Articles Images La voix du Pape Lecture, DVD Visiteurs Sites reliés Recherche St-Siège
Page d'accueil Articles

Articles


60 ans de sacerdoce Saint-Marin, 19 juin Avec les tsiganes, 11 juin Croatie, 4-5 juin 2011 A bord de la Navette spatiale 7-8 mai: Aquilée et Venise Béatification de JP II Voyages 2011

Le chrétien en politique

vu par le Père Scalese. Partant du résultat des élections locales en Italie (la défaite de Berlusconi étant selon lui, comme je le pensais, la sanction par les électeurs de la présence italienne en Lybie), il élargit la réflexion et propose un texte magistral sur le sujet, qu'il a écrit en 1998, et qui n'a pas pris une ride. (1er/6/2011)

Voir aussi

Le Père Scalese-analyste-politique-et-de-société que j'apprécie est de retour.
Et il revient sur la défaite de Berlusconi, dont j'ai parlé ici hier (je me réjouis de voir que je suis sur la même ligne que lui).
On m'objectera "qu'avons-nous à faire de la politique italienne?", et surtout, "quel rapport avec Benoît XVI?".
Patience.
D'abord, quand la vérité est malmenée (je veux ici parler simplement des faits, à propod de la fameuse "raclée de Berlusconi"), je trouve que c'est un devoir de réagir.
Ensuite, dans un contexte de globalisation (ou mondialisation) accélérée, comme celui que nous connaissons, tout ce qui se passe chez nos voisins nous concerne. Nous en avons suffisamment d'exemples avec "l'observatoire" de la société espagnole que Carlota, à elle seule, réalise ici (dernier exsemple: Etrange invitation de notre ambassade en Espagne ).

D'ailleurs, après l'analyse à court terme, le Père Scalese élargit son propos, et c'est le plus intéressant.
Il reproduit un texte écrit par lui en 1998, sur l'engagement des chrétiens en politique, et on peut dire que ce texte n'a pas pris une ride.
Il identifie dans le parcours qui doit mener un catholique à un engagement politique une sorte de parcours à plusieurs étapes, ou "moments" incontournables, et dans un ordre bien précis: un moment spirituel, un moment culturel, un moment social, et enfin le moment politique: "seul, quelqu'un qui est prêt à parcourir les étapes pré-politiques pourra être aussi un bon politicien catholique.".
Autant dire qu'il y a du travail.

Article en italien ici: http://querculanus.blogspot.com/...
Ma traduction.

Parlons un peu de politique
--------------------
J'ai été prophète facile, il y a un mois, en prédisant comment cela allait finir (article ici).
Que la décision de Berlusconi d'autoriser les bombardements en Libye constituait un suicide politique, il n'a pas fallu longtemps pour le réaliser. Oh, bien sûr, il y a les politologues habituels qui sont soucieux de vous assurer que la fin de Berlusconi est principalement due à ses débordements moraux. Mais je vous dis que les Italiens, de Ruby & C., ils s'en fichent complètement ( non interessa un fico secco). Ce qui les intéresse, en revanche, c'est la guerre en Libye. Kadhafi les intéresse-t-il? J'en doute. Sont-ils intéressés par les victimes civiles, et pas seulement celles - mises en avant par la télévision - de Kadhafi, mais aussi celles - cachées mais indéniables - de l'OTAN? Peut-être.
Mais à coup sûr, ce qui les intéresse, c'est qu'en ces temps de grave crise économique, où on appelle chacun à faire des sacrifices, on trouve de l'argent pour une guerre, et qu'il y ait encore quelqu'un pour expliquer pourquoi. Qui va payer pour cette guerre? Déjà se préparent de nouvelles manœuvres financières pour "régler les comptes". Et qui va payer le prix? Les Italiens, justement, qui, exaspérés par cette situation, ont voulu envoyer un signal à leurs dirigeants.

Je ne sais pas si le signal sera compris. Il suffit de regarder les réactions aux résultats des élections pour se rendre compte que personne n'a compris quoi que ce soit (ndt: un grand classique!). Que la gauche crie victoire ne peut que susciter le doute; mais ils sont où? (ndt: je ne suis pas sûre de bien traduire "ma ci fanno o ci sono?") Les «vainqueurs» de cette élection penseront que les Italiens leur réclament de reprendre sans tarder une politique à la Zapatero, sans se rendre compte que ces jours-ci, en Espagne, ce genre de politique a été définitivement liquidée.

Que faire, alors? Regrouper tout le monde au centre, avec Casini, Fini, Rutelli...? (ndt: sans connaître la politique italienne, il n'est pas difficile de trouver les équivalents en France, déjà en lice pour les prochaines présidentielles) Si quelqu'un sort déconfit de ces élections, c'est bien le «troisième pôle», démontrant ainsi sa vraie nature: une opération de laboratoire, encouragée par les "pouvoirs forts" (ndt: le Père Scalese se définit lui même comme un irrécupérable complotiste, il n'est pas difficile non plus de comprendre ce qu'il entend par là), comme une alternative à Berlusconi, une opération qui, comme toutes celles [du même genre] qui l'ont précédé, ne pourra jamais obtenir le consentement du peuple.

Hier, Andrea Tornielli a évoqué une rencontre du secrétaire de la CEI, Mgr Mariano Crusade, avec les députés catholiques de différents partis. Cela fait pas mal de temps qu'en Italie, on parle de la nécessité d'"une nouvelle génération de politiciens catholiques". Un discours largement partageable, même si, du moins pour le moment, il est difficile de voir comment on peut le mettre en œuvre. L'Église a-t-elle toujours les compétences éducatives (famille, paroisse, école, universités, associations, mouvements) nécessaires pour former une nouvelle génération d'hommes politiques catholiques? Je ne pense pas qu'on puisse accuser de défaitisme ceux qui se permettent quelque doute à ce sujet.

Personnellement, je pense, dans une situation où nous sommes, nous ne pouvons pas nous faire d'illusions sur une reconstruction immédiate, comme on dit aujourd'hui du «tissu social» au sens chrétien. Après des siècles de démantèlement du «christianisme» (c'est de cela qu'il s'agit: la crise que nous traversons n'est pas, comme beaucoup le croient, le résultat de décisions hâtives dans les dernières décennies, mais la conséquence de prémisses qui plongent leurs racines loin dans le temps) on ne peut prétendre le reconstruire en un tournemain. Au point où nous en sommes, je suis convaincu que nous ne pouvons plus penser résoudre la situation avec des interventions limitées, uniquement destinées à sauver ce qui peut l'être. L'expérience d'après-guerre elle-même, de la Démocratie Chrétienne devrait enseigner quelque chose (sans parler de la récente expérience de la présence catholique dans les deux camps opposés). Je pense qu'il n'y a rien d'autre à faire que de tout recommencer du début, revenir à l'époque des apôtres et continuer à proclamer le kérygme du Christ crucifié et ressuscité (ndt: il me semble que c'est ce que le Saint-Père ne fait que répéter). Dans l'intervalle, tout ce qui nous entoure se sera complètement effondré, et on pourra ensuite commencer à reconstruire à partir de zéro.

Ces jours-ci, il m'est revenu à l'esprit un discours qui j'ai fait il y a plus de dix ans, le 19 juin 98 (...) , pour la présentation d'un livre écrit par l'un de nos enseignants impliqué en politique: Breviario del buon governo, par le Prof. Franco Banchi... Je me permets de vous le proposer à nouveau parce que j'ai l'impression que, malgré le temps écoulé, il conserve toute son actualité.
----------------------

Un point de repère essentiel
-----------------
On répète souvent, à juste titre, que la politique peut être - doit être - pour le chrétien, une forme de charité . Elle est certainement un service, et le service est l'une des plus hautes expressions de la charité. Mais on ne dit jamais que l'engagement politique pour un chrétien, c'est avant tout, une forme d'apostolat. Habituellement, on donne à cette expression un sens restrictif, comme pour indiquer exclusivement la proclamation de l'Evangile, une tâche habituellement délégué aux autres membres du clergé.

Le Concile Vatican II, dans son décret sur l'apostolat des laïcs, affirme: « La mission de l'Eglise n'est pas seulement d'apporter le message du Christ et sa grâce aux hommes, mais aussi d'imprégner et de perfectionner l'ordre des réalités temporelles avec l'esprit de l'Evangile ( "Apostolicam actuositatem" , 5).
Donc, une unique mission, mais qui se réalise dans deux directions: l'évangélisation et la "sacramentalisation" d'une part, l'animation chrétienne de la réalité terrestre de l'autre.
L'apostolat réside dans l'activité de l'Eglise ordonnée à la réalisation de cette mission (cf. ibid , n. 2). L'Église exerce l'apostolat à travers tous ses membres, tant clercs que laïcs, même si, en général, aux premiers sont réservées de préférence la prédication et l'administration des sacrements, aux seconds la promotion des valeurs chrétiennes dans la société. Il s'agit malgré tout toujours du même apostolat, réalisée selon deux ordres différents, le spirituel et le temporel. A propos de ces deux ordres, le Concile ajoute: "Ces ordres, bien que distincts, sont tellement liées dans l'unique dessein de Dieu le, que Dieu lui-même entend unir dans le Christ le monde entier pour former une nouvelle création, de manière provisoire sur cette terre, et dans sa perfection, le dernier jour"( ibid. , 5). Il s'ensuit le corollaire suivant: "Dans les deux ordres, le laïc , qui est à la fois un fidèle et un citoyen, doit être constamment guidé uniquement par la conscience chrétienne"( ibid. ).

Donc, il y a deux ordres, mais une seule conscience: le chrétien doit être guidé dans son engagement temporel uniquement par sa conscience chrétienne. Avis donc à toutes les dichotomies - véritables schizophrénies! - qui ont marqué et, malheureusement, continuent de marquer, la présence des catholiques dans la vie politique. Parfois, on croit que le chrétien a deux consciences: l'une, chrétienne, à laquelle il se réfère dans sa vie personnelle, et une autre civile, nécessairement «laïque», à laquelle il se réfère dans son engagement dans le monde. Cette attitude est totalement inacceptable pour un croyant. Plusieurs fois ces derniers jours, L'Osservatore Romano nous a reproposé l'exemple du roi Baudouin, qui a choisi de démissionner - et était prêt à renoncer au trône -,afin de ne pas signer une loi contraire à sa conscience chrétienne.

Mais nous ne courons-nous pas de cette manière, le danger de retomber dans une nouvelle forme de fondamentalisme?

Pour éviter le fondamentalisme
------------------
La réflexion de l'Eglise ces dernières années a conduit à une nouvelle acquisition importante, qui, si elle est respectée, empêchera de tomber dans le piège, toujours imenaçant, de l'intégrisme.
Cette nouvelle acquisition consiste à distinguer différent "moments" dans l'engagement chrétien, une sorte de réfraction à travers laquelle nous découvrons, avant l'engagement en politique, une série de moments pré-politiques, qui ne peuvent en aucun cas être négligés si on veut accomplir une action politique correcte.

Avant tout, le moment spirituel: le moment de la foi, de la prière, du silence, de l'écoute de la Parole de Dieu, de la formation biblique, théologique et spirituelle. C'est le point de départ, qu'on ne doit jamais oublier: c'est le moment nécessaire pour "s'abreuver" à la source.

Ensuite, le moment culturel , le moment de l'inculturation de l'Evangile, de l'incarnation du message évangélique dans les catégories spécifiques à une culture donnée. À cet égard, je m'étonne qu'aujourd'hui, on parle tellement d'inculturation en se référant aux peuples du tiers monde, alors que chez nous, on exige un christianisme "tout spirituel", purifié de toute incrustation culturelle. Pour comprendre l'importance de la médiation culturelle, il n'est pas nécessaire de recourir à Gramsci, avec sa "théorie de l'hégémonie" , puisque les chrétiens ont toujours fait ce que Gramsci a théorisé: pensons à la première diffusion de l'Evangile ou même, plus près de nous, à ce qui s'est passé dans l'après-unité italienne, alors qu'était en vigueur le "non expedit". Nous constatons avec plaisir que l'Eglise italienne a emprunté cette route, avec la décision de la Conférence de Palerme, d'élaborer un nouveau "projet culturel" .

En troisième lieu, le moment social, qui consiste dans l'animation de la société civile. Pensons aux différents domaines où s'est déployé le bénévolat: les jeunes, les toxicomanes, les handicapés, les personnes âgées, les travailleurs, les chômeurs, les immigrés, les marginaux en général. Pensons aussi à la protection de la vie et de l'environnement. Dans ce vaste domaine, le point de repère reste la doctrine sociale de l'Eglise, qui, au cours du siècle dernier a élargi ses horizons, de la condition ouvrière à tous les problèmes de la société moderne.

Enfin, le moment spécifiquement politique, qui consiste dans la présence du chrétien dans les institutions (quartiers, communes, province, région, état) et qui peut aussi impliquer d'assumer quelques responsabilités, mais qui en aucun cas ne peut se transformer en une pure et simple "occupation du pouvoir". L'authenticité de ce dernier moment dépend entièrement des moments précédents; seul, quelqu'un qui est prêt à parcourir les étapes pré-politiques pourra être aussi un bon politicien catholique.

Une erreur à éviter
-------------------------
Il faut absolument éviter l'erreur de penser que le seul problème est "de quel côté se placer", à gauche ou à droite, ou s'il ne faut pas plutôt reconstituer un "grand centre", qui rassemble tous les catholiques.
Le problème est en réalité beaucoup plus profond. Actuellement nous sommes confrontés non seulement à une gauche, mais aussi hélas à une droite entièrement sécularisée (laïcisée). Donc le vrai problème est de ré-évangéliser la politique. Il faut commencer du début, comme il y a deux mille années: le chrétien, de quelque côté qu'il se range, est appelé à "imprégner l'ordre temporel de l'esprit évangélique". A ce niveau, au niveau de la foi et des valeurs morales, tous les catholiques sont - doivent être - unis au-delà des camps. Ils doivent être non pas des catholiques de droite, de gauche ou du centre, non pas des "catholiques libéraux" ou des "démocrates catholiques", des "cathocomunistes" ou des "cléricofascistes", mais simplement catholiques - comme nous l'a rappelé la semaine dernière L'Osservatore Romano (15 Juin 1998) - des "catholiques sans adjectifs".

---------------------

Juste une remarque, sur le "projet culturel". Treize ans ont passé, et le "projet culturel" a été, en effet, un grand projet. Ceci pour dire qu'il ne suffit pas de bonnes idées, de grandes intuitions, de programmes à larges horizons. Peut-être avons-nous juste besoin de repartir de l'essentiel.

Dernière joie Prier pour le voyage en Croatie