Pie XII bienheureux?

Voici en quelque sorte la suite de ce que j'écrivais hier:
Dans la presse: relations tendues avec Israël

Le 18 décembre, le bulletin VIS publiait sous le titre "Décrets de cause des Saints" la nouvelle suivante:
« Le Saint-Père a reçu hier le Cardinal José Saraiva Martins, Préfet de la Congrégation pour les causes des saints, et autorisé la promulgation des décrets suivants:
.....»

Suivait une liste de "serviteurs et servantes de Dieu", à qui étaient attribués des miracles, ou reconnues officiellement des "vertus héroïques".
Les observateurs n'ont pas manqué de souligner que le nom d'Eugenio Pacelli, le Pape Pie XII, ne figurait pas dans la liste.
La presse française n'était pas en reste, le Figaro allant jusqu'à titrer avec une intention malveillante évidente: "Le Pape remet en question la béatification de Pie XII".
L'article, fielleux à souhait, évoquant sans nécessité l'affaire de la béatification interrompue du Père Dehon, mérite d'être lu comme témoignage de cathophobie "soft". Ceux qui s'en montrent surpris, ou n'attendent pas cela du "Figaro" doivent probablement lire ce journal en diagonale, ou uniquement les pages saumon, comme l'a dit une fois Patrice de Plunkett...
>> Le Figaro sur la béatification de Pie XII
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Andrea Tornielli, journaliste catholique, auteur d'un gros livre favorable à Pie XII (*), et qui a donc étudié la question à fond, publie ses réflexions dans son blog, et un article plus long dans "Il Giornale".
Ce qu'il dit et nettement plus nuancé, et forcément mieux informé.

Blog d'Andrea Tornielli

http://blog.ilgiornale.it/tornielli/
"On sait que déjà à plusieurs reprises, les ambassadeurs d'Israël ont demandé publiquement au Saint-Siège de renvoyer la béatification.
Justement hier, au cours d'un briefing avec les journalistes du père Pierbattista Pizzaballa, custode de Terre-Sainte, consacré à la situation des chrétiens qui vivent dans cette région martyrisée, l'archevêque Veilla, secrétaire des Églises Orientaules, a fait comprendre que les rapports entre Vatican et l'État hébreu sont dans l'impasse, et la commission bilatérale qui depuis au moins 13 ans doit réaliser l'Accord fondamental signé entre les deux États continue à se réunir sans résultats.

Sur le tapis, comme on le sait, il y a des questions concrètes qui concernent la vie de l'Église catholique en Israël."

L'article dans "Il Giornale"

Pie XII bienheureux ?
Le Vatican prend son temps
Andrea Tornielli - mardi 18 décembre 2007

Pour la béatification de Pie XII, le Pape qui a régné durant les années très difficiles de la Seconde guerre mondiale puis de la Guerre froide, il faudra encore du temps et du travail.
Le décret sur l'héroïcité des vertus du "Serviteur de Dieu" Eugenio Pacelli, en effet, n'a pas été inséré parmi ceux qui ont été approuvés hier matin par Benoît XVI pendant l'audience concédée au cardinal José Saraiva Martins, Préfet de la Congrégation pour les causes des saints, de même qu'il ne figure pas dans la liste rendue publique par la Salle de Presse du Vatican avant d'être publiée dans l'Oservatore Romano.
Le Pape veut encore prendre son temps, et il a créé une commission interne au Secrétariat d'État du Vatican pour évaluer non pas les vertus et la sainteté de Pacelli, mais pour approfondir une fois encore la documentation déjà passée au crible, et aussi les possibles retombées négatives du point de vue du dialogue juifs-chrétiens et des rapports entre le Saint-Siège et l'Etat d'Israël, d'une éventuelle proclamation.

L'héroïcité des vertus représente, pour ainsi dire, l'avant-dernière marche qui conduit à la béatification et marque la consécration du processus judiciaire en cours. La dernière marche, en revanche, est représentée par la constatation d'un miracle attribué à l'intercession du 'candidat aux autels'.
Le 8 mai dernier, la réunion ordinaire des cardinaux et des évêques de la Congrégation pour les causes des saints, après avoir examiné et avoir discuté les volumineux tomes de la "Positio" - c'est-à-dire les témoins du procès, préparés par le rapporteur et le postulateur de la cause, les jésuites Peter Gumpel et Paolo Molinari - avait voté en faveur de l'"héroïcité des vertus" de Pacelli.
La décision, contrairement à ce qui avait été rapporté par certaines sources, avait été prise à l'unanimité et faisait suite au feu vert donné auparavant par la commission historique. A l'inverse de ce qu'on aurait pu attendre, étant données les polémiques récurrentes qui entourent la figure de Pie XII, la réunion n'avait pas enregistré de contradictions et la résolution n'avait absolument pas été combattue. Le vote unanimement favorable devait cependant être soumis au Pape pour la ratification et la publication du décret.
Benoît XVI, face à l'enorme masse de documentation, a évidemment voulu prendre du temps, pour lire et étudier. Et il a confié ce travail à une commission interne du Secrétariat d'État, chargée de passer au crible également quelques documents pas encore inventoriés par les Archive secrètes. La commission n'a pas pour mission de discuter de la sainteté d'Eugenio Pacelli, sur laquelle s'est déjà prononcé le "tribunal" des Causes des saints. Elle doit cependant analyser chaque retombée possible, y compris "diplomatique" de la béatification.

Ce n'est en effet pas un mystère que, bien que les plus récentes découvertes historiques aient contribué à démonter la légende du Pape des "silences", en montrant au contraire quelle aide active Pie XII avait apporté à tous les persécutés pendant la guerre, à plusieurs reprises, les ambassadeurs d'Israël auprés du Saint-Siège avaient demandé au Vatican de renvoyer la béatification de Pacelli, en attendant l'ouverture aux spécialistes des archives relatives à son pontificat. Archives qui ont été de toute façon consultées par ceux qui ont préparé la cause, comme c'est le cas habituellement.

"Il faut comprendre que la cause de béatification d'un Pontife qui a régné aussi longtemps, dans une période ainsi difficile de l'histoire, n'est pas une cause comme les autres - explique au "Giornale" le père Peter Gumpel, rapporteur du procès - et donc on comprend très bien que Benoît XVI veut prendre son temps pour étudier et faire étudier les papiers.
Par contre, en ce qui concerne l'attitude du monde juif, je tiens à souligner et à préciser qu'il y a beaucoup de juifs qui ne partagent pas les accusations portées contre le Pape Pacelli et contre sa béatification. J'ai reçu récemment un rabbin orthodoxe, qui, au nom de plusieurs centaines de collègues américains et canadiens m'a manifesté son total désaccord avec les prises de position des milieux juifs liberaux contre Pie XII ".
Selon celui qui fut consul honoraire d'Israël à Milan, Pinchas Lapide, auteur en 1967 d'un volume sur les rapports entre les Papes et les israélites, l'Église catholique et Pie XII sauvèrent entre 750 et 850 mille juifs durant les années sombres de la persécution. Pour cela, à la fin de la guerre puis au lendemain de la mort de Pacelli, les plus hautes personnalités du judaïsme mondial et de l'État d'Israël, remercièrent pour tout ce qu'il avait fait.
"Pie XII est victime d'un légende noire "- avait dit en juin dernier le cardinal Tarcisio Bertone, Secrétaire d'État - qui a fini pour s'affirmer au point qu'il est devenu difficile de la démolire, même si les documents et les témoignages en ont amplement éprouvé la totale inconsistence".
Bertone avait ajouté que Pacelli "par sa sainteté personnelle, resplendit comme un témoin lumineux du sacerdoce catholique et du Pontificat Suprême".

(*) Andrea Tornielli est l'auteur d'un livre paru en mai dernier en Italie, et, bien sûr, pas traduit en France: "Eugenio Pacelli. Un uomo sul trono di Pietro".
Ce livre a déjà été évoqué ici, dans deux chronique de John Allen, en particulier: L'Eglise se défend, et défend Pie XII

Lors de la parution du livre, Andrea Tornielli avait accordé une interview à l'Agence Zenit en Italie.
On la lira ici.
Interrogé sur la campagne de calomnies orchestré contre ce Pape (qui en préfigure sans doute d'autres...), Tornielli répond ceci:
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« Peu à peu, la vérité sur ces accusations émerge. La campagne contre Pie XII naît en Union Soviètique, elle est même épaulée par des milieux catholiques.... Il est clair qu'on ne pardonnait pas à Pie XII son anticommunisme... La légende noire sur Pie XII est si "consolidée" qu'elle semble devenue plus réelle que l'histoire. Je n'ai aucun doute sur la sainteté de Pie XII... la figure de Papa Pacelli, son magistère, ses actes, sa charité, sont déjà sous les yeux de tous. Ou plutôt, sous les yeux de ceux qui veulent voir, et non juger la réalité à trvars les lentilles déformantes de l'idéologie ou des préjugés.»

Suite...

Benoît XVI n' a pas "lâché" Pie XII