Église elle-même, Bergoglio, en répondant, aiderait à empêcher d'autres divisions.

Les défenseurs de François demandent que l'archevêque apporte les preuves. Mais Viganò a dit où se trouvent les preuves: il a dit que la documentation correspondante se trouve dans les archives de la Secrétairerie d'Etat du Vatican et de la Nonciature Apostolique à Washington. Et qui d'autre que le pape peut ordonner que la documentation soit disponible immédiatement?

En outre, Viganò a fourni sa propre version de ses rencontres personnelles avec François. Alors pourquoi Bergoglio ne donne-t-il pas sa version, en mesure de réfuter celle de Viganò ? Le silence de François, dit Feser, ne fait que confirmer la position de ceux qui soutiennent que les accusations de Viganò ne sont pas fausses.

Mais il y a ensuite un autre silence sur lequel on peut s'interroger, et c'est celui de Benoît XVI.

Il est vrai que Ratzinger s'est promis d'être le plus à l'écart possible, dans la prière, et il est concevable qu'il ne veuille rien dire pour ne favoriser d'aucune façon une division fatale (jusqu'au risque du schisme) dans l'Église. Cependant, dit Feser, puisque la controverse actuelle menace sérieusement l'unité de l'Eglise, il serait légitime d'attendre une parole de Benoît XVI pour éviter un tel danger. Mais rien.

Admettons, dit Feser, que Viganò mente sur les sanctions que Benoît aurait imposées sous une forme privée à McCarrick. Si Ratzinger parlait, il pourrait mettre fin à la crise, ou du moins apporter une contribution importante pour y mettre fin. Si Ratzinger disait que ce que soutient Viganò est faux, la crédibilité de l'ex-nonce subirait un coup dur. Et la menace du schisme serait grandement réduite.
Alors pourquoi ne le fait-il pas?

Mais supposons encore, dit Feser, que l'archevêque Viganò dise la vérité. Si Benoît le confirmait publiquement, il donnerait de la crédibilité à l'archevêque et causerait un grave dommage à François. Ce qui se transformerait en une puissante contribution au schisme, avec une véritable «guerre des deux papes». Alors, étant établi que ce que Benoît veut éviter plus que tout autre chose est précisément le schisme, il semble légitime d'affirmer que son silence semble renforcer l'hypothèse que Viganò dit la vérité plutôt que l'hypothèse que Viganò ment.

Selon le vaticaniste Edward Pentin, une source proche de Benoît dit que Ratzinger se souvient d'avoir demandé en privé à McCarrick de garder un profil bas, sans un décret formel. Si cette communication a eu lieu à la demande de Benoît (et nous n'en sommes pas certains), cela pourrait être interprété comme un moyen de surmonter la difficulté de choisir entre confirmer le témoignage de Viganò, et donc blesser François, ou saper le témoignage de Viganò et blesser ainsi l'ancien nonce. En fait, l'insinuation selon laquelle Benoît XVI ne se souvient pas clairement de ce qui s'est passé, mais qu'en tout cas il n'y avait pas de décret formel, semble aider le Pape François. Mais, d'autre part, l'affirmation que McCarrick aurait été prié en privé de rester discret confirme l'essence des accusations de Viganò.

Certains des défenseurs de François ont vu dans la nouvelle diffusée par Pentin une accusation contre Viganò, mais tel n'est pas le cas. Vigano, en effet, n'a jamais dit que McCarrick a fait l'objet d'une mesure formelle, à  la suite d'une véritable enquête.

La conclusion, dit Fever, est que la source de Pentin confirme que Benoît a pris des mesures privées contre McCarrick, tout comme Viganò l'a dit. Donc, si la communication a eu lieu à la demande de Ratzinger, il s'agit de la confirmation, d'une manière subtile mais sans équivoque, que la version de Viganò est vraie. Si au contraire la communication n'a pas eu lieu par la volonté de Benoît XVI, cela signifie que le pape émérite a gardé un silence total, et cela, pour les raisons exposées ci-dessus, semble plus compréhensible dans l'hypothèse que Viganò ait dit la vérité.

Mais un autre point qui, selon Feser, joue en faveur de Viganò, est le souci de l'ancien nonce pour sa place dans l'histoire mais surtout pour les conséquences de ce qu'il a fait pour son âme dans l'au-delà. Viganò est sur des positions théologiques conservatrices, et ses détracteurs ne font que le souligner chaque jour. Maintenant, parmi les croyances les plus ancrées chez ceux qui ont une éducation mentale et spirituelle d'empreinte conservatrice, il y a la croyance que le mensonge est toujours intrinséquement un péché, même lorsqu'on ment pour une bonne cause, et qu'un tel péché est toujours mortel lorsqu'il s'agit d'une question aussi grave que la réputation de quelqu'un. Et ce n'est pas tout. Une autre chose dont sont convaincus ceux qui ont des opinions théologiques très conservatrices, c'est que même si les papes sont faillibles quand ils ne parlent pas ex cathedra, ils doivent toujours être traités avec beaucoup de respect, même quand ils se trompent. Un mauvais pape n'est pas comparable au chef d'une faction politique. C'est au contraire un père, et il ne cesse jamais d'être père, même quand il a tort. Son inconduite ne légitime donc pas l'attaque contre lui. Même si dans certaines circonstances il peut être critiqué par ses subordonnés, la critique doit être faite avec prudence et respect. Une troisième chose à laquelle croient les catholiques conservateurs est que l'histoire de l'Église est dominée par une lutte épique entre le bien et le mal et que Dieu récompense les justes et les sincères, pas les fourbes. Maintenant, dit Feser, supposons que l'archevêque Viganò mente. Alors il aurait commis ce qu'il sait être un péché très grave, absolument mortel, parce qu'il aurait calomnié le Vicaire du Christ. Et il ne l'aurait pas fait une seule fois, mais à chaque fois qu'il a répété la calomnie. Et la confession sacramentelle elle-même ne pourrait le sauver, car son comportement dénote l'absence d'une ferme intention de s'amender. De plus, Viganò sait que, dans ce cas, il passerait l'histoire comme un méchant à la puissance n, une figure semblable à Judas. Absurdités!, pourrait répliquer quiconque ne croit pas en ces choses. Mais le fait est que Viganò, étant un conservateur, comme le répètent ses accusateurs, y croit nécessairement.

De plus, ajoutons que Viganò, tel qu'il a été formé à l'école diplomatique du Saint-Siège, est un homme d'Église qui place la défense du pape au premier rang absolu, au prix, au péril de sa vie elle-même. Ainsi, si un homme en possession d'une telle formation, qui est aussi une forma mentis, en vient à accuser le pape, cela signifie qu'il a une raison très sérieuse de le faire.

Quelqu'un a fait remarquer que Vigano est un menteur parce que, lors d'une occasion publique, il s'est adressé à  McCarrick avec des mots aimables. Mais Viganò est ambassadeur, et c'est ainsi que se comporte un diplomate. Il ne peut pas créer de scandale, et par conséquent mettre le pape lui-même, dont il est le représentant, dans une position difficile lors d'un dîner de gala.

Comme raison supplémentaire en faveur de Viganò, Feser cite le comportement de Bergoglio dans d'autres cas de prêtres responsables, disons, d'un comportement moral déplacé. La liste est longue. Le cardinal Danneels a tenté de protéger un évêque abuseur, a conseillé au roi des Belges de signer la loi sur l'avortement, a refusé d'interdire le matériel pornographique dans les écoles comme matériel «éducatif», a parlé du mariage homosexuel comme d'un «développement positif», s'est félicité avec le gouvernement belge pour avoir approuvé la loi sur «le mariage» entre personnes du même sexe.
En somme, des prises de position pas vraiment en ligne avec la doctrine catholique. Et pourtant, c'est à lui que Bergoglio a attribué un rôle important dans le Synode de 2015 sur la famille. On peut dire la même chose de l'ancien archevêque de Los Angeles, le cardinal Roger Mahony, qui a été sanctionné en 2013 par son successeur pour sa mauvaise gestion des cas d'abus sexuels du clergé, et pourtant, au début de cette année, Bergoglio l'a nommé son représentant officiel aux célébrations du 150e anniversaire du diocèse de Scranton (charge que Mahony a abandonnée après les manifestations de laïques). Et puis il y a le cas de Mgr Battista Ricca, choisi par François pour diriger la Casa Santa Marta, et nommé son prélat à l'Ior, bien que le mosignore ait été le protagoniste d'histoires homosexuelles, au point de demander son retour à Rome quand il vivait à l'étranger. Et puis il y a l'histoire de l'évêque Barros au Chili, accusé d'avoir couvert l'abus du prêtre Fernando Karadima mais défendu jusqu'au bout par le pape, au point de parler de «diffamation» contre lui, quitte ensuite à reculer et à s'excuser lorsque l'Associated Press publia une lettre qui démontrait incontestablement que le pape était au courant des méfaits de Barros depuis 2015 (épisode incluant le reproche au pape par le cardinal O'Malley, membre du conseil des cardinaux et à la tête de la Commission du Vatican sur la protection des mineurs).

Personne ne peut dire exactement pourquoi Bergoglio a été indulgent dans toutes ces affaires. Quoi qu'il en soit, il l'a été.

Et puis (et nous arrivons ici à son silence) il y a les absences de réponse aux critiques et aux observations, comme dans le cas des dubia des quatre cardinaux sur Amoris laetitia et comme dans le cas de la non-réponse sur le mémorandum de Viganò pendant le vol du retour de Dublin.

Bref, note Feser, Bergoglio n'est pas connu pour ses choix linéaires et ses réponses directes. Au contraire, Viganò est très clair dans son mémorandum, au point que, bien qu'il ne soit pas vague, il prête le flanc à la réfutation. Et ici, dit Feser, il n'y a qu'une seule conclusion : la crédibilité de quelqu'un qui est clair, et se montre disponible pour les vérifications, est plus grande que celle de celui qui se montre habituellement ambigu et évasif.

Malheureusement, toutes les autres charges contre Viganò vont dans le même sens. Curieuse, l'anecdote rapportée à propos du cardinal Sandri, qui a dit à un journaliste, au téléphone «Je ne suis pas à mon bureau, bonsoir». Et Feser souligne qu'il était le plus bavard de tous.

Tous se taisent, de la Secrétairerie d'État à la Nonciature de Washington. Vont-ils parler? On ne sait pas encore. Pourtant, écrit Feser, habituellement, les personnes innocentes nient les accusations portées contre eux. Et pourquoi la nonciature de Washington ne publie-t-elle pas la documentation nécessaire pour mieux comprendre?

Ces circonstances, cependant, ne semblent pas intéresser la grande presse, qui a décidé a priori de confirmer et de renforcer le récit basé sur l'image de François le Grand Réformateur, auquel les méchants traditionalistes mettent les bâtons dans les roues.

Bien sûr, il est possible qu'aujourd'hui, ou dans quelques jours, de nouveaux éléments et de nouvelles preuves changent complètement le tabeau. Lequel, à ce jour, est celui-là.

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