Le Saint-Père se rend dans six semaines en Grande-Bretagne, pour un "voyage à haut risque" (un de plus), mais surtout pour la béatification de John Henry Newman, converti de l'anglicanisme au catholicisme, dont les idées sont très proches des siennes. La "dictature du relativisme" chère à Joseph Ratzinger doit beaucoup au cardinal anglais, mais aussi le souci de n'exclure personne de l'Eglise, dans le respect des diversités, et dans la recherche commune de la vérité. Ainsi doivent se comprendre les mains tendues aux anglicans et aux lefebvristes. Deux articles brillants de Paolo Rodari, qui aident à mieux comprendre la pensée de notre Pape (1er/8/2010)

-> Paolo Rodari aprofondit le thème déjà abordé ici: La table de travail de Castelgandolfo

 

Le Cardinal Saraiva Martins

" Benoît XVI a voulu faire béatifier le Cardinal Newman parce qu'il est comme lui "
29 juillet 2010

Texte ici: http://tinyurl.com/39k8py8
Ma traduction
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" Joseph Ratzinger est fasciné par John Henry Newman , car dans le cardinal anglais converti de l'anglicanisme au catholicisme, il voit en quelque sorte lui-même. Newman, quand il était anglican, fonda à Oxford un mouvement religieux , le « Mouvement d'Oxford » , qui avait pour objectif de sauver l'Église anglicane du libéralisme de l'époque, ce libéralisme qui était par principe anti-dogmatique . Ratzinger veut lui aussi libérer le christianisme de tout libéralisme. Et l'ancrer dans la pureté de la foi , de la doctrine , de la croyance bimillénaire. Et comme Newman, il veut faire le faire en sauvant, en intégrant , sans exclure les factions extrêmes .

José Saraiva Martins, portugais, est un cardinal de la curie romaine aujourd'hui à la retraite . Depuis deux ans, il a quitté la direction de la Congrégation pour les Causes des Saints . Mais il est encore plein d'énergie . Dans sa maison , près du Vatican, il écrit , il étudie, et il attend le 19 Septembre, le jour où son "élève préféré", Newman, va être béatifiés par le Pape à Cofton Park , une banlieue de Birmingham .
- Newman, l'un de vos élèves ?
- En un sens, oui - dit-il - j'ai été durant plusieurs années recteur du Collège pontifical Urbanien. Newman était un étudiant en 1846-47 à "l'Urbanien" (qui s'appelait alors Collège de Propaganda Fide , ndlr) . Dans la grande Salle du Sénat Académique , le cœur de l'université , j'ai fait placer une photo de l'élève "le plus illustre", précisément Newman . Pour que personne ne l'oublie .

- Quelles sont les forces extrêmes que Ratzinger veut sauver ?
- Le style du Pape est en quelque sorte la 'via media' de Newman . Le cardinal anglais, avant de se convertir, rêvait d'un anglicanisme proche de Rome , une confession religieuse qui maintienne son identité sans céder à l'extrémisme . C'est ce que veut Benoît XVI. Les signaux , les ouvertures pratiquées aujourd'hui vers les anglicans, et auparavant vers les lefebvristes, disent ceci: la route est celle de l'unité, sans léser la diversité . Dans l'Eglise, il y a toujours eu des forces anti -romaines , ou tout simplement extrêmes. Le Pape veut que personne ne se sente exclu " .

- Mais Newman a renoncé à son rêve et il s'est converti au catholicisme.
- Il a vécu avec douleur la séparation de l'anglicanisme. Mais de sa part, ce n'était pas un reniement . Il était convaincu que dans l'Eglise catholique, il y avait la vérité . Et il était convaincu que le chemin de la recherche de la vérité pouvait être parcouru par tous, y compris par tous les anglicans . La recherche de la vérité a été une constante dans sa vie . Depuis le plus jeune âge . Comme Ratzinger , Newman était aussi un érudit passionné par les Pères de l'Église des premiers siècles . Ce sont les Pères qui l'ont entraîné vers Rome, vers le Pape; par les Pères , il a appris la perfection évangélique . La pureté du christianisme , cette pureté qu'aujourd'hui le Pape demande que l'Eglise catholique redécouvre. Newman est né à une époque troublée, très semblable à la nôtre. Toutes les certitudes vacillaient. Les croyants devaient lutter contre la menace du rationalisme et du fidéisme . Le rationalisme rejetait l'autorité et la transcendance , le fidéisme détournait les gens des défis de l'histoire et créait en eux une dépendance malsaine de l'autorité et du surnaturel . Pour Newman l'union de la foi et la raison étaient la synthèse nécessaire contre ces dérives. Foi et raison étaient pour lui les deux ailes pour atteindre la contemplation de la vérité .

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Newman mourut le 11 août 1890. Le Times de Londres publia le lendemain un long éloge funèbre qui se terminait ainsi :
"Une chose dont nous pouvons être certains , c'est que le souvenir de cette vie pure et noble perdurera, et qu'il sera sanctifié dans la mémoire des gens pieux de nombreuses confessions en Angleterre . Le saint qui est en lui survivra ".

Saraiva explique: " Le Times a bien dit. Parce que Newman est un exemple pour tout le monde , et surtout pour les anglicans . Sa vie entière fut fondée sur un sain œcuménisme. Il ne s'agissait pas de la recherche de quelque chose qui unisse les différentes confessions . Ce n'était pas cela, avant tout. C'était plutôt la recherche de la vérité, ensemble. Newman mit cette concviction en pratique . La recherche l'amena à Rome. Il n'est pas dit que le port doive être le même pour tous . Je crois que Ratzinger partage pleinement cet exercice œcuménique de Newman: envers les différentes foix chrétienne, il a une approche ouverte , il ne met pas d'obstacles , il est ouvert à tous et respecte l'histoire de tous . Ce n'est pas par hasard qu'il a promulgué la Constitution apostolique Anglicanorum coetibus (cf. http://benoit-et-moi.fr/2009/0455009cac12afd24.html ) . Ce n'est pas par hasard qu'il a parlé à plusieurs reprises de la primauté de Pierre, de la nécessité de la sauvegarder, mais dans le respect des positions différentes sur la question qu'ont , par exemple les orthodoxes ".

Le procès de béatification de Newman n'a pas été rapide. Newman a été reconnu vénérable en 1991 . Le miracle qui lui a permis de devenir bienheureux est au contraire très récent.
Saraiva dit: "J'ai suivi de près toutes les étapes du processus. Quand on parlait du miracle de la guérison par l'intercession de Newman du diacre permanent Jack Sullivan, j'ai envoyé un expert de la Congrégation pour vérifier chaque chose. Comme nous l'avons fait à chaque étape du processus. Tout doit être fait avec rigueur et sans erreur . C'est pourquoi je dis toujours, et je le répète pour Newman: il n'existe pas de procès long ou de procès court. Chaque procès a ses temps, qui dépendent de la masse de documents et de témoignages à vérifier. Le "cas Newman" avait beaucoup de documents à valider. Et tous ont été consultés" .

 

La lutte contre le relativisme

La lutte contre le relativisme de Benoît XVI est la même que celle de Newman cent ans plus tôt
28 juillet 2010
Texte ici:
http://tinyurl.com/33lj6vn
Ma traduction
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Tout est prêt dans Cofton Park , une banlieue de Birmingham , pour la béatification du cardinal John Henry Newman .
Le 19 Septembre, le Pape , rompant la règle qu'il a lui-même établie, qui veut que les béatifications soient célébrées par un représentant du Vatican dans le diocèse concerné, sera sur les lieux où le cardinal anglican , plus tard converti au catholicisme, a fondé l'Oratoire et terminé sa vie . Ratzinger tient beaucoup à être là .

Au fond, la raison du voyage en Angleterre et en Ecosse se trouve ici.
Et puis, comme dit Don Ian Ker , professeur de théologie à Oxford et auteur de " John Henry Newman : A Biography ": beaucoup de Papes ont voulu canoniser Newman parce qu'ils le considéraient comme une personne qui a accepté la modernité, mais en restant fidèle à l'autorité de l'église". Benoît XVI a donné une accélération importante au processus de béatification . Bien sûr, le miracle attribué à Newman, par lequel Jack Sullivan a surmonté une grave maladie de la colonne vertébrale, a raccourci les délais. Mais il ne fait aucun doute que la cause doit beaucoup au Pape , à sa pression afin que la Fabrique des Saints parvienne le plus vite possible à une conclusion .

Pourquoi ce lien entre Ratzinger et Newman ? Qu'est-ce qui a conduit , en 1990 , Ratzinger à qualifier Newman de « grand docteur de l'Eglise » ?

Les réponses qu'on peut donner sont nombreuses. Parmi elles, celle de Roderick Strange , recteur du Collège pontifical Beda, de Rome , un institut de formation des vocations adultes dans le secteur anglais , qui étudie Newman depuis des années . Dans son dernier ouvrage publié récemment en Italie , " John Henry Newman . Une biographie spirituelle » , Strange parle d'un moment précis où est apparue clairement la dette de Ratzinger à Newman . C'est le 18 avril 2005, la veille du conclave qui devait l'élire ensuite. Ratzinger prêcha devant le Collège des Cardinaux . Là, il attira l'attention de tout le monde en utilisant l'image de l'Église comme un bateau secoué par les vagues créées par les courants idéologiques , du marxisme au libéralisme , jusqu'au libertinisme; du collectivisme à l'individualisme radical , de l'athéisme à un vague mysticisme religieux ; de l'agnosticisme au syncrétisme et ainsi de suite". Strange dit: "A l'époque, il a été jugé extrêmement pessimiste , en particulier dans la conclusion: « Il se met en place une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et ne laisse comme ultime mesure que son propre moi et de ses désirs » . L'expression « dictature du relativisme » peut paraître sévère , et pourtant, elle se relie à l'univers simplement non religieux' de Newman . Et le lien n'est pas forcément une coïncidence . "

Le relativisme est une menace pour Benoît XVI . Parce que quand la vérité est abandonnée, la liberté est abandonnée . Et on glisse vers le totalitarisme . Ratzinger en parlait le 18 avril 2005 . Mais auparavant il avait déjà expliqué le problème . Quand? Encore en 1990, lors d'une conférence pour le centenaire de la mort de Newman .

Strange écrit: "A cette occasion , le cardinal Ratzinger fit référence au lien entre vérité et conscience personnelle . Il parla de la façon dont , comme jeune séminariste , peu après la Seconde Guerre mondiale , il fut introduit à la pensée de Newman et poursuivit en soulignant combien son enseignement sur la conscience était important pour lui. Newman enseignait que la conscience devait être nourrie comme « moyen d'obéissance à la vérité objective » . Et toute la vie de Newman témoigne de cette croyance . Les premières expériences de vie du futur Pape ont été cependant très différentes . « Nous avons expérimenté - dit Ratzinger - la prétention d'un parti totalitaire qui se considérait comme l'accomplissement de l'histoire et niait la conscience individuelle . L'un de ses dirigeants ( Hermann Goering ) disait: « Je n'ai pas conscience . Ma conscience est Adolf Hitler». C'était glisser dans le totalitarisme. Quand la vérité est négligée, quand il n'y a pas une norme objective à laquelle faire appel , il n'est pas facile de créer un espace pour la tolérance . La liberté est laissée sans défense à la merci de celui qui a le pouvoir . Le jeune Ratzinger éprouva ce que Newman avait prédit: les conséquences de ce que la religion révélée n'est pas reconnue comme réelle , objective , mais est considéré comme quelque chose de privé à partir de laquelle les gens peuvent choisir eux-mêmes tout ce qu'ils veulent" .

Newman a été créé cardinal en 1879 par Léon XIII . Lui aussi estimait Newman , qu'il appelait "mon cardinal" . L'Osservatore Romano le 14 mai, à la veille du consistoire , publia en première page le discours prononcé par Newman après la remise de de la barrette . Newman allait au cœur du problème, qui lui semblait être capital . Il disait : « Le libéralisme religieux est la doctrine selon laquelle il n'existe aucune vérité positive dans le domaine religieux , mais que toute croyance est aussi bonne qu'une autre; et ceci est la doctrine qui de jour en jour acquiert plus de consistance et de force . Cette position est incompatible avec toute reconnaissance d'une religion comme vraie".
Sur l'Osservatore du 20 mai 2009 Inos Biffi écrivait: « Il est difficile de ne pas reconnaître la désastreuse actualité de ce libéralisme religieux, qui inquiètait Newman en 1879 . Et qui aujourd'hui inquète Ratzinger .