Lettergate: les 11 théologiens de François

Le théologien Peter Hünnermann

Deux d'entre eux étaient signataires de la "déclaration de Cologne" et avaient ouvertement défié l'autorité papale et le magistère de l'Eglise. (3/4/2018)

A l'évidence, le choix de tels hommes (et femmes!) pour illustrer une prétendue continuité, tout en exaltant la stature intellectuelle de Jorge Mario Bergoglio était une provocation, et un affront à Benoît XVI

 
Viganò espérait-il une distraction du Pape émérite ou peut-être, dans sa lettre - qui n'a pas encore été rendue publique - jouait-il la carte "morale" d'une demande du Pape François lui-même?
L'embrouille qui a suivi la "démission non-démission" de Viganò, montre très clairement que ce dernier n'a pas agi 'motu proprio'.

Dans la version définitive de la réponse de Benoît XVI à Dario Vigano, il y avait notamment ce paragraphe, évidemment omis en première lecture, bien qu'il en éclairât tout le sens:

Accessoirement, je voudrais vous faire part de ma surprise de voir également figurer parmi les auteurs le professeur Hünermann qui, au cours de mon pontificat, s’est distingué pour avoir mené des initiatives anti-papales. Il a largement participé à la publication de la « Kölner Erklärung » qui, en ce qui concerne l’encyclique « Veritatis splendor », a attaqué l’autorité magistérielle du pape de manière virulente, particulièrement sur des questions de théologie morale. (www.diakonos.be/settimo-cielo)


Luisella Scrosati, sur la Bussola d'aujourd'hui, nous en dit un peu plus sur cette «Kölner Erklärung» de 1989, dont les revendications étaient aux antipodes de la position de la CDF dirigée à l'époque par le cardinal Ratzinger.

Ces théologiens contre le pape qui aujourd'hui font carrière


Luisella Scrosati
www.lanuovabq.it
3 avril 2018
Ma traduction

* * *

Il n'a pas dû être agréable pour Benoît XVI de constater que parmi les onze volumes "élus" de la collection La Théologie du Pape François, il y avait deux signataires de la Déclaration de Cologne: Peter Hünermann et Jürgen Werbick. La Déclaration de Cologne et la position de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, alors dirigée par Ratzinger, sont exactement aux antipodes. Comment aurait-on pu penser alors que Ratzinger apporterait sa contribution au soutien d'une œuvre qui entend montrer une continuité en faisant appel aux partisans de l'opposition et de la contestation?

L'objectif de la publication des onze volumes de la collection La Théologie du Pape François était de «rendre accessible ce trésor de sagesse ecclésiale qui anime et se cache derrière les gestes du Pape François». Le projet, en particulier, aurait dû «montrer l'enseignement du Pape François, ses racines, les nouveautés de son pontificat, la continuité avec le magistère précédent et les perspectives qu'il ouvre». Ce sont les mots du directeur éditorial de la LEV, le frère Giulio Cesareo, franciscain conventuel, fortement désiré par Viganò qui l'a défini comme «un nouvel élément important dans le processus de réforme».

Sauf que le fameux «non, merci» du Pape émérite - provoqué par la ténacité du nouvel Assesseur [titre 'de compensation' conféré par François à Vigano, ndt] à vouloir faire connaître quand même les paroles de la lettre du Pape Ratzinger - a soulevé quelques doutes sur la continuité.
En réalité, il n'a pas dû être plaisant pour Benoît XVI de constater que parmi les onze volumes "élus" de la collection La Théologie du Pape François, figuraient deux signataires de la Déclaration de Cologne: Peter Hünermann et Jürgen Werbick. En particulier parce que dans cette déclaration de 1989, les tons étaient tout sauf ouverts à la confrontation et au dialogue. Du genre: «La Curie romaine met ostensiblement en œuvre au niveau mondial le projet de pourvoir les sièges épiscopaux sans tenir compte des propositions des Églises locales et en négligeant unilatéralement les droits qu'elles ont acquis».
Il est étrange, cependant, que les zélés signataires n'aient pas cillé alors que c'est le Pontife actuel qui n'a pas tenu compte des traditionnelles terne pour la nomination des évêques de Madrid, Chicago et Bologne. Comme on le sait, il faut discerner au cas par cas...
Mais à part le ton, déjà très révélateur des intentions, il faudrait demander au Frère Giulio comment l'on démontre la continuité en choisissant deux théologiens qui ont ouvertement contesté le Magistère de Jean Paul II et de Benoît XVI.

Une lecture rapide de la Déclaration de Cologne ne peut que confirmer les perplexités du choix. Par exemple, la véhémence contre l'irruption indue du centralisme romain «dans l'attribution ou le refus de l'autorisation ecclésiastique d'enseigner, sans consultation préalable de l'église locale ou même contre la conviction explicite de l'évêque local». Une vision «fédéraliste» de l'Église à faire pâlir Umberto Bossi [le fondateur de la Ligue du Nord, dont le programme d'autonomie de la région implique une certaine dose de fédéralisme, ndt].
Les signataires avançaient une argumentation qui avait été mise dans la naphtaline pendant un certain temps et qui est maintenant reprise sans trop de scrupules: «Tous les enseignements de l'Église ne sont pas caractérisés sur le plan théologique par le même degré de certitude et d'importance. Nous nous opposons à une pratique qui, en attribuant ou refusant l'autorisation ecclésiastique d'enseigner, viole cette doctrine des degrés de certitude théologique et de la "hiérarchie des vérités" qui lui est connectée».
Il va sans dire que la détermination du type de consentement à donner aux déclarations de l'Église serait matière à la libre discussion théologique, qui n'accepte pas les interventions de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, accusée d'avoir «arbitrairement monté comme critères d'identification de la foi... des problèmes périphériques dans le domaine éthique et dogmatique», problèmes sur lesquels on s'est même «fixés».

Variations sur le même thème:
«Le droit des facultés et des instituts universitaires d'intégrer leur personnel en recourant au choix de nouveaux enseignants ne peut être complètement sapé par un exercice arbitraire du pouvoir d'accorder ou de refuser l'autorisation ecclésiastique d'enseigner. Le fait que, dans les universités, le choix des professeurs de théologie se fait sur la base de critères étrangers à la science et sous la pression des problèmes mentionnés ci-dessus implique une détérioration de la dignité de la théologie dans le contexte universitaire».

Trois ans plus tôt, la Congrégation intervenait pour suspendre d'enseignement de la théologie le professeur Charles Curran, qui avait littéralement porté un coup à toutes les questions liées à l'éthique sexuelle, de la contraception aux actes homosexuels, de l'indissolubilité conjugale à l'euthanasie. Le Préfet de l'époque, le Cardinal Ratzinger, avait dû répondre à la déclaration de fond du Prof. Curran [cf. www.vatican.va], écrivant que «vos thèses, puisqu'elles sont convaincantes pour vous et ne diffèrent que de l'enseignement "non infaillible" de l'Église, constituent une dissidence "responsable" et devraient donc être autorisées par l'Église». La même position que les signataires. Ratzinger rappelait cependant que c'est Vatican II lui-même qui ne limite pas «le Magistère infaillible aux seules questions de foi ou aux définitions solennelles» (Cf. Lumen Gentium, 25).
En outre «l'Église ne construit pas seulement sa vie sur son Magistère infaillible, mais aussi sur l'enseignement de son Magistère authentique ordinaire», auquel les fidèles sont tenus de prêter «l'observance religieuse de l'intelligence et de la volonté». Le prof. Curran avait donc proposé de continuer à enseigner la théologie morale, mais sans traiter de l'éthique sexuelle, sur laquelle il n'était pas d'accord avec le Magistère. La réponse de Ratzinger nous permet de clarifier comment comprendre le principe de la "hiérarchie des vérités" tel qu'exprimé dans la Déclaration de Cologne: la Congrégation «n'accepte pas votre solution de compromis, à cause de l'unité organique de l'authentique théologie catholique, unité qui est intimement liée, dans son contenu et sa méthode, à la fidélité au Magistère de l'Église». Est-ce clair? Unité organique, liée à la fidélité au Magistère.

Puis, en 1990, la Congrégation publiait "l'Instruction sur la vocation ecclésiale du théologien" , qui rappelait que le théologien n'est pas un libre penseur qui ne doit tenir compte que de critères scientifiques; au contraire, lorsqu'il reçoit le mandat d'enseigner, il devient «dans un certain sens, une participation à l'œuvre du Magistère.... A partir de ce moment, il est officiellement investi de la tâche de présenter et d'illustrer, avec toute la précision et dans son intégralité, la doctrine de la foi»; et elle rappelait une fois de plus les différents degrés d'adhésion aux enseignements du Magistère.

Le "grand refus" du Pape émérite se situe donc en parfaite cohérence avec ces affirmations: comment peut-on confier la tâche de présenter la continuité du pontificat actuel avec les précédents à des théologiens qui ont contesté ceux-ci et qui refusent d'accomplir leur travail théologique selon l'esprit de l'Église? Comment, par exemple, confier l'anthropologie du Pape François à la plume de Hünermann, qui conteste toutes les positions du Magistère sur l'éthique sexuelle? Qu'advient-il du principe de l'unité organique des vérités de la foi ?

Enfin, la Déclaration de Cologne dénonce «la tentative extrêmement problématique de considérer d'une manière inadmissible et au-delà des limites dues la compétence tant magistérielle que juridictionlle du pape».
Le pape doit non seulement éviter de fourrer son nez dans les nominations des évêques et dans l'autorisation ecclésiastique pour l'enseignement de la théologie, mais il doit aussi se limiter dans son enseignement. «La conscience individuelle n'est pas un substitut au Magistère pontifical»; au contraire, selon les signataires, «le Magistère est lié - dans son interprétation de la vérité - également à la conscience individuelle des croyants. Neutraliser la tension entre doctrine et conscience signifie nier la dignité de la conscience». Dans le collimateur, au premier plan, il ne pouvait y avoir qu'Humanae vitae:
«De l'avis de nombreuses personnes appartenant à l'Église, la règle sanctionnée par l'encyclique Humanae vitae de 1968 sur la régulation des naissances représente simplement une orientation qui ne remplace pas la responsabilité de la conscience des fidèles. Beaucoup d'évêques.... et de moralistes considèrent que cette position est défendue à juste titre par de nombreux chrétiens et chrétiennes parce qu'ils sont convaincus que la dignité de la conscience ne consiste pas seulement dans l'obéissance, mais aussi et surtout dans la responsabilité. Un pape qui, dans ses discours, se réclame de plus en plus de la responsabilité des chrétiens et des chrétiennes dans le cadre de l'agir intramondain, ne devrait pas systématiquement négliger cette exigence sur un point aussi grave».

Sur ce point aussi, Ratzinger a répondu avec une extrême clarté dans l'Instruction qui vient d'être mentionnée, en rappelant que «le devoir de suivre sa propre conscience ne peut légitimer la dissidence. Tout d'abord parce que ce devoir s'exerce lorsque la conscience éclaire le jugement pratique en vue d'une décision à prendre, alors qu'il s'agit ici de la vérité d'un énoncé doctrinal». En d'autres termes: sur les énoncés doctrinaux, on ne donne pas de jugement pratique, mais l'adhésion de l'intellect et de la volonté. «En outre parce que si le théologien, comme tout croyant, doit suivre sa conscience, il est aussi tenu de la former. La conscience n'est pas une faculté indépendante et infaillible.... La conscience droite est... dûment éclairée par la foi et par la loi morale objective».

Il ne fait aucun doute que ces théologiens ont été choisis pour leur conformité avec les slogans fréquents du cours ecclésial actuel, que l'on retrouve explicitement dans la clôture de la Déclaration de Cologne: l'Église «n'est pas une ville assiégée et contrainte d'élever encore plus ses remparts, se défendant avec force contre ce qui est à l'intérieur et à l'extérieur»; "la défense des églises pauvres, la libération des églises aisées de leurs collets, et la promotion de l'unité de l'Eglise sont des finalités que nous comprenons et pour lesquelles nous nous impliquons»; l'Église «n'a pas pour tâche d'exacerber les conflits d'importance secondaire en éludant toute tentative de dialogue, ni de les trancher unilatéralement en recourant aux instruments du Magistère».

Reste le fait que la Déclaration de Cologne et la position de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, alors dirigée par Ratzinger, sont à l'opposé l'une de l'autre. Comment pouvait-on alors penser que Benoît XVI allait apporter sa contribution au soutien d'une œuvre qui entend faire preuve de continuité en faisant appel aux partisans de l'opposition et de la contestation? Viganò espérait-il une distraction du Pape émérite ou peut-être, dans sa lettre - qui n'a pas encore été rendue publique - jouait-il la carte "morale" d'une demande du Pape François lui-même?
L'embrouille qui a suivi la "démission non-démission" de Viganò, montre très clairement que ce dernier n'a pas agi motu proprio.

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