L'appel de Mgr Viganò à McCarrick

Après un long silence, le courageux archevêque lance à son confrère un appel à la conversion et au repentir, qui s'adresse aussi indirectement à l'Eglise, et qui dégage une toute autre sincérité que l'appel du Pape aux évêques américain (15/1/2019)

Viganò, appel à Mc Carrick: "Repentez-vous, c'est seulement ainsi que vous ferez du bien à l'Eglise blessée par les abus"


Marco Tosatti
lanuovabq.it
14 janvier 2019
Ma traduction

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Mgr Carlo Maria Viganò prend à nouveau la parole, après un silence qui a duré plusieurs semaines. Il le fait avec un appel à l'ex-cardinal Théodore McCarrick, un appel à la conversion, et surtout à une repentance publique, et à une demande publique de pardon à ses victimes et à l'Église. Bien sûr, il y en a qui s'opposeront, sur un ton de pharisien: de quel droit l'archevêque Viganò s'adresse-t-il à McCarrick sur ce ton? En réalité, Viganò fait ce que d'autres auraient peut-être dû ressentir le besoin de faire. Par ailleurs, une demande de conversion publique, et la demande publique de pardon pour ses erreurs et ses mauvaises actions semble juste, étant donné l'étendue publique des dommages causés à l'Église, ainsi qu'aux victimes individuelles, dont la vie a été marquée par le comportement de McCarrick. Cela fait partie de l'antique tradition de l'Église de toujours.

Si les sanctions imposées par Benoît XVI à l'ancien archevêque de Washington ne pouvaient, sur la base du droit canonique, être portées qu'à la connaissance d'un nombre limité de personnes directement concernées par l'affaire, [ceci] en l'absence d'un scandale public, il est évident que ce n'est plus le cas maintenant.

On a appris il y a quelques heures que James Grein, l'accusateur-clé dans le scandale de McCarrick, a rencontré Sara Sullivan, l'assistante du procureur du district de Manhattan, qui mène une enquête de grande envergure sur les abus du clergé et une couverture systématique. Le fait que Grein travaille avec la justice civile indique que nous avons affaire à un saut qualitatif dans les enquêtes.

Par conséquent, face à un scandale grandissant, qui a atteint jusqu'à la personne du Souverain Pontife, comme en témoignent les questions de Mgr Viganò laissées sans réponse, une prise de conscience et un témoignage public de repentir de la part du principal protagoniste du drame semblent plus qu'appropriés. Avant que la justice (même si elle n'est qu'administrative, peut-être pour éviter de découvrir de prestigieuses complicités?) du Vatican et celle des Etats-Unis en arrivent à un verdict.

Mais voici la lettre que Mgr Carlo Maria Viganò a adressée à Théodore McCarrick [dans la traduction en français de La Porte Latine]:

Cher Archevêque McCarrick,

Comme l'a annoncé la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, les accusations portées contre vous pour crimes envers des mineurs et abus envers des séminaristes seront examinées et jugées très prochainement par une procédure administrative.

Quelle que soit la décision prise par l'autorité suprême de l'Eglise, ce qui importe vraiment et qui a causé de la peine à ceux qui vous apprécient et prient pour vous, c'est le fait que vous n'ayez donné, au cours de ces derniers mois, aucun signe de repentir. Je suis du nombre de ceux qui prient pour votre conversion, pour que vous vous repentiez et demandiez pardon aux victimes et à l'Eglise.

Le délai est court, mais vous pouvez encore vous confesser et vous repentir de vos péchés, crimes et sacrilèges, et le faire publiquement, étant donné qu'ils sont désormais publics. Votre salut éternel est en jeu.

Mais il est aussi question d’un autre point, d'une extrême importance. Paradoxalement, vous avez à disposition un magnifique don de grande espérance de la part du Seigneur Jésus : vous vous trouvez dans une condition qui vous permet de faire un grand bien à l'Eglise. En effet, l'occasion vous est donnée de poser un acte qui surpasse en importance toutes les bonnes œuvres de votre vie. Votre repentance publique serait une mesure extraordinaire de guérison pour l'Eglise gravement blessée et souffrante. Êtes-vous disposé à offrir ce don à l'Eglise ? Le Christ est mort pour nous tous quand nous étions encore pécheurs (Rom. 5,8). Il ne nous demande que de répondre par notre repentir et de faire le bien qu'il est en notre pouvoir d'accomplir. Le bien que vous êtes en mesure de faire aujourd'hui est d'offrir à l'Eglise votre repentir sincère et public. Ferez-vous ce don à l'Eglise ?

Je vous en conjure, repentez-vous publiquement de vos péchés, afin que l'Eglise en bénéficie et que vous puissiez vous présenter devant le tribunal de Notre-Seigneur, purifié par Son sang.

Je vous en prie, faites que son Sacrifice sur la Croix ne soit pas vain pour vous. Le Christ, notre Seigneur plein de bonté n’a de cesse de vous aimer. Mettez toute votre confiance en Son Sacré-Coeur. Et priez Marie, comme nous sommes nombreux à le faire, en lui demandant d'intercéder pour le salut de votre âme.

"Maria Mater Gratiae, Mater Misericordiae, Tu nos ab hoste protege et mortis hora suscipe" "Marie Mère de la Grâce, Mère de Miséricorde, protégez-nous des atteintes de l'ennemi et accueillez-nous à l'heure de notre mort."

Votre frère dans le Christ.
+ Carlo Maria Viganò
Dimanche 13 janvier 2019,
En la fête du Baptême du Seigneur et de Saint Hilaire de Poitiers


Et voici le commentaire de Riccardo Cascioli, impeccable, comme toujours

Repentir et purification, le défi de Viganò


Riccardo Cascioli
www.lanuovabq.it
15 janvier 2019
Ma traduction

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L'appel à la conversion, qui est au cœur de la lettre de Mgr Carlo Maria Viganò à l'ex-cardinal Theodore McCarrick, abuseur en série, est un défi pour toute l'Église en vue du sommet de février au Vatican sur les abus sexuels. Un défi que le Vatican semble vouloir ignorer pour l'instant.


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Si nous nous en tenons aux mots utilisés, la lettre, rendue publique hier, de Mgr Carlo Maria Viganò à l'ex-cardinal Theodore McCarrick aurait dû être accueillie avec une grande satisfaction au Vatican. L'ex-nonce aux États-Unis demande à l'abuseur en série McCarrick de se convertir, et la conversion comme moyen de sortir de la crise des abus sexuels était également au centre de la lettre envoyée par le pape François aux évêques américains le 1er janvier dernier [cf. La lettre du Pape aux évêques américains].

Mais à l'évidence, l'harmonie n'est qu'apparente, la nouvelle lettre de Viganò a décidément agacé Sainte Marthe et ses alentours, à tel point que Vatican News - le portail dirigé par le nouveau directeur de la rédaction de l'ensemble des médias du Vatican Andrea Tornielli - a soigneusement évité d'en donner la nouvelle.

Il reste un peu plus d'un mois avant le sommet sur les abus sexuels (il se déroulera du 21 au 24 février) qui amènera à Rome, lors de la rencontre avec le Pape, les présidents des conférences épiscopales du monde entier. Et il ressort clairement de tous les discours prononcés jusqu'à présent et des décisions prises, que la ligne que le Pape François et ses collaborateurs voudront donner à la rencontre consiste à identifier le mal dans l'abus de pouvoir, dans le cléricalisme, en omettant non seulement le thème de l'homosexualité mais aussi en évitant de trop creuser dans le passé. Il est très possible qu'après les dernières révélations sur les abus commis sur des mineurs, McCarrick puisse être réduit à l'état laïc avant le début du sommet, mais il est tout aussi probable que des tentatives seront faites pour éviter d'aller au fond des circonstances et des complots - aux États-Unis comme à Rome - qui ont permis à un prêtre violeur de devenir évêque, puis cardinal.

Il ne s'agit pas seulement d'une question de stratégies: en ce sens, le langage de Mgr Viganò se réfère continuellement à ce qui se passera dans l'autre vie, lorsque nous nous présenterons devant le Tribunal de Dieu. C'est ainsi qu'il expliqua le dossier qui, en août dernier, fut une sorte de tremblement de terre dans l'Église: Viganò affirmait qu'ayant atteint les dernières années de sa vie, en pensant au moment où il apparaîtrait devant le Seigneur, il ne pouvait garder ce poids sur le cœur.

Et dans la lettre publiée hier, il rappelle également à McCarrick que le jour de sa comparution devant le «tribunal de Notre Seigneur» est désormais proche, alors il l'invite à se repentir de ses péchés (publics, tout comme le scandale est public) quelle que soit l'issue du procès canonique. Seule cette confession publique de son péché peut purifier l'Église, dit encore Mgr Viganò: «Une repentance publique de votre part procurerait une mesure extraordinaire de guérison pour une Église gravement blessée et souffrante».

Dans les paroles de Mgr Viganò, il y a donc une conscience claire que tout est lié au jugement de Dieu, c'est de la conscience du Dernier Jour que descendent aussi les actions terrestres: la vérité et la transparence ne sont pas simplement une manière de rendre justice aux hommes, une stratégie pour récupérer la crédibilité perdue de l'Église, mais elle reflètent l'exigence d'être purifié par le Seigneur.

En ce sens, le défi que Mgr Viganò lance à toute l'Église est beaucoup plus exigeant que de simplement faire la lumière sur l'affaire McCarrick et les affaires connexes. Il ne concerne pas simplement la gestion d'une crise morale et d'une crise de foi qui traverse toute l'Église, mais le destin de chacun de nous et de l'Église dans son ensemble. Il serait souhaitable que lors du sommet de février, ce niveau de défi soit pris en compte, pour ne pas rater une occasion de conversion véritable, réduisant tout à une guerre entre bandes ou à l'instrumentalisation du scandale des abus pour promouvoir un agenda ecclésial (voire l'acceptation de l'homosexualité dans le clergé et la question du célibat).

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