Les mystères du Pape émérite

Une intéressante réflexion de Riccardo Cascioli, qui revient sur le livre "Il segreto di Benedetto" d'Antonio Socci, pour souligner l'énorme importance de l'acte de Benoît XVI - pourtant apparemment classé et enterré (28/2/2019)

Voir sur ce sujet:
¤ Le secret de Benoît XVI
¤ Il Segreto di Benedetto
¤ Le secret de Benoît

Et aussi:
¤ En mémoire du 28 février 2013

On peut continuer à faire comme si de rien n'était, mais le fait historique, la «réforme de la papauté», demeure, et produira de toute façon des conséquences.

Les Mystères du Pape émérite


Riccardo Cascioli
www.lanuovabq.it
28 février 2019
Ma traduction

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Le 28 février dernier, il y a six ans, Benoît XVI quittait définitivement le Palais Apostolique et poursuivait son ministère dans une vie de prière. Mais le sens de ce renoncement est encore mal compris, il a lui-même soutenu l'idée d'une réforme de la papauté mais sans en expliquer les détails. C'est un sujet dont on parle peu, et pourtant il aura de grandes conséquences pour l'Église.


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Beaucoup de gens auront encore imprimées dans les yeux les images de ce 28 février, il y a six ans, lorsque le Pape Benoît XVI, en hélicoptère, quitta définitivement le Palais Apostolique du Vatican pour se rendre temporairement à Castelgandolfo, afin de commencer «comme pèlerin la dernière partie de sa vie». Le 11 février précédent, en la fête de Notre-Dame de Lourdes, il avait annoncé sa démission de la papauté.

Pendant longtemps, on a fantasmé et on fantasme encore sur les véritables raisons de ce renoncement , malgré que Benoît ait toujours affirmé qu'il s'agissait d'une décision «en pleine liberté». On a en revanche beaucoup moins réfléchi sur l'«près le renoncement» qui, à bien y regarder, est le fait le plus lourd de conséquences pour l'Église. Car si la renonciation à la papauté a déjà eu lieu dans le passé et est même prévue par le Code de droit canonique, la papauté «émérite» n'a jamais été pensée et, encore moins théorisée.

Pour comprendre combien la chose a pris par surprise, il suffit de citer l'article de La Civiltà Cattolica (qui sort après le visa de la Secrétairerie d'État) publié immédiatement après le 11 février par le canoniste Père Gianfranco Ghirlanda: «Il est évident que le Pape qui a démissionné n'est plus Pape, donc il ne peut plus avoir aucun pouvoir dans l'Église et ne peut plus intervenir dans les affaires gouvernementales. On peut se demander quel titre Benoît XVI conservera. Nous pensons qu'il devrait recevoir le titre d'évêque émérite de Rome, comme tout autre évêque diocésain qui cesse».

Mais Benoît XVI avait autre chose en tête et voulait être «pape émérite», en gardant le titre de «Sa Sainteté» et en revêtant la simple soutane blanche. Un inédit, dont le sens et les conséquences pour l'Église sont encore à explorer. A coup sûr il y a eu dans un certain sens un changement dans la papauté. Bien qu'il soit impropre de parler de «deux papes», Benoît XVI n'a certainement pas eu l'intention de renoncer à son ministère dans son intégralité. Il l'a dit clairement lors de la dernière audience du 27 février: «Le "toujours", est aussi un "pour toujours" - il n'y a plus de retour à la vie privée. Ma décision de renoncer à l'exercice actif du ministère n'annule pas cela. Je ne reviens pas à la vie privée, à une vie de voyages, de rencontres, de réceptions, de conférences, etc. Je n'abandonne pas la croix, mais je reste d'une manière nouvelle avec le Seigneur crucifié. Je n'exerce plus le pouvoir de l'office pour le gouvernement de l'Église, mais au service de la prière je reste, pour ainsi dire, dans l'enclos de saint Pierre».

Comme l'expliquera Mgr Georg Gänswein, secrétaire personnel de Benoît XVI et préfet de la Maison pontificale, dans un discours historique le 21 mai 2016, s'il n'y a pas «deux papes», on peut néanmoins parler «de facto d'un ministère étendu, avec un membre actif et un membre contemplatif». Et peu avant, il avait dit que «depuis le 11 février 2013, le ministère pontifical n'est plus celui d'avant. Il est et demeure le fondement de l'Église catholique, et pourtant c'est un fondement que Benoît XVI a profondément et durablement transformé en son pontificat d'exception».

Ce sont des déclarations d'une importance énorme, mais elles sont tombées dans l'oubli. Le Pape François n'a jamais soutenu cette vision, essayant de reléguer Benoît XVI au simple rôle de «grand-père sage à la maison» et valorisant seulement l'institution de la démission du Pape. Là aussi, face à deux façons si différentes de comprendre le passage historique, on pourrait s'attendre à un débat à la hauteur de la nouveauté. Mais à la place, rien.

On peut continuer à faire comme si de rien n'était, mais le fait historique, la «réforme de la papauté», demeure, et produira de toute façon des conséquences. Avec beaucoup de mérite, dans son dernier livre (Il segreto di Benedetto XVI) Antonio Socci retrace tous les passages fondamentaux de cette affaire, en examinant les interventions de Benoît XVI et de Mgr Gänswein, qui ont progressivement ajouté détails et critères pour comprendre au moins en partie le sens de la décision du pape émérite. La partie centrale du livre, avec les commentaires de divers canonistes, devient ainsi un résumé incontournable pour comprendre ce qui est en jeu.

On peut être d'accord ou non sur les prémisses à la renonciation de Benoît XVI et sur les conclusions qu'en tire Socci, mais il reste le fait qu'aujourd'hui, à six années de distance, il n'est pas moins important qu'alors de comprendre comment la papauté a changé. Au contraire, compte tenu des développements récentes, on pourrait dire que c'est encore plus urgent.

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