Le Triduum pascal de François

En 2019, François escamote une fois de plus le jeudi Saint. Cet article de Giuseppe Nardi confirme le peu d'importance qu'il accorde à la théologie des sacrements. Mais ne continue-t-il pas tout simplement, à Rome, ce qu'il pratiquait déjà comme archevêque à Buenos Aires, contre les règles et la tradition? (2/4/2019)

Le pape François et l’escamotage systématique du Jeudi saint
Le pape des gestes et les signaux qu’il envoie


Giuseppe Nardi
Katholisches.info
28 mars 2019
Traduction d'Isabelle

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(Rome) En 2019 encore, pour la septième fois consécutive, le pape François privatise la liturgie de l’un des trois jours du Triduum pascal. Plus encore, cette liturgie a complètement disparu du calendrier des célébrations pontificales de la semaine sainte 2019, qui vient d’être publié avec, une fois de plus, un trou béant, sans explication, comme si la liturgie du Jeudi saint n’existait plus du tout.

Le premier Jeudi saint de ce pontificat suivit de deux semaines l’élection de François en mars 2013. On a dit à l’époque que le pape Benoît XVI avait fixé la date de sa surprenante renonciation en fonction de celle de la fête de Pâques, pour que l’élection de son successeur puisse avoir lieu pendant le carême. De manière à ce que les cardinaux résidents puissent retourner à temps pour le Triduum sacrum dans leurs évêchés respectifs.

Depuis son élection François escamote systématiquement la liturgie du Jeudi saint, qu’il n’a jamais célébrée en public. Les trois jours saints forment une unité liturgique indivise. L’Eglise y fait mémoire de l’événement central de l’histoire du salut, depuis la dernière Cène jusqu’à la résurrection du Christ.
Il est prescrit à tous les évêques de célébrer dans leur cathédrale la Cène du Seigneur, acte de fondation visible de l’Eglise. C’est pour cette raison que la liturgie du Jeudi saint est l’un des rares moments de l’année liturgique où le pape, traditionnellement, célèbre dans la basilique du Latran. C’est elle en effet, et non pas la basilique Saint-Pierre, qui est la cathédrale de Rome. Elle est la première basilique de la chrétienté et porte, dès lors, le titre de Omnium urbis et orbis ecclesiarum mater et caput, «Mère et tête de toutes les églises de la Ville (i.e. de Rome) et du monde».

Pourtant, sous François, le Jeudi saint se perd dans les brumes du souvenir. En mettant exclusivement en relief le lavement des pieds, il utilise la liturgie à des fins d’activisme politiquement correct. A la plus grande joie des activistes sociaux, certes, mais sans faire droit comme il convient à la signification de ce jour. Si le lavement des pieds est un élément important, ce n’est pas le plus important. La modification du rituel du lavement des pieds le Jeudi saint (décret In missa in Cena Domini), réalisée par le pape François, rend très claire l’importance prépondérante qu’il accorde à ce « geste social ». Depuis 2016, dans toutes les églises du monde, lors de la messe de la Cène du Seigneur, cette action symbolique peut être accomplie aussi envers des femmes et des jeunes filles.

François laisse orphelins son église cathédrale et son troupeau et visite ce jour-là des asiles pour réfugiés et des prisons ; ce qu’il pourrait faire en bien d’autres occasions, à tout moment de l’année. Et c’est bien pour cela qu’il ne faut pas s’étonner que, très vite, soit né le soupçon que l’escamotage de la Missa in coena Domini relève d’une intention cachée plus profonde. En faveur de cette hypothèse plaide le caractère systématique, mais aussi le sens de ce que François escamote.
La liturgie des Jours saints, selon la conception traditionnelle de l’Eglise, doit être accessible à tous les croyants. Et cela vaut en particulier pour les célébrations liturgiques présidées par l’évêque. L’élément principal n’est pas le lavement des pieds, mais la fondation de l’Eglise par l’institution des sacrements de l’ordre et de l’eucharistie. Sacerdoce et eucharistie sont constitutifs de l’Eglise, dont le sens plénier s’accomplit, au fil des jours suivants, jusqu’à la résurrection du Christ. Le Jeudi saint est traditionnellement le jour par excellence où l’on prêche sur le sacerdoce, son sens et sa beauté. Le sacerdoce sacramentel, l’eucharistie et la fondation de l’Eglise avec les exigences qui en découlent, font partie des « obstacles » au dialogue œcuménique et interreligieux.

L’automne prochain a lieu le Synode sur l’Amazonie qui, dit-on, cherchera à s’en prendre au sacrement de l’ordre. Existe-t-il un rapport entre les deux faits ?
Le Jeudi saint sous le pape François réserve des surprises. Le Jeudi saint 2018, Eugenio Scalfari, l’ami athée et franc-maçon du pape, publiait sa dernière interview avec le chef de l’Eglise. Une interview dont le cardinal Burke a qualifié le contenu d’« insupportable » :
« Qu’un athée connu ait la prétention d’annoncer une révolution dans le magistère de l’Eglise catholique en déclarant parler au nom du pape quand il nie l’immortalité de l’âme humaine et l’existence de l’enfer est un grave scandale. »

A HUIS CLOS
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Ce que l’on critique dans la manière d’agir de François pour le Jeudi saint n’est pas d’abord que lui-même soit invisible, mais surtout qu’il rende invisible l’essentiel. Il est à cet égard symbolique que François en 2017 ait soustrait le Jeudi saint aux yeux du monde et des croyants pour en faire la « Célébration de ceux qu’on ne voit pas ».
Le pape François aime emprunter de nouveaux chemins, dont il ne se laisse écarter ni par les réserves ni par la critique. Les endroits où il a célébré jusqu’ici, à huis clos, la liturgie du Jeudi saint, trahissent ses préférences. Le « huis clos » signifie en premier lieu l’exclusion des fidèles :


En 2017, Katholisches.info écrivait :

La messe au soir du Jeudi saint a une signification qui touche à la constitution même de l’Eglise ; son contenu est extrêmement riche. On y commémore le lavement des pieds que le Seigneur a instauré vis-à-vis des Apôtres. Un signe que la succession apostolique doit toujours être un humble service. Pour exprimer cela, les papes lavaient les pieds de cardinaux et d’évêques, car ils sont leurs subordonnés directs.

Mais ce n’est là qu’un élément. Le même soir, on commémore surtout l’institution de l’eucharistie par Jésus-Christ et l’institution du sacerdoce ministériel qui lui est indissociablement lié. Cette double institution constitue le cœur de la célébration du Jeudi saint et est étroitement liée à l’Eglise comme Lieu sacré. Cela demande que la Messe In Coena Domini soit célébrée par le Pasteur suprême dans sa cathédrale, avec le peuple des croyants.

En d’autres termes : par la visite du pape à un lieu inconnu et fermé, l’institution du sacrement de l’ordre (sacerdoce) et de l’autel (eucharistie) s’effacent de nouveau devant le geste du lavement des pieds, qui apparaît surtout comme un geste social. Un aspect mis en relief par le fait que le pape François ait aussi lavé les pieds à des musulmans.

Depuis ses visites dans les prisons et asiles pour réfugiés, reste aussi en suspens la question de savoir si le pape François a distribué la communion à des non catholiques. Cette question n’a reçu de réponse ni du Vatican ni des aumôniers des institutions visitées.

En 2014, une initiative des médias catholiques appelait les évêques à ne pas délaisser leur cathédrale ce soir-là pour célébrer en d’autres lieux, faisant valoir qu’il est « anormal » que l’évêque s’absente de sa cathédrale. Cette initiative fut sans effet, dès lors que c’est le pape lui-même qui abandonne désormais sa cathédrale, la basilique du Latran. Le pape François rend « invisible » la liturgie, pourtant centrale, du Jeudi saint, qui jusqu’ici était ouverte à tous les fidèles et retransmise à la télévision.

La question de l’administration de la communion à des non-catholiques et même à des non-chrétiens n’en reste pas moins en suspens. Ne pas y répondre permet au soupçon de se transformer en certitude. Si cela était, ce serait le pape François lui-même qui aurait forcé la porte non seulement de l’intercommunion, mais encore de la « communion pour tous ».
Le lavement des pieds à des membres d’autres religions, tel que le pape François l’a concrètement pratiqué pour des musulmans, n’est pas moins problématique. Cela ne contredit pas seulement la véritable intention de ce geste, mais a permis des images que l’on pourrait interpréter comme une attitude de soumission du chef suprême de l’Eglise envers l’Islam. Si on voit dans la paix une œuvre strictement humaine, on pourra applaudir le pape. Mais celui qui sait que le Christ est le Prince de la Paix et que la paix véritable ne peut venir que de Lui, s’étonne en se frottant les yeux.

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