Les dubia d'un prêtre

Magnifique et courageux témoignage d'un prêtre de terrain qui écrit à Aldo Maria Valli EN SIGNANT DE SON NOM pour lui confier sa douleur et sa perplexité face au Pontificat actuel - et qui a même été sanctionné pour cela! (16/1/2019, page mise à jour)

Ce témoignage est un démenti cinglant aux fantasmes complotistes des fans de Bergoglio (eh oui, eux aussi!): impossible en effet de relier cet homme de Dieu, manifestement d'une foi profonde, à quelque mouvement d'extrême-droite piloté à distance par... (mais par qui, au juste?), ou (encore plus absurde) à quelque lobby financé par les "ultra-libéraux" d'Outre-Atlantique, dont la Cour papale fait son miel.

On observera également qu'on est très loin des scandales pédophiles, qui sont pourtant le seul angle retenu par les médias: même s'il est important, il n'est qu'une petite partie - et un symptôme - du problème.
La carence de l'information est ici criante, et explique pourquoi François, malgré son action délétère pour la foi et pour l'Église, continue à bénéficier d'une certaine (et inexplicable) popularité parmi les catholiques - au moins dans le monde occidental: ces derniers ignorent tout simplement ce qui se passe au Vatican sous François. Il faut donc rendre hommage à des journalistes comme Aldo Maria Valli, grâce à qui les faits en cause sont accessibles à un public plus large, même s'il reste trop limité, car malheureusement, les critiques, du moins en France, tournent en circuit fermé.

Voici tous mes 'dubia' de prêtre et de religieux


Aldo Maria Valli
16 janvier 2019
Ma traduction

* * *

Chers amis lecteurs, la lettre que vous trouverez ci-dessous m'a été envoyée par un prêtre et religieux, appartenant à une grande congrégation présente dans différents pays (1). C'est un témoignage significatif, qui met en lumière une réalité beaucoup plus répandue qu'on ne l'imagine.
L'auteur exprime de manière simple et claire les raisons pour lesquelles il a commencé à ressentir de la perplexité face à ce pontificat et pourquoi il croit qu'aujourd'hui l'Église est dans une situation devant laquelle une prise de conscience résolue est nécessaire.
Comme c'est souvent le cas pour ceux qui osent exprimer des doutes et poser des questions sur l'enseignement de François, le prêtre a lui aussi été sanctionné et paie donc personnellement. Mais il n'y a pas de victimisme de sa part. Seulement l'observation implicite du peu de liberté réelle qu'il y a dans l'Église actuelle, face aux appels répétés à la parhésie, autrement dit au droit-devoir de dire franchement ce que l'on pense.

Mais surtout, je remercie le prêtre d'une chose: de s'être exprimé à visage découvert, en signant sa lettre. En fait, nous sommes entourés de trop de don Abondio (2).

A.M.V.

Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur (Ps 118,26)


QUI JE SUIS

Je suis un prêtre religieux de soixante-deux ans, et trente-six ans de ministère, appartenant aux Fils de l'Amour Miséricordieux. Depuis décembre dernier, j'ai été suspendu a divinis par mon Supérieur général: je ne peux plus dire la messe en public, prêcher ou confesser. Je peux seulement célébrer en privé. (Et je peux aussi écrire à Aldo Maria Valli... au moins pour le moment.)
Pour l'instant, la sanction est de six mois, mais sa durée réelle n'est connue que par le Seigneur. Les motivations en sont les suivantes:

1. parce que dans le Canon de la Messe, après le nom de François, j'inclus aussi la mémoire du Pape Émérite Benoît
2. parce que dans ma prédication, quand le thème l'exige, j'exprime ma perplexité sur certaines positions doctrinales et morales du Pape Bergoglio.

Je voudrais souligner que j'ai fait tout cela dans le cadre de mon ministère ordinaire: d'abord dans deux petites églises de campagne et ensuite dans deux petites chapelles de ville. Je n'ai pas cherché d'amplification médiatique ni provoqué de clameurs inutiles.
Et en parlant de ces arguments, je pense que j'ai transmis non pas un goût de la critique gratuite, mais le sentiment d'une vraie préoccupation intérieure; et j'ai essayé non pas tant de persuader les auditeurs par la force, mais de les aider à raisonner sur les faits, afin de comprendre «ce qui bout dans la marmite» dans l'Église.

Néanmoins, la suspension est arrivée.
J'accepte tranquillement, je ne discute pas... et je rends grâce.

CE QUE JE PENSE

En 2013, j'ai accueilli l'arrivée du pape Bergoglio comme une forte rafale de vent, venant de la lointaine Pampa, capable de balayer en peu de temps les vapeurs et les brumes qui pesaient sur le Vatican et l'Église.
Puis tout a changé avec la publication d'Amoris laetitia en 2016.
Je me souviens d'avoir tourné et retourné le chapitre VIII de cette Exhortation pendant un mois entier, dans une tentative désespérée d'y trouver une quelconque inspiration, jusqu'à ce qu'il me faille me rendre à l'évidence: ce chapitre était ambigu et contradictoire, et une telle caractéristique ne pouvait être accidentelle!
J'ai donc pleinement partagé l'initiative des quatre cardinaux qui, quelques mois après, ont présenté les cinq dubia; et j'ai été profondément déçu que le pape Bergoglio n'ait pas voulu répondre et clarifier.
C'est à ce moment-là que la confiance dans le Pape Bergoglio a commencé à vaciller; et un terrible soupçon a fait son chemin dans mon esprit: certaines prophéties qui circulent depuis longtemps, comme celles liées à La Salette, à Fatima, ou à plusieurs autres révélations privées, évoquant la possibilité d'«une grande apostasie» à partir du sommet de l'Eglise, sont-elles en train de se réaliser? C'est dans cette perspective que j'ai commencé à évaluer les écrits, les paroles et les gestes du Pontife.

LES QUESTIONS QUE JE ME POSE

Cette observation critique m'a amené à me poser beaucoup de questions sur le Pape argentin: certaines plus complexes et articulées, d'autres plus simples et plus populaires.
Comme, par exemple, les suivantes:

¤ Pourquoi en 2016 n'a-il pas voulu répondre aux questions clarificatrices des cardinaux des dubia, et a-t-il au contraire alimenté les interprétations les plus aventurées de son document, augmentant ainsi la confusion théorique et pratique ?
¤ Pourquoi, en 2017, a-t-il brusquement éloigné le Cardinal Müller de ses fonctions de Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, exactement cinq ans après sa nomination, et ne lui a-t-il donné aucun autre poste ?
¤ Pourquoi, encore en 2017, a-t-il accueilli la statue de Luther au Vatican, se faisant photographier devant lui; et ensuite, pourquoi a-t-il cru bon de célébrer le cinq centième anniversaire de la Réforme, renforçant ainsi la voix de ceux qui prétendent qu'un très grave processus de protestanisation de l'Eglise catholique est en cours?
¤ Pourquoi se prévaut-il officiellement et de façon répétée de la collaboration d'une personnalité aussi discutablequee le père jésuite américain James Martin, champion déclaré de l'idéologie du gender et de la cause homosexuelle ?
¤ Pourquoi, depuis le début de son pontificat jusqu'à aujourd'hui, ne parvient-il pas à dire un mot clair sur la question très délicate de la communion aux divorcés remariés et aux époux protestants de fidèles catholiques ?
¤ Pourquoi, depuis le début de son pontificat jusqu'à aujourd'hui, s'agenouille-t-il devant les personnes à qui il lave les pieds, mais ne peut le faire devant Jésus-Sacrement, ni pendant la consécration, ni quand il est devant le Très Saint Sacrement solennellement exposé (alors qu'il y a à côté de lui un prie-Dieu avec tout ce qu'il faut de coussins, et que tous les autres - cérémoniaires et célébrants - sont prostrés sur le sol)?
J'avoue que ce dernier point me fait littéralement exploser: pourquoi fait-il cela? quel genre de message veut-il envoyer? et à qui veut-il l'envoyer? J'aimerais que quelque "gardien de la révolution" me réponde.

LA QUESTION DE FOND

Ceci étant, certains me demanderont: «Mais toi, considères-tu que Bergoglio est encore le Pape?» Je réponds: jusqu'à ce qu'on ait officiellement démontré que la démission de Benoît ou le conclave de 2013 ont présenté de graves irrégularités (chose qui n'est certainement pas à la portée de n'importe qui), Bergoglio est Pape à plein titre, et ses actes de juridiction ont pleine valeur. Dans ce domaine important, en effet, de simples soupçons (aussi crédibles et répandus soient-ils) ne suffisent pas, mais des certitudes absolues et irréfutables sont nécessaires.
Ceci n'enlève rien au droit et au devoir de tout baptisé d'exprimer sa critique en cas d'enseignements ou de comportements pontificaux inadéquats, comme l'ont fait l'apôtre Paul «à visage découvert» (cf. Ga 2, 11) et Jésus lui-même qui l'appelle «Satan» (cf. Mc 8, 33) envers Simon Pierre.
Dans le cas où la situation se précipiterait avec des initiatives encore plus inconsidérées (par exemple, dans le domaine oecuménique ou liturgique), il faudra s'en tenir aux indications de quelque cardinal plus éclairé et plus courageux (en effet, une prise de position claire et formelle prise par «un nombre significatif de cardinaux» semble de moins en moins probable). Est-il possible qu'il n'y en ait même pas un qui soit prêt à honorer pleinement la couleur pourpre qu'il porte?

Mais évitons de nous projeter trop loin dans le futur. Limitons-nous à confier chaque chose au Seigneur, en le suppliant de se réveiller de son profond sommeil, de calmer le vent et la mer, et de reprendre en main le gouvernail de sa barque.

LES RAISONS POUR LESQUELLES J'ÉCRIS

J'ai décidé d'écrire mon propre témoignage pour deux raisons.

Primo. Pour m'adresser à beaucoup d'autres prêtres et religieux qui, depuis 2016, connaissent les mêmes difficultés que celles que j'ai évoquées plus haut; et qui expérimentent eux aussi, de la part de leurs supérieurs respectifs, toutes sortes de vexations morales: réprimandes, menaces, renvoi, marginalisation, suspensions, etc.
Je voudrais les encourager fraternellement; et leur rappeler que dans ces cas nous avons le droit et le devoir de «défendre la Vérité» (au cas où, à notre avis, elle serait menacée), mais nous n'avons aucune possibilité de «défendre notre personne» (même dans le cas de décisions lourdes contre nous).
Et je voudrais aussi les inviter à offrir leurs propres tribulations à la très aimable personne du Pape Benoît XVI: afin que le Seigneur le soutienne physiquement et spirituellement, jusqu'à l'accomplissement complet de sa douloureuse mission.
En effet - et nul ne doit l'oublier - Benoît a renoncé à «faire le Pape», mais il n'a pas renoncé à «être Pape». Afin qu'il constitue encore un point de référence sûr pour tous ceux qui aiment vraiment l'Église: en particulier, avec son exemple d'immolation silencieuse et priante.

Secundo. Pour m'adresser à ce nombre toujours croissant de fidèles laïcs qui trépignent d'impatience, dans leur désir de faire quelque chose de concret et d'utile, pour soutenir la maison de Dieu qui s'écroule comme la basilique de Norcia [en partie détruite lors du terrible tremblement de terre du 24 août 2016, cf. benoit-et-moi.fr/2016]; des fidèles laïcs qui sont plus conscients et aguerris qu'on ne l'imagine.
Je voudrais leur dire de se battre pour cette juste cause avec tous les moyens à leur disposition, mais, de ne jamais, sous aucun prétexte, quitter l'enclos officiel de l'Église catholique, même si celle-ci devait devenir "fausse" de la tête aux pieds. La «vraie» Église, même réduite à «un petit reste», n'a pas besoin de produire de schismes déclarés, car elle survivra dans le cœur de ceux qui restent fidèles au véritable Magistère de l'Église, au milieu d'une majorité hostile.

Dans la situation dramatique dans laquelle nous sommes précipités, il est suffisant de faire une sorte de «résistance interne et souterraine», comme celle des premiers chrétiens envers l'Empire romain, païen et intolérant, attendant que le Seigneur et la Sainte Vierge accomplissent leurs plans de purification sur l'Église et sur le monde.

Père Gabriele Rossi, FAM

NDT


(1) FAM: Figli dell'Amore Misericordiosa (Fils de l'Amour Miséricordieux)

(2) Personnage du célèbre roman d'Alessandro Manzoni "I promessi sposi" (Les fiancés):
C'est un homme lâche, paresseux et peureux, qui fuit les difficultés et les obstacles qu'il rencontre et, comme l'écrit Manzoni, c'est "un vase en terre cuite au milieu de nombreux vases en fer" (it.wikipedia.org).

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