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Rétrospective 2011

Un article de la lettre d'informations religieuses ALETHEIA (*) reproduit grâce à l'aimable autorisation d'Yves Chiron, grand spécialiste de la question (31/3/2012) .



Un tel livre (dont j'ai lu des recensions élogieuses dans certains milieux ...) , reçu sans recul par des lecteurs de bonne foi, évoque pour moi un loup entré par effraction dans la bergerie.

A l'occasion du pélerinage du Saint-Père à Fatima, en mai 2010, j'avais consacré plusieurs articles à ce thème (cf. http://benoit-et-moi.fr/2010-II/).
On relira en particulier:
-> Une lettre écrite en 2000 par le cardinal Ratzinger: Fatima ne concerne pas que le passé.
-> Une réflexion de Vittorio Messori: Le troisième secret et les complotistes.
-> Une belle synthèse par une amie, Charlotte, du commentaire théologique du cardinal Ratzinger, en 2000: Le "secret" de Fatima commenté par J. Ratzinger.

     



Un mauvais livre sur Fatima
par Yves Chiron
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À première vue, le livre est imposant : plus de 400 pages d'un assez grand format. Le titre suscite immédiatement la curiosité, mais a un côté racoleur (1). L'auteur, qui signe d'un pseudonyme, est un parfait inconnu (2). La quatrième de couverture nous dit : « Après une carrière complète sous les drapeaux, il s'est reconverti dans l'industrie ». Durant ses loisirs, cet ancien militaire devenu industriel a consacré, est-il dit, « quatre années de recherche et de réflexions » au 3e secret de Fatima.

Son intention semble droite et bonne : « notre démarche est uniquement inspirée par la recherche de la vérité et le souci de faire mieux connaitre la dévotion au Coeur immaculé de Marie » (p. 14). Son ambition n'est pas mince : il prétend faire « une démonstration d'une logique imparable » (p. 12).

La consécration faite par Jean-Paul II en 1984 et la 3e partie du «secret » de Fatima, publiée et interprétée en 2000 par le Saint-Siège, sont contestés par certains groupes (Fraternité Saint-Pie X, Contre­Réforme catholique, revue Le Sel de la Terre, le P. Nicholas Gruner et Fatima crusader) et certains auteurs (le P. Paul Kramer, Christopher A. Ferrara, Laurent Morlier, Antonio Socci). La plupart estiment que la consécration accomplie par Jean-Paul Il en 1984 ne correspond pas à ce que la Vierge Marie a demandé à Soeur Lucie. Ils divergent, en revanche, sur le texte du «secret » publié par le Saint-Siège en 2000. Selon les groupes et les auteurs, il est soit « certainement authentique », soit authentique mais incomplet, soit authentique mais interprété de façon complètement erronée, soit encore il s'agit carrément d'un « faux ».

Joseph de Belfont reprend le dossier et il fait mine de ne pas tirer de suite les conclusions de sa recherche. Mais on se doute bien que s'il consacre plus de quatre cents pages au sujet, sous un titre aussi sensationnaliste, c'est qu'il prétend contester, lui aussi, la validité de ce que Jean-Paul II a accompli en 1984 et du texte qu'il a fait publier en 2000. Sa conclusion est nette : « le document publié par le Vatican est un faux : le secret officiel n'est ni le secret complet, ni une partie du secret » (p. 386).

On ne reprendra pas, une à une, les démonstrations de l'auteur. On passera sur les affirmations outrancières qui émaillent son livre. Par exemple qu'« à partir de 1958 », se seraient succédé, sur le siège de Pierre, des « papes à l'esprit moderniste » (p. 357).

En revanche, les bévues, les ignorances et les négligences relatives à Fatima sont nombreuses et graves. On n'en relèvera que quelques-unes. Elles discréditent le propos même du livre.

En 2006, le journaliste italien Antonio Socci a publié un livre, Il quarto segreto di Fatima (Rizzoli, 252 pages), qui veut démontrer que le Saint-Siège n'a pas publié, en 2000, la totalité du « secret » de Fatima et qu'une partie (« le quatrième secret ») a été occultée à dessein. Joseph de Belfont nous dit que le livre est paru « avec une préface de Benoît XVI » (p. 264) ! Cette erreur incroyable - comme si Benoît XVI pouvait préfacer un livre prétendant démontrer que le Saint-Siège a produit en 2000 un document volontairement tronqué -, n'est pas une faute de frappe ou une erreur de distraction, puisque l'auteur la répète à la page suivante en s'étonnant «que le pape ait préfacé à quelques mois d'écart le livre du cardinal [Bertone] et celui d'Antonio Socci » (p. 265).

Ailleurs, il nous dit que le mot enfer « n'est jamais employé » (p. 358) dans les textes promulgués par Vatican Il. C'est faux, il l'est dans le texte latin de Lumen Gentium. Il nous dit pareillement que le mot rosaire « ne figure pas une seule fois dans les actes du concile » - ce qui est exact - et que « le chapelet dont la récitation quotidienne a été demandée par la Sainte Vierge à chacune de ces apparitions, n'eut méme pas droit à un rappel » (p. 362) ; cette fois, c'est faux, dans Vatican II il y a une recommandation à recourir aux « formes variées de pitié envers la Mère de Dieu » (Lumen Gentium, 66). L'honnêteté et la justice auraient dû faire rappeler aussi que les deux papes du concile Vatican II ont, chacun, publié une encyclique tout entière consacrée au rosaire, pour exhorter à sa récitation : Grata recordatio, par Jean XXIII, le 26 septembre 1959 et Christi Matri par Paul VI, le 15 septembre 1966.

Le défaut d'information, voire la désinformation, est encore plus patente pour une source essentielle. Joseph de Belfont n'utilise à aucun moment les très longs témoignages que Soeur Lucie a livrés au cours de conversations avec deux cardinaux, le cardinal Padiyara, en octobre 1992, le cardinal Vidal, en octobre 1993. Ces entretiens se sont déroulés en présence de témoins et ont été édités en portugais en 1998 par Carlos Evaristo, qui avait servi d'interprète lors des deux entretiens. Une édition frangaise est parue en 1999, sous le titre "Fatima. Soeur Lucia témoigne" (éditions du Chalet, 117 pages) ; j'en avais révisé la traduction, et rédigé la longue présentation et les annotations.

Dans une simple note de son livre (p. 173), J. de Belfont écarte d'un revers de main cet ouvrage et parle de «propos attribués à soeur Lucie », qu'il n'ose citer « tellement ceux-ci sont ahurissants ». Le défaut d'argumentation sidère. Belfont sait-il que ces deux entretiens ont fait l'objet d'enregistrements audio et video. La chose a été confirmée par le cardinal Vidal dans un courrier qu'il m'a adressé le 25 juillet 2000. Il y a mieux : l'entretien du 11 octobre 1993 entre Soeur Lucie et le cardinal Vidal a été diffusé sur la chaine de télévision italienne Rai due le 31 janvier 2003. Des millions de personnes ont pu voir et entendre Soeur Lucie.

Dans ces deux entretiens, de 1992 et 1993, Soeur Lucie affirme et montre longuement, en répondant à des questions très précises, que la consécration réalisée par Jean-Paul IIl en 1984 correspond à ce que la Sainte Vierge a demandé. Soeur Lucie l'a répété à plusieurs reprises, à différents interlocuteurs, et dans différents écrits. Dans un de ses derniers écrits, le message de Fatima, édité en 2006 par le Carmel de Coïmbra, elle l'a encore dit explicitement (p. 54-55), indiquant aussi dans quel sens il faut comprendre l'expression « la Russie se convertira ». Joseph de Belfont ignore aussi ce témoignage.

Soutenir que la consécration de 1984 ne correspond pas à ce que demandait la Vierge Marie, c'est aller contre les affirmations de Soeur Lucie elle-méme. Soutenir que le texte du « secret » de Fatima publié en 2000 est incomplet, falsifié, voire qu'il est un «faux », c'est accuser Soeur Lucie, Jean-Paul II, les cardinaux Ratzinger et Bertone de mensonge.

Dans les deux cas, on accrédite l'idée qu'il y a complot, conspiration ou, au moins, fourberie. Encore un exemple. Faisant référence aux travaux du Père Alonso, religieux espagnol qui a consacré beaucoup de travaux à Fatima, J. de Belfont nous dit que l'évêque de Leiria-Fatima, Mgr do Amaral, nommé en 1972, « en interdit la publication » (p. 148) et que « seuls deux volumes expurgés seront publiés en 1992 et 1999 ».

J. de Belfont est, encore une fois, mal informé. Le P. Joaquín M. Alonso, cMF (1913-1981), avait conçu une grande "Historia critica de Fatima" en vingt-quatre volumes. Ce vaste corpus n'a pu paraître de son vivant (le P. Alonso en a éprouvé de l'amertume), ni après sa mort. Mais il est faux de dire que ses travaux ont été « enterrés ». De son vivant, le P. Alonso a pu faire paraître rien moins que douze ouvrages sur Fatima, dont plusieurs ont connu plusieurs éditions et de nombreuses traductions (deux ont été traduits en frangais). Quelques mois après sa mort, paraissait encore une importante étude : "De nuevo el secreto de Fatima" (Ephemerides Mariologicae, XXXII, 1982, p. 81-94).

En matière d'apparition et de messages surnaturels, le dernier mot revient au Pape (s'il le juge nécessaire). A propos de Fatima, on peut simplement s'étonner et regretter que les papes successifs n'aient pas davantage exhorté à la dévotion au Coeur immaculé de Marie et à la pratique des cinq premiers samedis du mois. « Jésus veut se servir de toi pour me faire connaître et aimer. Il veut établir dans le monde la dévotion à mon Cceur Immaculé » avait dit la Vierge Marie à Soeur Lucie le 13 juin 1917.

* * *

(1) Joseph de Belfont, Mystères et vérités cachées du troisième secret de Fatima, Lanore, octobre 2011, 419 pages .
(2) L'Action familiale et scolaire fait la promotion du livre et l'auteur renvoie à l'AFS dans sa conclusion.

(*) La lettre d'informations religieuses ALETHEIA paraît 15 fois par an.
Elle n'est disponible que par abonnement postal (20 euros pour l'année 2012).
Chèque à l'ordre de l'Association Nivoit, 5 rue du Berry, 36250 NIHERNE.