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LA FAMILLE N'EST PAS MORTE
 

A la veille de la visite du Pape à Ancône, où il doit s'adresser aux époux et aux fiancés, l'Osservatore Romano revenait, à travers un essai d'un psychiatre australien aujourd'hui disparu, sur l'idéologie de 68 qui a fait traverser à la famille une terrible tempête... mais qui n'a pas réussi à la faire disparaître (11/9/2011)




 
 

Des Journées Mondiales de la Jeunesse et du Congrès eucharistique national italien, la confirmation d'une prophétie manquée:
La famille n'est pas morte
Source (ma traduction)
Il y a quarante ans, le psychiatre anglais David Cooper publiait un essai "La Mort de la famille"

Andrea Possieri
Osservatore Romano, 10 septembre 2011
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Dimanche, à Ancône , Benoît XVI conclura le XXVe Congrès eucharistique national, d'abord en rencontrant les époux et les prêtres à la cathédrale de San Ciriaco, et ensuite les jeunes fiancés, Place du plébiscite.
Un passage de relai idéal entre les JMJ de Madrid et la Rencontre mondiale des Familles qui aura lieu à Milan en mai 2012. Trois moments importants pour l'Église, avec de profondes implications qui vont bien au-delà de la vie des catholiques, mais qui nous concernent tous indépendamment de notre foi ou de nos convictions politiques: les jeunes et les adultes, les enfants et les parents, en un mot, la famille.
Qu'on le veuille ou non, au-delà de la rhétorique parfois un peu mièvre et stéréotypée, et bien au-delà des innombrables analyses statistiques et quantitatives qui pendant des décennies ont photographié la famille, une réflexion sur ce qui, à peine quelques décennies plus tôt, était considéré par la majorité des personnes comme l'unité fondamentale de la société s'avère plus importante que jamais. Surtout en référence aux changements exceptionnels qui ont eu lieu, quoique de manières différentes et sous des latitudes différentes, dans les sociétés occidentales au cours des dernières décennies. De profonds changements dans le comportement et les habitudes de vie, la morale et l'éthique publique, dans la manière d'être dans le monde et d'y faire face. Des changements qui ont affecté la sphère anthropologique et qui se sont installés, ce n'est pas un hasard, à cheval sur la décennie des années soixante et la suivante, où a émergé au même moment, partout dans le monde, un mouvement de jeunes instruits, issus de milieux bourgeois et urbanisés, qui se sont faits les porte-parole, au-delà de la "patine" politique et de l'aspect idéologique néo-marxiste, ou rebelle-subversif, d'instances anti-hiérarchiques, anti-institutionnelles, et libertaires.
Ce qui s'est affirmé, en cette saison, c'est la lutte des fils contre les pères, des filles contre les mères, des jeunes contre les vieux. Dans ce tournant historique particulier, on voit prendre forme, intellectuellement et concrètement, une critique serrée contre une famille qui n'est plus considérée comme le fondement de la société, mais, au contraire, comme le lieu d'origine de tout autoritarisme, comme la source de toute aliénation, comme l'institution visant à la normalisation des comportements individuels.

Et justement il y a quarante ans, en 1971, parmi la myriade de livres et de brochures produites par la culture de protestation, a été publié en Grande-Bretagne un volume au titre évocateur, "La Mort de la famille", écrit par le psychiatre David Cooper (psychiatre sud-africain, 1931-1986), l'un des pionniers de l'anti-psychiatrie et de la contre-culture juvénile typique de soixante-huit. Aujourd'hui traduit en italien (ndt: disponible en français ici), "La mort de la famille" synthétise un humus culturel, un ressenti de l'époque, qui est devenu par la suite, par des voies souvent opposées à celles d'origine, un sentiment partagé, et même un modus vivendi répandu.
Cooper soutient que la famille joue un rôle fondamental pour inculquer « la base du conformisme, c'est-à-dire la normalité, à travers la socialisation primaire de l'enfant» et, finalement, finit par limiter l'identité même de l'individu, parce qu'elle le soumet à la primauté de l'institution, imprimant en lui un système profondément enraciné de tabous, de restrictions et de barrières nécessaires à la survie de la famille. Ces structures aliénantes de la famille sont par la suite reproduites partout - au travail, à l'école, dans le parti, à l'armée, dans les hôpitaux. Seules la folie ou la révolte permettent d'y échapper.

Quarante ans après ces théories, nous pouvons dire, sans crainte de contradiction, que la famille n'est pas morte comme l'avait prophétisé Cooper.
Tout aussi certainement, cependant, on est obligé de reconnaître que c'est à partir de ce contexte historique que la famille a perdu progressivement ce rôle central dans le discours public que pendant des décennies, aucune culture politique européenne - à l'exclusion de celles radicales - n'avait osé éroder.
Qu'on pense, par exemple, à la rhétorique sur la famille utilisée par presque tous les partis politiques en Italie, à commencer par le PCI (parti communiste), du moins jusqu'à la fin des années soixante. Ou encore, qu'on se référe à l'une des dernières grandes manifestations de l'Union des femmes italiennes avant l'avènement du féminisme, qui justement en 1971 organisa au mois de mars un cortège de quinze mille femmes défilant avec des poussettes et des enfants dans les rues de Rome et exigeant la mise en place de crèches.

Ce livre de Cooper, donc, au-delà même de sa diffusion et de sa compréhension, est important pour trois raisons. D'abord, parce que, bien qu'il contienne de nombreuses chutes idéologiques absolument risibles - par exemple, les louanges à Castro et à Mao, qui, selon Cooper mèneraient «la nation presque en refusant d'être des leaders» de sorte que «l'esprit de millions de personnes s'anime avec leurs propres qualités de leadership », il est encore considéré comme un classique de la littérature psychiatrique sur la famille.
Ainsi, parce qu'il se relie à une longue et ancienne tradition de critique intellectuelle de la famille - à partir des élaborations, au XIXe siècle, de Lewis Henry Morgan et de Friedrich Engels jusqu'à celles, du début du vingtième siècle, de l'Ecole de Francfort - il représente le moment extrême d'une critique radicale de la famille qui jusque-là avait été l'apanage de minorités instruites et intellectuelles limitées, mais qui à ce moment historique précis émerge vigoureusement comme une pensée de masse répandue, caractérisée par une multitude de publications et de films. Des réflexions philosophiques de Marcuse sur L'autorité et la famille à celles, psychiatriques, de Ronald David Laing sur le "moi" divisé, et de Morton Schatzmann sur La famille qui tue jusqu'au film de Ken Loach Family Life, sorti en 1971, peut-être l'une des représentations cinématographiques les plus réussies de la famille bourgeoise, autoritaire et répressive.
Enfin, le livre de Cooper, si on le considère comme une synthèse symbolico-culturelle d'une époque, marque également une rupture historique nette entre le discours sur la famille élaboré par l'Église catholique, et sa réception dans la société sécularisée de masse. A partir de cet instant, en effet, la représentation sociale de la famille subit une fracture essentielle. D'une part, s'affirme une vision du monde qui, au nom de la rupture nécessaire des contraintes qui minent la liberté d'action et d'auto-détermination, représente la famille comme le lieu de l'arbitraire, du conformisme et de la répression. De l'autre s'oppose - mais avec un maigre "appeal" des médias - l'affirmation de la famille traditionnelle, «sanctifiée par le christianisme», comme cellule fondamentale de la société où s'affirme l'amour et la solidarité entre les différentes générations qui la composent. Deux visions opposées qui finissent par être représentées l'une comme progressiste et dispensatrice de liberté, l'autre comme inévitablement conservatrice et réactionnaire.
Ce schéma dualiste s'affirme malgré les nombreuses paroles - celles-là authentiquement prophétiques - utilisés justement dans ces années par Paul VI en défense du «rôle vital» de la famille «naturelle, monogamique et stable». Un rôle, dit-il dans l'encyclique Populorum progressio de 1967, qui au cours de l'histoire « a pu aussi être excessif, quand il s'exerçait au détriment des libertés fondamentales de la personne», mais dont on ne peut ignorer la centralité «dans le dessein divin» et qu'il soit le fondement de la société.
Papa Montini, en outre, non seulement réaffirma à plusieurs reprises la définition de la famille comme «Église domestique» sanctionnée par le Concile Vatican II, mais dans l'exhortation apostolique Evangelii nuntiandi de 1975, il lui confia même une très haute mission, plus que jamais actuelle aujourd'hui, à l'ère de la nouvelle évangélisation. La famille, écrit Paul VI est appelé à «une action évangélisatrice» dans laquelle «tous les membres évangélisent et sont évangélisés. Les parents non seulement communiquent l'Evangile aux enfants, mais ils peuvent recevoir d'eux le même Evangile profondément vécu. Et une telle famille évangélise les autres familles et l'environnement dans lequel elle opère».
Ces mots qui rappellent l'amour sponsal entre le couple, et entre parents et enfants, ont inspiré au fil des ans, la vie de nombreuses nouvelles familles.
Pourtant, malgré cela, depuis des décennies, on discute de la crise de la famille traditionnelle. Qu'est-il arrivé cette fois-ci? Peut-être serait-il souhaitable qu'une réflexion sur ces dynamiques historico-culturelles, seulement ébauchées, fasse partie, dans une certaine mesure, du grand engagement d'élaboration et de participation qui aura lieu dans chaque diocèse dans les prochains mois en prévision de Milan.
(© L'Osservatore Romano, 10 septembre 2011)




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