par Paul Badde, pour Die Welt, traduite par Marie-Anne (13/7/2010)


Le cardinal Meisner, archevêque de Cologne, est LE grand ami du Pape parmi les cardinaux. Dans la discrétion et la loyauté, à des années lumière de certains prélats mondains réputés "proches de Benoît XVI".

Juste après l'élection, rencontrant ses compatriotes bavarois, le Saint-Père avait fait la confidence qu'un de ses confrères cardinaux, lors du conclave, lui avait dit "tu dois accepter" (*). N'était-ce pas déjà lui?

Et n'était-ce pas le même Joachim Meisner qui, lui souhaitant son 80e anniversaire, lui écrivait: Saint-Père, si Jésus avait vécu jusqu'à 80 ans, il te ressemblerait (http://tinyurl.com/34sbwnt ).

Une autre image magnifique que je garde du cardinal est celle d'un homme en larmes, aux côtés du cardinal Lustiger, le 28 mai 2006, lorsque Benoît XVI prononça son bouleversant discours au camp de Birkenau.

Marie-Anne traduit pour moi une seconde belle interviewe du cardinal, après une autre, datant d'Avril 2010, par l'Agence de presse Kath.neet (cf http://tinyurl.com/2wznruu ).
Parlant du Saint-Père, il dit:
Chaque fois que je pense à lui, j’en reçois force et courage. Comme successeur de Pierre, il est le fondement de l’Église catholique. Il est le Rocher sur lequel est bâtie l’Église apostolique. Et comme le poids penche toujours vers le bas selon la loi de la gravitation, cela veut dire que tout le poids de l’Église aboutit sur le bureau du pape, sur ses mains et jusque dans son cœur. C’est déjà un miracle qu’il ne ploie pas sous ce fardeau.

L'auteur de l'interviewe est Paul Badde, déjà rencontré ici: http://tinyurl.com/38zrkk2


“Finalement, c’est bon que tous ces méfaits soient venus au grand jour”
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Le Cardinal Joachim Meisner, archevêque de Cologne s’exprime sur les abus sexuels commis dans l’Église catholique, ains que sur le célibat et le tournant de 1989

Entretien avec Paul Badde (journaliste de Welt am Sonntag)

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Welt am Sonntag : Que pensez-vous de tout ce qui vient de se passer dans l’Église ?

Joachim Kardinal Meisner : En janvier j’étais encore loin d’imaginer que tout cela pourrait seulement exister. Mais il me fallait me rendre à l’évidence ; c’est la dure réalité aussi chez nos prêtres en Allemagne. Et cela a provoqué en moi un choc terrible. Mais après tout, j’ai été fortifié dans ma conviction qui est la suivante : là où il s’agit de la sanctification des prêtres, le diable, le diviseur, l’ennemi, essaie de contre-carrer le règne de Dieu, mais finalement le règne de Dieu triomphe même sur le mal. A ce point de vue-là, on peut considérer comme un bien que tous ces méfaits soient venus au grand jour.

Welt am Sonntag : Chaque déception suppose une illusion perdue. Avez-vous eu auparavant quelque illusion sur l’état de l’Église ?

Meisner : Oui, à strictement parler, je suis maintenant sans illusion. Et cela me réjouit. Parce que cela m’a fait redécouvrir l’essence même du sacerdoce. Le miracle du sacerdoce, c’est qu’il y a un Dieu vivant qui attire dans son service des hommes avec leur personnalité, leur vie, pour qu’ils rendent témoignage de Lui en chair et en os. Les prêtres ne doivent jamais être des fonctionnaires qui dirigent une affaire. Si la force de leur témoignage s’évanouit, alors les prêtres n’ont plus aucun fondement. Là où les prêtres deviennent les camarades de l’Antéchrist, il y a un péché grave.

Welt am Sonntag : Qu’est-ce qui va se passer maintenant ?

Meisner : J’espère en Dieu, que cette fois-ci on est arrivé au fond du trou et qu’à mon avis, cela ne pourra pas être pire.

Welt am Sonntag : Que diriez-vous aux prêtres qui désespèrent ?

Meisner : Quelques uns m’ont dit : Finissons-en, changeons de sujet, nous avons déjà suffisamment honte. C’est parce que, bien entendu, j’ai abordé le sujet à chacune de nos rencontres entre prêtres. Mais j’ai aussi l’impression que les croyants s’expriment par leurs pieds… Nous n’avons jamais eu une Semaine Sainte aussi intense avec une si grande participation que cette année. A Pâques, la cathédrale de Cologne était plus pleine qu’à la nuit de Noël, ou à la Pentecôte ! On ne pouvait presque plus entrer. Ou bien encore pour la Fête-Dieu ! A la fin de la célébration, j’ai dit aux fidèles : “Il y a quelques mois ou quelques semaines nous étions littéralement traînés dans la boue. Mais lorsqu’on fait la fête, cela veut dire que l’objet de la fête nous dépasse complètement. Nous avons donc réellement fêté le Christ aujourd’hui. Nous ne sommes plus dans la boue. Nous sommes dans la proximité du Seigneur".

Welt am Sonntag : Avez-vous des encouragements venant du pape ?

Meisner : Chaque fois que je pense à lui, j’en reçois force et courage. Comme successeur de Pierre, il est le fondement de l’Église catholique. Il est le Rocher sur lequel est bâtie l’Église apostolique. Et comme le poids penche toujours vers le bas selon la loi de la gravitation, cela veut dire que tout le poids de l’Église aboutit sur le bureau du pape, sur ses mains et jusque dans son cœur. C’est déjà un miracle qu’il ne ploie pas sous ce fardeau.

Welt am Sonntag : Quelle est la situation des prêtres allemands au sein de l’Église universelle ? Qu’est-ce qui les préoccupe tout particulièrement ?

Meisner : C'est le nuage du soupçon qui les envahit tous maintenant. Les jeunes prêtres me disent qu’on ne fait plus de camp de vacances avec les enfants… Si un enfant les approche cela devient tout de suite suspect. Ce qui aggrave aussi la situation au niveau psychologique, c’est que 50 % des enfants n’ont pas de papa. C'est ce que je constate chaque fois lorsque je visite un jardin d’enfants : les enfants cherchent ma proximité, m’attrapent par la main, veulent se blottir contre moi. Et leurs éducatrices m’expliquent : “Ce sont des enfants qui n’ont pas de père à la maison. ” Ainsi donc, si nous devions abandonner la présence auprès des enfants durant les vacances cela causerait un dommage immense pour ces enfants. C’est une situation très difficile. Il y a des prêtres qui se demandent : Est-ce que je peux tendre la main à un servant d’autel ? C’est tout simplement diabolique. Une situation ingénue est devenue dangereuse…

Welt am Sonntag : Est-ce trop tôt pour dresser un bilan de l’année sacerdotale demandée par le pape Benoît, en ce qui concerne le rôle des hommes d’Église ?

Meisner : L’importance du ministère des prêtres a été perçue plus profondément que par le passé aussi bien du côté des ministres que du côté du peuple de Dieu. Et surtout : l’importance du don du célibat. C’est bien l’épine qui blesse notre société. C’est ce qui explique sa réaction violente. Lorsqu’il s’agit d’un célibataire, on se demande s’il est fou ou bien alors, il renvoie à Dieu. Il n’y a pas d’autre alternative. Et si les gens voient qu’il n’est pas fou, alors ils doivent admettre l’existence de Dieu. Si le célibat est vécu avec conviction, il devient la preuve par excellence de l’existence de Dieu.

Welt am Sonntag : L’Église catholique, a-t-elle besoin d’une réforme ?

Meisner : Oui, mais pas une révolution comme c’était le cas en 1517. Mais une vraie réforme, oui. L’Église se définit d’ailleurs comme "ecclesia semper reformanda", c’est-à-dire une Église toujours à réformer. Cette transformation dont nous avons toujours besoin, c’est une réorientation continuelle par rapport aux origines. Si vous buvez l’eau du Rhin à Cologne, vous constatez qu’elle est mauvaise. Il vous faut remonter en amont, jusqu’à la source, là vous aurez l’eau fraîche ! La même chose pour l’Église : allons puiser à la source.

Welt am Sonntag : Pouvez-vous imaginer Benoît XVI comme un réformateur ?

Meisner : Mais bien entendu ! Et tout le monde le saura plus tard lorsqu’il ne sera plus là. Lorsque son héritage commencera à rayonner. On ne peut enfermer la vérité dans une boîte de conserve ! La vérité, c’est comme la lumière. On ne peut pas se protéger contre la lumière. Elle est là, tout simplement. Tous ceux qui considèrent maintenant le pape comme le plus grand obstacle ont raison, car il représente en effet le plus grand obstacle pour les athées modernes. Ils n’arrivent pas contourner la philosophie et la théologie de Joseph Ratzinger !

Welt am Sonntag : Avez-vous peur de l’avenir ?

Meisner : Et pourquoi ? Regardez en arrière, quel était le 20e siècle ? L’époque des martyrs. Où sont-ils les tortionnaires des croyants de cette époque ? les nazis et les communistes ? Je les ai connus tous les deux et j’en ai souffert. Le Christ assiste son Église jusqu’à la consommation du temps.

Welt am Sonntag : Pendant la Révolution française, les chrétiens avaient été considérés comme des fanatiques…

Meisner : Oui, et aujourd’hui comme jadis, les ennemis de l’Église se disent éclairés. Dans un tel contexte, nous les évêques nous devons être de nouveau des témoins courageux. Un témoin dérange toujours. Nos pères dans la foi ont été jetés devant les lions pendant les deux premiers siècles. Aujoud’hui les médias nous projettent devant les hommes. Pourquoi avoir peur ?

Welt am Sonntag : Le pape Benoît a expliqué que le vrai danger pour l’Église ne vient pas de ses ennemis mais du péché de ses adhérents.

Meisner : C’est exact. Et nous venons de le constater suffisamment. De l’Église on peut affirmer aussi ce que le vieillard Syméon avait dit sur l’enfant Jésus : « Il serait la chute et le relèvement de beaucoup. Il serait un signe de contradiction. » C’est bien le cas de l’Église aussi. Elle aussi est un signe de contradiction et il doit bien en être ainsi. Mais il n’est pas suffisant de se dire : Mais oui, on nous avait bien prévenus… Parce qu’il y a une contradiction qui est bien justifiée. Donc, à chaque contradiction il nous faut opérer un discernement pour ne pas nous esquiver devant les contradictions qui sont nécessaires. J’ai pensé souvent à cela durant toute cette période qu’on vient de vivre.

Welt am Sonntag : La prochaine controverse avec l’opinion publique n’est-elle pas déjà programmée, étant donné la position de l’Église concernant la protection de la vie, l’homosexualité et la bioéthique ?

Meisner : Il faut avouer que notre situation est bien plus difficile de nos jours qu’autrefois en Allemange de l’Est. Je l’ai déjà souvent dit. Mais ces années-là servaient d’entraînement pour supporter les difficultés à venir. Lorsque j’étais évêque de Berlin j’étais toujours encouragé par un verset du psaume : « Avec mon Dieu je saute la muraille. » Cela reste valable pour le présent et pour l’avenir. Et cela demeure ma plus profonde conviciton : « Là où le péché abonde la grâce surabonde. » C’est ce qui m’a toujours fortifié durant les mois écoulés. Et je ne voudrais pas appartenir à ceux qui ne croient pas à un tournant.

Welt am Sonntag : C’était déjà votre avis avant 1989 ?

Meisner : Non. Seul le pape Jean-Paul II croyait à un tournant. Il me l’a prédit dès 1987.