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Rétrospective 2011

José-Luis Restan met en perspective le récent voyage de Benoît XVI (spécialement à Cuba) avec ceux de Jean-Paul II, en Pologne, et à d'autres endroits vivant sous des régimes de dictature. Le Pape se rend partout où il <peut> annoncer l'Evangile, et "confirmer ses frères dans la foi". Traduction de Carlota (6/4/2012)

Texte original en espagnol: Paginas digital.

     



Pour quoi un pape voyage-t-il?
José Luis Restán
03/04/2012
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Je me rappelle encore mon vieil ami, le prêtre Francesco Ricci, nous racontant la première homélie de Jean-Paul II sur la place de la Victoire à Varsovie. Ricci avait souvent franchi le rideau de fer dans les années soixante, il avait lié des contacts avec tous les groupes dissidents et il connaissait à la perfection les forces et les faiblesses de l’Église dans chaque pays de l’Est. « Avec un seul geste, avec un seul mot, il aurait pu provoquer la chute de ce régime. Mais il ne l’a pas fait, ce n’était pas sa mission, ce n’était pas la mission de l’Église ». Évidemment la passion faisait exagérer Don Ricci, mais sapristi, on n’avait pas l’habitude de voir un pape entouré par plus d’un million de personnes dans une capitale communistes. Un titre d’un journal avait alors dit que cela semblait être « comme si l’Église tolérait le régime, et non l’inverse ».

Évidemment cette première visite, et celles qui suivirent, n’ont pas été sans effet au point de vue historique. Elles ont contribué à générer un vent de changement incontrôlable, favorisé aussi par la nouvelle situation dans l’Union Soviétique de Gorbatchev. Mais elles l’ont fait à travers l’annonce de l’Évangile, le témoignage d’une foi qui illuminait tout ce qui est humain, qui montrait le chemin de la liberté et de la dignité inviolable de chaque être humain…

Ce qui est certain c’est que tout au long des longues années du régime communiste, l’Église a joué un rôle historique de résistance spirituelle et culturelle, d’opposition et de dénonciation morale, mais elle n’est jamais tombée dans la tentation (et elle a pu être grande) de jouer un rôle d’agent politique. Il y a eu, c’est sûr, beaucoup de catholiques impliqués dans les mouvements d’opposition, tant sur le plan syndical que politique, qui ont reçu de la compréhension, de la stimulation et des soutiens de teneur très variée. Mais il est important de souligner que le dialogue de la hiérarchie catholique polonaise avec le régime ne s’est jamais interrompu complètement, ni même quand le Primat Wyszinsky était en prison, ni quand s’est déchaînée la répression contre les ouvriers, ni quand le Père Jerzy Popieluszko a été assassiné, ni quand Jaruzelski a maintenu la loi martiale.

Dans cette dernière phase, Jean-Paul II a dû accepter des conditions particulièrement amères pour rendre visite à son pays. Par exemple il ne lui a été concédé que de rencontrer seul le détenu responsable syndical Lech Walecha, alors qu’il a du comparaître à deux reprises avec le général Jaruzelski. Mais le Pape Wojtyla savait qu’au-delà des lectures politiques, sa présence était un souffle d’espérance pour la communauté catholique polonaise et de sa force et vitalité dont dépendait tout le reste.

Je me suis focalisé sur l’exemple polonais pour des raisons évidentes, mais rappelons-nous aujourd’hui que Jean-Paul II a visité des pays comme le Zaïre, gouverné d’une main de fer par le satrape Mobutu, et aussi le Chili de Pinochet, l’Argentine de Galtieri, le Pakistan du général Zia Ulak, le terrible Haïti de Duvalier ou la Syrie gouvernée par le clan des Assad. La liste serait étendue. Si le grand pape voyageur avait limité ses visites aux pays avec un standard démocratique déterminé, je peux assurer qu’il n’aurait même pas réalisé la moitié de celles qu’il a menées à bien. Évidemment chaque voyage implique des conditions, des équilibres, des accords, des options de circonstances dans lesquelles le Saint Siège peut plus ou moins se retrouver. C’est quelque chose que seul le temps permet de juger avec sérénité et dans une perspective. Nous savons ce qui est arrivé à Managua quand les hordes sandinistes ont essayé de saboter la Messe (1), ou la compromission dans laquelle Pinochet l’a mis en sortant sur le balcon avec Jean-Paul II à Santiago [du Chili] (2), ou les sueurs froides des forces de l’Otan durant le transit par Sarajevo. Tout cela discutable et susceptible d’analyse.

L’Église vit tous types de situations et sous tous types de régimes. Sans doute ces régimes et ces situations ne la laissent pas indifférente, mais l’Évangile doit être proclamé, les sacrements célébrés et la charité exercée en toutes circonstances. Et ce qui en a ainsi dérivé a pu être un changement plus durable, un changement culturel et social qui parfois ressemble à un cyclone comme ce qui est arrivé dans la Pologne de Solidarnosc ou aux Philippines qui virent la chute de Marcos (ndt 1986). Mais dans d’autres occasions, il n’en est pas ainsi. Parfois il s’agit d’une pluie qui imprègne lentement la terre et qui tarde beaucoup à donner des fruits visibles, parfois ce n’est pas cela. Simplement le pouvoir condamne les chrétiens à continuer aux marges et même dans les catacombes. C’est ainsi que cela a été et c’est ainsi que cela sera dans quelques lieux tant que le soleil se lèvera sur la terre.

Le Pape voyage dans un pays quand il y existe une communauté qui a besoin d’être confirmée et encouragée, et quand sont données les conditions minimum de sécurité et de liberté pour qu’il puisse annoncer la vérité de l’Évangile et montrer ses conséquences humaines. C’est pour cela qu’il n’a pas pu encore fouler une terre chinoise. Cependant il a pu le faire à Cuba, comme l’a fait Jean-Paul II en 1998. À Santiago [de Cuba] et à La Havane Benoît XVI a expliqué le lien entre la foi, la raison et la liberté, il a montré la forme dans laquelle le christianisme contribue à construire la cité, il a revendiqué la liberté pour tous les citoyens et il a aspiré à la voie du dialogue et à la réconciliation pour atteindre une société ouverte et libérale.
Et moi je demande : « quel responsable international, quel écrivain, quel chanteur ou homme politique, a pu et su dire cela sur la place publique à Cuba depuis les dernières décennies ?»

Avec sa présence, évidemment limitée par le régime, le Pape a rendu un véritable service, non seulement aux catholiques de l’île, principale mission de sa compétence, mais à toute la société cubaine. Une chose différente c’est que l’opposition cubaine, par malheur, est très loin d’avoir la force que pouvait montrer la dissidence polonaise, et que l’influence de l’Église dans la Perle des Caraïbes ne peut se comparer au pouvoir qu’elle avait maintenu (même aux pires moments) en Pologne (3).

En tout cas Benoît XVI est plus sage et aussi beaucoup plus humble que ceux qui le critiquent, et c’est pour cela qu’il disait lors de son vol vers l’Amérique : « l’Église doit se demander toujours si l’on fait suffisamment pour la justice sociale dans ce grand continent…c’est une question de conscience que nous devons toujours nous poser. Nous demander : que peut et doit faire l’Église ? Que ne peut-elle pas et ne doit-elle pas faire? L’Église n’est pas un pouvoir politique, ce n’est pas un parti, mais une réalité morale, un pouvoir moral…la première pensée de l’Église c’est éduquer les consciences et ainsi créer la responsabilité nécessaire ; éduquer les consciences tant sur le plan de l’éthique individuelle que de l’éthique publique. Et là peut-être que quelque chose a manqué ». La vérité est qu’il manque toujours quelque chose, parce que l’Église navigue dans une mer pleine d’obstacles. Mais ce qui n’a pas manqué c’est cette « audace de la foi » que le Pape a mise en avant. Et ce que quelques intellectuels ne comprennent ni ne peuvent comprendre, le simple peuple l’a compris parfaitement.

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Notes de traduction


(1) après un relatif bon accueil de la révolution sandiniste (1979) qui mettait fin à un gouvernement sans partage de la famille Somoza pendant plusieurs décennies, par les responsables de l’Église au Nicaragua, des tensions se firent jour compte tenu du programme marxiste du nouveau régime et lors de la Messe présidée par Jean-Paul II et son homélie où il se montrait sévère par rapport à l’évolution du pays, il fut hué par une partie des fidèles (1983). En 1990 les sandinistes perdront les élections.

(2) Le général Pinochet était en train de parler au Pape Jean-Paul II dans une salle de Palais présidentiel de « la Moneda » à Santiago du Chili, en 1987, quand un rideau fut tiré dévoilant une fenêtre qui faisait face à la foule des Chiliens massés devant le palais. Jean-Paul II qui n’aurait pas voulu cautionner son hôte et n’aurait pas demandé cette apparition commune au balcon, se serait trouvé devant le fait accompli et n’aurait pas apprécié (faits relatés par le cardinal Roberto Tucci – Observatore Romano – 2009). Après un référendum organisé par ses soins en 1988 pour préparer la transition vers la démocratie, le général Pinochet quittera volontairement le pouvoir.

(3) Aucun pays ne peut se comparer, surtout si différent malgré une foi catholique commune majoritairement partagée. Mais il me semble que le communisme athée était arrivé en Pologne avec les bottes de l’envahisseur soviétique qui s’est emparé d’une partie du pays dès 1939, à l’époque du pacte germano-soviétique. Fidel Castro lui au contraire avait redonné aux Cubains, tout au moins, dans un premier temps, la fierté d’être de nouveau libres de leur destin face aux Nord-Américains qui, dès le départ des Espagnols en 1898 y avaient décrété la loi martiale avant d’y installer ou soutenir des gouvernements locaux plus ou moins élus et plus ou moins fantoches. Si la religion catholique en Pologne était restée un signe indissociable de la résistance et de l’amour de la patrie (que cela soit à l’époque des invasions tartares, puis prussienne et russe ou soviétique), à Cuba le communisme avait aussi accompagné l’amour de la patrie face à l’impérialisme nord-américain…Il était peut-être aussi facile, parmi ceux qui ne demandaient qu’à être convaincu d’y faire passer l’Église catholique comme liée à un certain passé colonial espagnol de notables, un passé rejeté par un nationalisme exacerbé plus que par véritable différence culturelle puisque la majorité des Cubains étaient issus de ce passé colonial récent mais aux racines anciennes.