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LUTHER: RÉVOLUTION, PAS RÉFORME
 

L'étape du saint Père à Erfurt était sous le signe de l'œcuménisme. Qu'est-ce que cela signifie, au "pays de Luthe"r? Et surtout, qui est Luther? Cet article de la Bussola a été publié à la veille du voyage en Allemagne (24/9/2011).




 

Luther: révolution, pas réforme

La Bussola
Francis Agnoli
23/09/2011
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Quand il s'agit de Luther, dans l'imaginaire collectif créé à dessein par des propagandistes intéressés, la pensée court tout de suite vers la corruption de l'Eglise catholique du XVIe siècle. Beaucoup de manuels de l'école obligatoire s'attardent ensuite à décrire l'obscénité des évêques et des papes de cette période, ce qu'on appelle la vente des indulgences, et ainsi de suite, avant d'extraire du chapeau le vengeur, le bon héro, le rebelle animé par un sentiment de justice: Martin Luther, justement.

Eh bien c'est une caricature. Non pas parce que l'Eglise de ce temps n'était pas corrompue. Elle l'était sans doute. Du reste c'est l'histoire qui nous l'enseigne: lorsque les saints prêtres se font rares, naissent les diasporas, les gens perdent la foi ... L'Eglise de l'époque, donc, était en mauvais état. Rien d'étonnant: elle a aussi, dans sa composante humaine, ses jours et ses nuits.

La crise était due à des motifs internes, au laxisme des mœurs, aux évêques qui pensaient à voyager et à la belle vie, à l'incurie de nombreux prêtres, à la mentalité de la Renaissance, et courtisane entrée dans le temple de Dieu ..., et à des raisons externes: dans de nombreux pays d'Europe, en ces années, les évêques et les abbés n'étaient plus choisis par le Pape de Rome, mais par le souverain. Ils étaient donc davantage des hommes de pouvoir que des hommes de l'Eglise. A cela s'ajoutait le risque toujours aux aguets: le cléricalisme ....

Il fallait donc certainement un réformateur. Comme l'avait été François d'Assise, par exemple, ou comme saint Ignace de Loyola.

Un réformateur est celui qui reconnaît le mal qui vit dans l'Eglise, et qui s'emploie, non pas contre elle, mais pour qu'elle soit plus fidèle à sa tâche, à sa constitution divine. Le réformateur catholique n'invente pas une nouvelle doctrine, il ne propose pas une recette à lui, mais il fait briller et dépoussière le sens profond de l'Evangile et de la Tradition, dans la fidélité à l'Eglise de tous les temps. Avec humilité.

Luther, au contraire, fit tout autre chose: ce ne fut pas un réformateur, mais un révolutionnaire. Il n'a pas cherché à éliminer les défauts, les aberrations, les erreurs, mais il a proposé une nouvelle religion, une théologie nouvelle et une nouvelle anthropologie. Il n'a pas indiqué le Christ, mais ses opinions personnelles.

Rappelons-le, parce que ce n'est pas souvent dit: sa propre vocation avait été incertaine, peu spontanée, et l'état religieux, embrassé sans une connaissance adéquate, se révéla pour lui insupportable. Luther était un homme passionné, colérique, impétueux: il essaya, bien sûr de changer, de se faire violence, par la pénitence et la prière; peut-être avec trop de pénitences et des prières, mais avec peu de résultats. Luther, en effet, fut incapable d'accepter ses limites, sa misère, typique de la condition humaine.
J. Maritain a écrit à son sujet: "Il s'appuyait, pour atteindre la vertu, sur ses seules forces, se fiant à ses propres efforts, à sa pénitence, à l'œuvres de sa volonté, beaucoup plus qu'à la grâce. Il pratiquait ainsi ce pélagianisme dont il accusera les catholiques, et dont lui-même n'a pas réellement réussi à se libérer. Fondamentalement, il était dans la vie spirituelle un pharisien qui compte sur ses œuvres, comme l'atteste sa crispation de scrupuleux. Il se reprochait comme péché toute impression involontaire de sensibilité, et il essaya de s'acheter une sainteté dont serait exclue toute trace de la faiblesse humaine "(Les trois réformateurs).

L'échec, donc, vécu avec orgueil, déchaîna sa rébellion et engendra sa nouvelle anthropologie: je ne peux pas faire le bien, l'homme ne peut pas faire le bien, tout homme est simplement mauvais. Ceci est la pierre angulaire de la pensée luthérienne: le pessimisme anthropologique. Le même concept, soutenu durant la même période, par Nicolas Machiavel

Mais si l'homme n'est pas capable de faire le bien, alors comment peut-il se sauver?

Si les bonnes actions ne comptent pour rien, conclut Luther, la seule chose qui peut nous sauver est la foi, la miséricorde de Dieu.

D'où la célèbre proposition luthérienne: “Pecca fortiter sed crede fermius”, autrement dit "pèche beaucoup, mais crois plus fermement". D'où sa critique aux indulgences: non seulement à la corruption, mais à la possibilité même qu'à une bonne action (comme par exemple une aumône pour construire une église ou un hôpital, comme cela se faisait souvent) corresponde une remise des péchés. D'où la seconde partie de sa vie: non plus rigueur et pénitence excessive mais, comme il l'admettait lui-même, et comme en témoignent les dessins et portraits de l'époque, ripailles et débauche, du vin ...

L'homme ainsi réduit à un pécheur sans aucune possibilité de bien, juste accroché au fil de la foi, Luther s'est bien rendu compte d'avoir ainsi tué la liberté. Et il l'a écrit ouvertement dans son “De servo arbitrio”: "Quant à moi, je l'avoue, si c'était possible, je ne voudrais pas que l'on m'ait donné le libre arbitre ou que quoi que ce soit ait été laissé à ma disposition pour tendre à mon salut, non seulement parce que je n'aurais pas la capacité de résister et de le conserver parmi nombre d'épreuves et de dangers et parmi nombre d'assauts diaboliques, puisque, le diable étant plus fort que tous les hommes, aucun homme ne sera sauvé, mais parce que, même s'il n'y avait aucun danger, privation ou démon, je serais forcé de faire des efforts constants et de frapper du poing dans l'air: en effet, ma conscience, même si je vivais et travaillais éternellement, ne pourrait jamais atteindre une certitude tranquille de ce qu'elle doit faire pour satisfaire Dieu. Et, quoi que je fasse, subsisterait toujours le scrupule de savoir si cela plaît Dieu, ou s'il réclame quelque chose de plus, comme le prouve l'expérience de tous ceux qui se sont employés, et comme je l'ai appris au cours de nombreuses années avec de graves souffrances. Mais maintenant, puisque que Dieu s'est donné pour mon salut, l'excluant de mon libre arbitre, et a promis de me sauver non à cause de mon travail et du cours de ma vie, mais par sa grâce et sa miséricorde, je suis calme et sûr qu'Il me sera fidèle et ne me mentira pas, et qu'aussi puissant et aussi grand qu'il soit, aucun démon, aucune adversité ne pourront m'arracher à lui". (Grande Anthologie philosophique, vol. VIII) .

De cette conception en dérive une autre, mais pas aussi explicite que ce qui devait arriver avec Calvin: les bonnes actions ne comptant pour rien, ou mieux, dans l'impossibilité que homme fasse quelque chose de bon, il s'ensuit que l'homme est prédestiné, pour le salut ou la damnation, indépendamment de sa propre vie, par la seule opinion de Dieu.

Un autre concept fondamental introduit par Luther pour détruire la nécessité de l'Eglise, fut de réduire à deux les Sacrements, et la proclamation du libre examen: tout homme peut lire et interpréter librement la Bible, sans aucune médiation. Un tel principe se révèle toutefois dévastateur: si chaque homme peut lire comme il veut les Saintes Ecritures, force est de reconnaître que surgissent des interprétations sans fin et des sectes sans fin. Ainsi ont surgi au fil du temps Calvinistes, évangéliques, baptistes, anabaptistes, épiscopaliens ... mormons, adventistes, Témoins de Jéhovah ... Partout où de soi-disant prophètes se sont levés pour dire qu'ils avaient compris la véritable signification de la Bible (cachée jusque-là, au moins jusqu'à 15 siècles après la venue du Christ), et ont commencé, sur la base de leur libre examen, à proposer une date pour la fin du monde, à détruire les dogmes et à en créer d'autres ...

A cela s'ajoute le caractère très dur de Luther: pour lui, le pape était l'Antéchrist et les catholiques ses «esclaves»; les paysans rebelles devaient être traités avec férocité: «envers les paysans tenaces, têtus, et aveuglés, qui ne veulent pas entendre raison, que personne n'ait de pitié, mais qu'on les frappe, blesse, tue, comme s'ils étaient des chiens enragés...» (Écrits politiques); quant aux Juifs: "D'abord, il faut mettre le feu à leurs synagogues ou leurs écoles; et ce qu'on ne veut pas brûler doit être recouverts de terre et enseveli, afin que personne ne puisse plus y voir une pierre ou un repos"; en outre, de la même manière, "il faut aussi détruire et démanteler leurs maisons, parce qu'ils y pratiquent la même chose qu'ils font dans leurs synagogues. Alors, il faut les mettre sous un hangar ou une étable, comme les gitans" (Des juifs et leurs mensonges).

Pourquoi alors Luther eut-il un tel succès? Certainement parce qu'il sut utiliser le prétexte de la corruption de l'Église pour sa révolution, mais surtout parce qu'il sut enrôler d'abord les princes allemands et ensuite d'autres souverains. Plusieurs Seigneurs Allemands en premier, ensuite les rois de Suède, Danemark, Angleterre, ... furent ceux qui ont permis au protestantisme de décoller, se rangeant de son côté, avec un but bien précis: devenir protestant signifiait abolir l'Eglise catholique de leurs terres, se saisir de ses biens, cumuler dans sa personne les pouvoirs temporel et spirituel! Si donc dans le domaine religieux, Luther amena l'anarchie et l'individualisme, dans le domaine politique , il engendra les Eglises d'Etat et les Eglises nationales. A l'extérieur des églises, en Angleterre, il y a encore une inscription: “Church of England”. Inconcevable pour la pensée catholique ... Ce fut la division de l'Europe, la fin du rêve impérial, d'unir des peuples différents par les langues, les cultures et les traditions, mais basés sur la même foi.

On pourrait dire beaucoup plus, mais la place manque. Une conclusion est donc nécessaire et urgente.
Aujourd'hui, le protestantisme est en crise totale. Il vit en grande partie, comme ce fut souvent le cas, par opposition au catholicisme. Dans de nombreux pays, plutôt que de disparaître, il s'est ouvert au sacerdoce féminin, aux gays, etc.... Sans aucun succès, au contraire ... Mais le protestantisme, comme nous l'avons vu, est basé sur le libre examen, et s'il est vrai que cela a souvent conduit à de nombreuses aberrations, il est aussi juste de dire qu'il y a aujourd'hui, et qu'il y a toujours eu des protestants plus ou moins proches de la tradition chrétienne vraie. Il y a, pour ne donner qu'un exemple, des protestants qui se battent avec courage, une détermination même supérieure à celle des catholiques, dans la défense de la vie et des principes non négociables. Il y a des protestants qui nient la plupart des idées de Luther, de la dévaluation des bonnes actions, à la négation du libre arbitre. Avec ces protestants, comme avec tous les hommes de bonne volonté, on peut et on doit travailler, sachant que la vraie foi n'est pas pour nous un motif de fierté, mais une responsabilité. Sans pour autant que cela conduise à une confusion au sujet du niveau de la doctrine. Sans que l'œcuménisme ne devienne synonyme d'indifférentisme. La théologie, l'anthropologie, l'ecclésiologie, l'histoire, nous séparent ... Mais l'espoir est que nous revenions à un troupeau sous un seul «berger», que se répète partout ce qui s'est passé en Angleterre et dans d'autres parties du monde: un retour à l'Eglise «une, sainte, catholique et apostolique».




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