Une critique qui fait mouche

Si même ses amis le lâchent... Le cardinal O'Mailey, considéré comme proche de François, s'insurge contre des propos du Pape en défense de Juan Barros un évêque chilien impliqué dans la couverture d'actes pédophiles (22/1/2018)

>>> Voir les explications de La Croix.

 

Les accusations du cardinal O'Mailey embarrassent le Pape

Les mots de O'Malley marquent un tournant dans la papauté de François, aussi parce que le cardinal capucin doit être considéré comme un grand électeur à plein titre de Bergoglio au conclave de mars 2013, un homme de sensibilité très semblable à celle du pape régnant.


Lorenzo Bertocchi
www.lanuovabq.it
22 janvier 2018
Ma traduction

* * *

«Le jour où nous aurons une preuve contre Mgr Barros, je parlerai. Il n'y a pas l'ombre d'une preuve. Tout le reste, ce sont des calomnies, c'est clair?» Ce sont ces paroles du Pape François qui ont provoqué la prise de position inhabituelle et surprenante d'un cardinal important dans la géographie pourpre du pontificat de Bergoglio, l'évêque américain de Boston Sean Patrick O'Malley.

Confiées aux journalistes chiliens au cours du voyage apostolique qui s'achèvera aujourd'hui par son retour à Rome, les paroles de François concernent le débat sur l'évêque d'Osorne, diocèse chilien confié à Mgr Juan Barros par Bergoglio lui-même en 2015. Au Chili, depuis sa nomination dans le diocèse, les protestations ne s'apaisent pas, réclamant la destitution de cet évêque accusé d'avoir couvert le prêtre Fernando Karadima, aujourd'hui âgé de quatre-vingt-sept ans, coupable de crimes graves d'abus sur mineurs (reconnus comme tels par les tribunaux civils et canoniques).

En 2014, après une enquête du Vatican, la décision a été prise de démettre Barros de ses fonctions, en même temps que deux autres évêques chiliens, toujours en référence à l'affaire Karadima. Mais pendant le séjour du Pape François au Chili, Associated Press a publié une lettre signée par le Pape lui-même, et envoyée aux évêques chiliens en janvier 2015, dans laquelle cette décision était annulée; en outre, quelques mois plus tard, Juan Barros a été nommé évêque d'Osorno par Bergoglio. C'est de là que sont parties les protestations contre Barros et contre le Pape, coupable de l'avoir nommé sans tenir compte des témoignages des victimes. La réponse claire que nous avons rapportée plus haut, dans laquelle François défend encore très clairement Barros, a rouvert la plaie au lieu de la refermer.

Prenant tout le monde par surprise, le communiqué du Cardinal Sean O'Malley, lequel a un rôle très délicat dans ce domaine, est arrivé comme un ouragan. Le cardinal est membre du groupe des neuf cardinaux qui collabore étroitement avec le Pape dans le gouvernement de l'Eglise et est président de la Commission Pontificale pour la Protection des Mineurs. Dans un communiqué officiel O'Malley a clairement pris ses distances des paroles du Pape: «Il est compréhensible que les déclarations du Pape François faites jeudi à Santiago du Chili soient une source de grande tristesse pour les survivants d'abus sexuels commis par le clergé ou toute autre personne. Les paroles du Pape transmettent le message que si vous ne pouvez pas prouver vos affirmations, alors vous ne serez pas cru» et, en substance, font passer l'idée d'«un abandon de ceux qui ont subi des violence répréhensibles pour leur dignité humaine», «reléguant les survivants dans le discrédit». La suite du communiqué semble vouloir assouplir un peu la position; O'Malley y déclare qu'il ne peut pas dire «pourquoi le Saint-Père a choisi ces mots» et se dit certain de l'engagement de François dans la lutte contre le fléau des abus sexuels sur des enfants, mais la substance de la première partie reste. Le Cardinal de Boston se place clairement du côté des victimes et laisse entendre que les paroles de François pour défendre Barros sont d'une certaine façon peu respectueuses de la souffrance. Pour une papauté comme celle de François, toutes centrées sur la proximité des derniers, le communiqué du Cardinal de Boston sonne vraiment mal.

Entre-temps, un blog défini comme semi-officieux du Vatican, Il Sismografo, dirigé par Luis Badilla, prend position et demande à Mgr Barros de renoncer, parce que «l'Église locale et le Vatican n'ont pas toujours pris les meilleures décisions». En outre, peut-on lire dans le blog, «le Pape devrait [ndt: est-ce une injonction pressante, ou une hypothèse pour le futur?] immédiatement accepter cette décision du prélat».

Mais ce sont les mots de O'Malley qui marquent un tournant dans la papauté de François, aussi parce que le Cardinal Capucin doit être considéré comme un grand électeur à plein titre de Bergoglio au conclave de mars 2013, un homme de sensibilité très semblable à celle du pape régnant. Ces dernières heures, O'Malley a rencontré François à Lima, au Pérou, et il est probable que pendant le vol papal de retour à Rome, lors de la conférence de presse habituelle, on pourra en savoir un peu plus, et peut-être apaiser les tensions.

Cependant, la question des abus pourrait être le début d'une deuxième phase du pontificat, car elle s'ajoute à l'autre grand inachevé du programme, la réforme des finances du Vatican. François, qui a insisté à maintes reprises sur la transparence et la tolérance zéro dans ces deux affaires épineuses, se trouve aujourd'hui confronté à d'énormes problèmes qui soulèvent des doutes quant aux choix qu'il a faits. Dans les deux cas, il y a la conviction que les solutions adoptées, du comité anti-abus jusqu'au Secrétariat à l'économie, sans parler de certains choix qui ont produit Vatileaks 2, étaient trop aléatoires, ou erronées.

Tous droits réservés.
La reproduction, uniquement partielle, des articles de ce site doit mentionner le nom "Benoît et moi" et renvoyer à l'article d'origine par un lien.