Eloge des frontières

Magnifique réflexion de Marcello Veneziani sur ceux qui veulent "des ponts, pas des murs" (10//1/2019)

 

Marcello Veneziani reprend ici et prolonge pour le quotidien non aligné "La Verità" une réflexion commencée il y a deux ans sur son blog sous le titre "L'imbécile global au pouvoir" (cf. benoit-et-moi.fr/2017)
On se souvient que ce slogan avait été utilisé par François en 2016, dans l'avion de retour du Mexique, pour exprimer son opposition à Donald Trump (cf. benoit-et-moi.fr/2016).

Le mur de l'idiotie


Marcello Veneziani
Article publié dans La Verità du 9 janvier 2019
Ma traduction

* * *

Le mot d'ordre du Crétin Planétaire pour se faire reconnaître et admirer est: nous voulons des ponts, pas des murs. Dès qu'il prononce la phrase, le Crétin Planétaire s'illumine d'encens, croit avoir dit la Vérité Suprême de l'Humanité, et un sourire d'ahuri triomphal apparaît sur son visage. Il n'y a pas de prédication, pas de discours institutionnel, pas d'article, pas de sermon ou de message public, pas de concert musical, pas de film ou de représentation théâtrale qui ne soit précédé, suivi ou farci de cette phrase obligatoire. L'imbécile global se sent avec la conscience en place, et avec un sentiment de supériorité morale rien qu'en disant cette phrase.

Le crétin planétaire répète toujours la même phrase, qu'il parle de migrants ou de toute autre catégorie protégée. Lui, il accueille, comme le prescrivent tous les jours les testimonial [1] du "Non aux murs", le Pape, Mattarella et Fico [2] qui gagnent quotidiennement des places au hit parade national de ceux qui se cognent la tête contre les murs.

Le perroquet global marche contre les murs mais le mot clé sert surtout à murer l'Ennemi, pour séparer de l'humanité évoluée et accueillante des mouvements et des personnes qui sont inspirés par l'amour de la patrie, la souveraineté nationale, la civilisation, la tradition. L'appel à abattre les murs et à construire des ponts est désormais obsessionnel et concerne non seulement les peuples et les frontières territoriales, mais aussi les sexes et les frontières naturelles, les cultures et les comportements, les religions et les appartenances, et même le règne humain du règne animal. De l'ONU aux Golden Globe, des sermons aux talk-shows et aux chansons, la vague d'idiotie fait tomber le Mur du son et du bon sens.

Maintenant, je voudrais tout d'abord observer que les murs les plus infâmes que connaisse l'histoire de l'humanité ne sont pas les murs qui empêchent d'entrer, mais les murs qui empêchent de sortir. Comme le sont, nécessairement, les murs des prisons et comme le fut, le dernier grand et tristement célèbre Mur que l'histoire a connu, à Berlin. Et que n'a bâti nul régime nationaliste ou souverainiste, aucun dictateur et aucun Trump, mais le communisme. Ceux qui ont essayé de franchir ce mur et ce fil barbelé pour s'échapper de leur terre, ont été abattus par les vopos. Aucun régime autoritaire ou nationaliste n'a jamais eu la nécessité d'ériger un mur pour empêcher les gens de s'échapper. Nous n'avons pas non plus connaissance d'exodes de peuples comparables à ceux des terres où le communisme a dominé.

Si nous voulons rester en Italie, et à Rome en particulier, il n'y a qu'un seul mur au cœur de la capitale qu'on ne peut pas franchir, et c'est précisément le Mur du Vatican où le Régnant prêche au monde, mais pas chez lui, pour faire tomber les murs et accueillir tout le monde. Et en tout cas les murs les plus célèbres, les murs de la honte et des lamentations, n'appartiennent pas au christianisme.

Cela dit, à ceux qui aiment la civilisation et la tradition, l'amour de la patrie et la souveraineté nationale, ce qui sied plutôt, c'est le sens de la frontière. Parce que frontière signifie sens des limites, sens de la mesure, seuil nécessaire pour respecter les différences, les rôles, les identités et les communautés. Toutes les frontières sont des seuils, ce sont des portes qui s'ouvrent et se ferment, qui servent à se confronter soit dans le dialogue soit dans le conflit, mais aussi à délimiter ou à contenir si nécessaire. La société déracinée de notre temps a perdu le sens de la frontière et, en fait, supprime les frontières des peuples, des sexes, des personnes, la frontière entre le licite et l'illicite a été perdue. Supprimer les frontières est synonyme de transgression, de délire, de rupture. La pire malédiction pour les Grecs était l'hybris, la suppression des limites, la démesure, se perdre dans l'infini. La frontière, c'est la protection, la sécurité, l'humilité, la protection des plus faibles, et non l'hostilité ou le racisme. Je vous suggère de lire "L'éloge des frontières" de Regis Debray...

Sans murs, il n'y a pas de maison, pas de temple, pas de sécurité. Sans murs, il n'y a pas de pudeur, d'intimité, de protection contre le froid, l'obscurité et l'inconnu. Sans murs, il n'y a pas de sens de la mesure, de reconnaissance des limite et de ses propres limites. Sans murs, il n'y a pas de beauté, pas de forteresse, pas de fondation de villes, pas d'érection de civilisations. Ce n'est pas un hasard si les villes éternelles sont nées de Romulus qui a tracé les frontières et non de Remus qui les a violées. Les murs, ce sont les bastions de la civilisation, les hôpitaux de la charité, les bibliothèques de la culture, les murs de l'art, le recueillement de la prière.

Si le crétin planétaire ne le comprend pas, en revanche, les anarchistes de Tarnac le comprennent bien, eux qui ont vu dans le mur abattu la victoire du chaos et de l'anarchie: «La destruction des capacités d'autonomie des dominés passe par l'abolition des frontières de leur être: individuel et collectif. Tant qu'il y a des frontières, il est possible d'opposer un système de valeurs à un autre, un type de droit à un autre, de distinguer un homme d'une femme, une mère d'un père, le citoyen de l'étranger, bref, le vrai du faux, le juste de l'injuste, le normal de l'anormal» ("Gouverner par le Chaos - Ingénierie sociale et mondialisation", 2008) [3].

Les villes sans frontières perdent leur identité, comme les personnes qui perdent leurs traits. Ne renversez pas l'amour pour la famille en homophobie, l'amour pour la patrie en xénophobie, l'amour pour sa propre civilisation en racisme, l'amour pour sa tradition en islamophobie. Et l'amour des frontières en murs de la haine.
Mais tout cela, le Crétin Planétaire ne le sait pas.

NDT


(1) Testimonial est un terme anglais utilisé entre autre en italien dans le domaine de la communication et de la publicité pour désigner un processus qui associe l'image et le témoignage d'une personne considérée comme représentative (un expert, une célébrité, un leader d'opinion, un consommateur type) à une cause ou un produit pour renforcer sa crédibilité (it.wikipedia.org).

(2) Roberto Fico, appartenant à l'aile gauche du mouvement "5 étoiles", actuel président de la chambre des députés , il est favorable au mariage et à l'adoption pour les couple gays, au droit du sol, à l'euthanasie et au "Pacte global" (Pacte mondial). Bref, la totale!!

(3) Voir l'excellent site www.polemia.com

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