Benoît XVI, le Pape scientifique

Un article récemment paru sur le caractère libérateur de la science selon Benoît XVI, et plus spécialement son intérêt pour l'astronomie nous replonge dans quelques belles pages du pontificat (12/8/2018)

>>> A ce sujet, voir en particulier:
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¤ MATHÉMATIQUES, MATHÉMATICIENS, ET FOI (benoit-et-moi.fr/2009-I)
¤ BENOÎT XVI PARLE AU MONDE SCIENTIFIQUE (benoit-et-moi.fr/2014-II)

Quiconque se plonge dans le magistère pontifical de Benoît XVI (je ne veux pas parler ici de son immense oeuvre théologique d'avant l'accession au trône de Pierre, moins facile d'accès, tant matériellement - tout le monde ne fréquente pas les librairies spécialisées - qu'intellectuellemnt - il s'agit d'oeuvres scientifiques de haute volée, leur lecture suppose donc un certain bagage) ne peut que rester stupéfait devant l'ampleur et la profondeur de sa culture DANS TOUS LES DOMAINES, pourtant exposée avec simplicité, et d'un accès immédiat. Qui, parmi ceux qui l'ont suivi comme moi de 2005 à 2013, ne se souvient, par exemple, de la série de catéchèses sur les Père de l'Eglise, et sur les grandes figures de la Chrétienté?
Tout l'intéresse, et pas artificiellement, de façon superficielle, on sent que ce qu'il dit a été longuement pesé et mûri dans sa tête, et n'est pas le "devoir" laborieux de quelque fonctionnaire de la Curie lu ensuite avec ennui par le Pape (une impression qu'on peut parfois avoir ces temps-ci, lorsque le Pape ne part pas en roue libre...).

Avec Stephen Hawking

Particulièrement impressionnantes, ses compétences dans le domaine des sciences, qui lui consentait de dialoguer d'égal à égal, dans un esprit d'ouverture et de disponibilité, mais sans concession, avec les représentants les plus éminents d'un monde pourtant réputé fermé.

On relira par exemple son intervention, sur le thème de l'évolution, lors de la rencontre annuelle du Ratzinger Schülerkreis du 1er au 3 septembre 2006 (benoit-et-moi.fr/2014..), dans laquelle il jouait le rôle du modérateur.

 

«Il me semble important de souligner que la théorie de l'évolution, en grande partie, n'est pas démontrable expérimentalement de façon simple parce que nous ne pouvons pas introduire en laboratoire 10.000 générations. Cela signifie qu'il y a des vides ou des lacunes considérables de vérifiabilité-faisabilité expérimentales à cause de l'énorme espace temporel auquel la théorie se réfère.
En second lieu, une autre affirmation [de l'un des intervenants] m'a paru importante: la probabilité n'est pas nulle, mais elle n'est pas non plus égale à 1. D'où la question : à quelle hauteur se situe la probabilité ? C'est important si nous voulons interpréter correctement la phrase du Pape Jean-Paul II: "La théorie de l'évolution est plus qu'une hypothèse". Lorsque le Pape a dit cela, il avait ses bonnes raisons. Mais en même temps, il est vrai aussi que la théorie de l'évolution n'est pas encore une théorie complète, scientifiquement vérifiable.
(...)
Récemment, je me suis rendu compte de deux choses: il y a d'un côté une rationalité de la matière. On peut la lire. Elle porte des mathématiques en elle, elle est elle-même raisonnable, même si dans le long chemin de l'évolution il y a l'irrationnel, le chaotique et le destructif ; mais la matière comme telle est lisible.
D'un autre côté, il me semble que le processus [de l'évolution] envisagé dans sa globalité a aussi une rationalité. Malgré ses errances, le fait qu'il ait parcouru des routes erronées en empruntant des couloirs étroits, dans le choix des rares mutations positives et dans l'exploitation de faibles probabilités, le processus lui-même est quelque chose de rationnel.
Cette double rationalité qui se rend à nouveau accessible en correspondant à notre propre raison conduit inévitablement à une question qui dépasse la science, mais qui de toute façon est une question de la raison : d'où vient cette rationalité ?
Y a-t-il une rationalité originelle qui se reflète dans ces deux zones et dimensions de la rationalité ? Les sciences naturelles ne peuvent pas et ne doivent pas répondre directement, mais nous devons reconnaître la question comme raisonnable, oser croire en la raison créatrice, et lui faire confiance.
D'un côté, il y a la rationalité de la matière, qui ouvre une fenêtre sur le Creator Spiritus. À cela nous ne devons pas renoncer. C'est la foi biblique dans la Création qui nous a indiqué le chemin vers une civilisation de la raison, qui laisse naturellement toujours la possibilité de s'anéantir à nouveau. Cette dimension doit rester et je la définis même comme une dimension de contact entre les cultures grecques et bibliques, qui durent se fondre ensemble dans une raison interne et dans une nécessité interne».


Le thème de l'évolution, qui lui tenait particulièrement à coeur était encore l'objet de son discours devant l’Académie pontificale des sciences le 31 octobre 2008.

Personnellement, j'ai encore un souvenir très vif d'une rencontre du Saint-Père avec les jeunes, en avril 2006, sur la Place Saint-Pierre . Le Pape répondait sans notes à une question d'un lycéen, qui l'interrogeait sur les rapports entre foi et raison. Sa réponse mériterait d'être citée en entier. En voici l'extrait le plus significatif, où il parle des mathématiques:

 

Le grand Galilée a dit que Dieu a écrit le livre de la nature sous la forme du langage mathématique. Il était convaincu que Dieu nous a donné deux livres: celui de l'Ecriture Sainte et celui de la nature.
Et le langage de la nature - telle était sa conviction - sont les mathématiques; celles-ci sont donc un langage de Dieu, du Créateur.
Réfléchissons à présent sur ce que sont les mathématiques: en soi, il s'agit d'un système abstrait, d'une invention de l'esprit humain, qui comme tel, dans sa pureté, n'existe pas. Il est toujours réalisé de manière approximative, mais - comme tel - c'est un système intellectuel, c'est une grande, géniale invention de l'esprit humain.
La chose surprenante est que cette invention de notre esprit humain est vraiment la clef pour comprendre la nature, que la nature est réellement structurée de façon mathématique et que nos mathématiques, inventées par notre esprit, sont réellement l'instrument pour pouvoir travailler avec la nature, pour la mettre à notre service, pour l'instrumentaliser à travers la technique.
Cela me semble une chose presque incroyable qu'une invention de l'esprit humain et la structure de l'univers coïncident: les mathématiques, que nous avons inventées, nous donnent réellement accès à la nature de l'univers et nous le rendent utilisable. La structure intellectuelle du sujet humain et la structure objective de la réalité coïncident donc: la raison subjective et la raison objective dans la nature sont identiques. Je pense que cette coïncidence entre ce que nous avons pensé et la façon dont se réalise et se comporte la nature est une énigme et un grand défi, car nous voyons que, à la fin, c'est 'une' raison qui les relie toutes les deux: notre raison ne pourrait pas découvrir cette autre, s'il n'existait pas une raison identique à la source de toutes les deux.
Dans ce sens, il me semble précisément que les mathématiques - dans lesquelles, en tant que telles, Dieu ne peut apparaître - nous montrent la structure intelligente de l'univers. Certes, il existe également les théories du chaos, mais elles sont limitées car si le chaos prenait le dessus, toute la technique deviendrait impossible. Ce n'est que parce que notre mathématique est fiable que la technique est fiable. Notre science, qui permet finalement de travailler avec les énergies de la nature, suppose une structure fiable, intelligente, de la matière. Et ainsi, nous voyons qu'il y a une rationalité subjective et une rationalité objective de la matière, qui coïncident. Naturellement, personne ne peut prouver - comme on le prouve par l'expérience, dans les lois techniques - que les deux soient réellement le fruit d'une unique intelligence, mais il me semble que cette unité de l'intelligence, derrière les deux intelligences, apparaisse réellement dans notre monde. Et plus nous pouvons instrumentaliser le monde avec notre intelligence, plus apparaît le dessein de la Création.


<La Vigna del Signore> a attiré mon attention sur un article d'un auteur que je ne connais pas, paru sur un site que je ne connais pas davantage (peu importe, ici!), et qui met en évidence son intérêt pour une autre branche particulière de la science, l'astronomie.

Benoît XVI, et la science libératrice


Antonio Tarallo
www.sanfrancescopatronoditalia.it
Ma traduction

* * *

«Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre que n'en connaît ta philosophie» dit Hamlet, à son ami Horace, dans le texte de William Shakespeare.
Dans sa profonde humilité, le pape philosophe, le pape théologien, Benoît XVI semble presque s'être mis à l'écoute - lui aussi - des paroles du barde anglais, chaque fois qu'il a eu l'occasion de parler d'astronomie et de science en général. En fait, son âme s'est toujours placée devant la Science, à l'écoute et - je pense ne pas exagérer - dans une contemplation de recherche. Le pape Ratzinger a eu - durant ses années de pontificat - une attention particulière à ce thème. Et à chaque fois qu'il l'a fait, bien que dans sa profondeur philosophique et théologique indéniable, il a donné à la Science le rôle de «servante» de la connaissance de l'Infini, de Dieu.

Qu'on se souvienne de l'Angélus du temps de l'Avent, en 2008, quand il adressa aux fidèles ces réflexions intéressantes :

«La place même de la fête de Noël est liée au solstice d'hiver, lorsque les journées de l'hémisphère boréal, recommencent à s'allonger. À ce propos, tous ne savent peut-être pas que la place Saint-Pierre est aussi une méridienne : en effet, le grand obélisque projette son ombre le long d'une ligne qui court sur les pavés vers la fontaine qui se trouve sous cette fenêtre, et ces jours-ci, l'ombre est la plus longue de l'année. Ceci nous rappelle la fonction de l'astronomie, de rythmer les temps de la prière. L'Angélus, par exemple, se récite le matin, à midi et le soir, et c'est grâce à la méridienne, qui servait dans l'antiquité à connaître le "vrai midi", que l'on réglait les horloges».


Et encore:

«Le fait qu'aujourd'hui justement, le 21 décembre, à cette heure précise, c'est le solstice d'hiver, m'offre l'occasion de saluer tous ceux qui participent à différents titres aux initiatives de l'année mondiale de l'astronomie, en 2009, proclamée pour le 4e centenaire des premières observations au télescope de Galilée. Il y a eu parmi mes prédécesseurs de vénérée mémoire des amateurs de cette science, comme Sylvestre II, qui l'a enseignée, Grégoire XIII, auquel nous devons notre calendrier, et saint Pie X qui savait construire des horloges solaires. Si, selon les belles paroles du psalmiste, les cieux "racontent la gloire de Dieu" (Ps 19[18], 2), les lois de la nature, que tant d'hommes et de femmes de sciences nous ont, au cours des siècles, mieux fait comprendre, sont aussi un grand stimulant à contempler avec gratitude les œuvres du Seigneur».


Le thème de l'astronomie reviendra dans l'homélie de la Messe de l'Epiphanie de 2009. Il ne pouvait pas en être autrement. Comme ne pouvait manquer la référence aux trois astronomes que vénère la chrétienté le 6 janvier de chaque année. Il nous faut aussi nous souvenir que les Mages, ces hommes venus d'Orient, étaient au fond en route, suivant une étoile. Une étoile qui les conduira, ensuite, à un Enfant, à cet

« amour divin, incarné dans le Christ, loi fondamentale et universelle de la création. Cela doit en revanche être entendu non au sens poétique, mais réel. C'est ainsi que l'entendait du reste Dante lui-même, lorsque, dans le vers sublime qui conclut le Paradis et toute la Divine Comédie, il définit Dieu comme "l'amor che move il sole e l'altre stelle", l'amour qui meut le soleil et les autres étoiles (Paradis, XXXIII, 145). Cela signifie que les étoiles, les planètes, l'univers tout entier ne sont pas gouvernés par une force aveugle, ils n'obéissent pas aux dynamiques de la seule matière. Ce ne sont donc pas les éléments cosmiques qui doivent être divinisés, mais, bien au contraire, en toute chose et au-dessus de toute chose, il y a une volonté personnelle, l'Esprit de Dieu, qui dans le Christ s'est révélé comme Amour».


Mais dans une autre homélie, toujours pour l'Epiphanie (c'était en 2012), les Mages ont été les protagonistes de la méditation du Pape Benoît XVI. Et cette fois encore, le Pontife bavarois fait référence au thème fascinant de l'Astronomie, en s'attardant avant tout sur le débat autour de la célèbre étoile:

«On a beaucoup discuté sur le genre d’étoile qu’était celle qui avait guidé les Mages. On pense à une conjonction de planètes, à une Super nova, c’est-à-dire à une de ces étoiles au départ très faible en qui une explosion interne libère pendant un certain temps une immense splendeur, à une comète, etc. Que les savants continuent de discuter!»


Mais ensuite, dans cette homélie, Benoît XVI parvient à tracer une sorte de portrait robot de ces scientifiques, et - dans une certaine mesure, nous pouvons bien le dire - c'est comme s'il voulait tracer le portrait robot de "tout scientifique". On trouve, dans ses paroles, l'humanité de l'homme de science, de l'astronome, du chercheur. C'est un passage vraiment profond :

«Ils étaient, pourrions-nous dire, des hommes de science, mais non seulement dans le sens où ils voulaient connaître beaucoup de choses : ils voulaient davantage. Ils voulaient comprendre ce qui compte dans l’être humain. Probablement avaient-ils entendu parler de la prophétie du prophète païen Balaam : "Un astre issu de Jacob devient chef et un sceptre se lève, issu d’Israël". Ceux-ci approfondirent cette promesse. C’étaient des personnes au cœur inquiet, qui ne se contentaient pas de ce qui paraît et est habituel. C’étaient des hommes à la recherche de la promesse, à la recherche de Dieu. Et c’étaient des hommes attentifs, capables de percevoir les signes de Dieu, son langage discret et insistant. Mais c’étaient encore des hommes à la fois courageux et humbles : nous pouvons imaginer qu’ils durent supporter quelques moqueries parce qu’ils s’étaient mis en route vers le Roi des Juifs, affrontant pour cela beaucoup de fatigue (...) Pour eux, ce qui comptait était la vérité elle-même, et non l’opinion des hommes».


«... ce qui comptait était la vérité elle-même, et non l’opinion des hommes». Par cette affirmation, viennent vraiment à l'esprit tous ces scientifiques qui, au début de leurs découvertes, n'ont certainement pas eu la vie facile. Humiliation, dérision, qui ne les ont pas découragés de chercher la vérité.

Et nous savons bien que la vérité, si elle est "vérité vraie", est toujours liée au thème de la libération. Cet argument a été abordé par Papa Ratzinger durant l'Année internationale de l'astronomie en 2009. Voici comment il s'exprimait dans la salle Clémentine le 30 octobre de cette année-là:

«Les grands scientifiques de l'âge des découvertes nous rappellent également que la connaissance authentique est toujours tournée vers la sagesse, et, au lieu de rétrécir les yeux de l'esprit, elle nous invite à lever le regard vers un royaume de l'esprit plus élevé. La connaissance doit, en somme, être comprise et recherchée dans toute son ampleur libératrice. Il est assurément possible de la réduire à des calculs et à des expériences, mais, si elle aspire à être sagesse, en mesure d'orienter l'homme à la lumière de ses premiers débuts et de sa conclusion finale, elle doit s'engager dans la recherche de la vérité ultime qui, bien qu'étant toujours au-delà de notre complète portée, est cependant la clef de notre bonheur et de notre liberté authentiques, la mesure de notre véritable humanité et le critère pour une juste relation avec le monde physique et avec nos frères et nos sœurs au sein de la vaste famille humaine».

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