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Enorme battage médiatique en Italie, autour d'un film qui relate de façon totalement partisane un épisode tragique marquant le début des "années de plomb". Article de Rino Cammilleri, pour La Bussola (6/4/2012)

     



Il n'est pas nécessaire de connaître en détail l'histoire récente de l'Italie pour apprécier cet article, qui trouvera de multiples échos chez nous; Rino Cammilleri commente le battage médiatique entourant dans son pays la sortie d'un film qui relate l'attentat de la Piazza Fontana le 12 décembre 1969, qui marqua le début des "années de plomb". Alors que les attentats ultérieurs ont impliqué aussi (et surtout) l'extrême gauche, avec les brigades rouges, responsables de l'assassinat d'Aldo Moro, comme par hasard, le film s'arrête sur celui qui aurait impliqué (sans que cela ait jamais été établi) des réseaux neofascistes.

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Le film n'est pas un documentaire, mais personne ne s'en soucie
La Bussola
Rino Cammilleri
05/04/2012
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Le film «Romanzo di una strage»(1) (Roman d'un massacre) de Marco Tullio Giordana est sans nul doute celui dont on parle le plus et qui a été le moins vu. Un étrange record, oui, même le Titanic de James Cameron n'a pas provoqué un tel débat dans la presse. Même les journaux télévisés y ont mis du leur, dans l'espoir de faire rentrer dans les caisses de l'État la contribution pour «les œuvres d'intérêt culturel national». En fait, grâce au battage hypertrophique, on peut se passer d'aller voir le film. Tellement on sait désormais de quoi il parle. Beau boomerang, sans aucun doute. Espérons que Giordana, mais aussi De Maria, l'auteur de «Prima Linea» (2), et Vicar, celui de «Diaz» (3), se consacreront désormais à des thèmes moins passionnants pour eux, mais beaucoup plus pour le public payant.

En effet, quand on lit le sous-titre de «Diaz», qui annonce l'atteinte la plus grave à la démocratie dans toute l'histoire, non pas de l'Italie, mais du monde, on sait déjà ce qu'on va voir. L'habituelle «histoire sainte» que les jacobins de chez nous font avec l'argent des autres. Si on allait consulter les documents, on verrait peut-être que tous les films de «dénonciation» tournés et projetés dans notre pays ne brillent pas au box-office, de sorte que l'on pourrait légitimement se demander pourquoi diable on continue à les faire, étant donné qu'ils rentrent à peine dans leurs frais. Mais l'important est ailleurs.

Depuis que le cinéma italien n'est plus aux mains des démocrates chrétiens et du circuit des salles paroissiales (ndt: comment ne pas penser au magnifique film de Giuseppe Tornatore "Cinema Paradisio"?), mais dans celles des communistes et de leurs sympathisants, nous n'avons plus rien d'autre que des «cinepanettoni» (ndt: comédies grand public: du nom du panettone, la brioche supposée indigeste) et des «dénonciations» à sens unique. Au point que certains (comme Giorgio Carbone, dans le quotidien Libero du 2 avril) pensent que des auteurs jouent les «petits malins» car «leurs films sur les années de plomb ont pour finalité non secondaire de planquer dans les armoires les squelettes qu'eux, leurs amis, et leurs camarades de parti ont accumulés dans les temps plombés». Mais nous croyons qu'il y a plus. Comme nous l'a dit une fois à table le célèbre réalisateur polonais Zanussi, une image peinte ou sculptée «renvoie» à l'original; mais une image de film «est» l'original.

Dans la pratique, ils ont beau jeu de dire qu'une fiction n'est pas un documentaire; un film historique, dans la tête du spectateur, fonctionne exactement comme un documentaire. Bonne leçon, que celle de Zanussi, pour les films "religieux" de Lux Vide (ndt: société de production télévisée spécialisée entre autre dans la fiction religieuse. Apparemment, la qualité n'est plus au rendez-vous). Laquelle, cependant, n'en a pas tenu compte et continue de donner à ses fictions des auteurs de faible épaisseur. Mais les gens en sont si friands qu'ils les regardent quand même (ce serait donc une grande ressource pour la nouvelle évangélisation, mais nous sommes forcés de nous contenter de ce qui passe).

La leçon de Zanussi, cependant, est bien suivie par les «petits malins» mentionnés plus haut, qui gardent toujours présente une autre grande leçon, celle d'Orwell, laquelle s'adressait, comme un avertissement à leurs adversaires: «Qui contrôle le passé contrôle le futur». Et le futur, dans notre cas, est représenté par ceux qui, dans les années de plomb n'étaient pas nés ou étaient trop petits. Raconter l'histoire de certains événements avant tout le monde est très important pour le contrôle du passé. Une version ultérieure, mais différente, du même fait ne trouverait en effet même pas de financement, les producteurs diraient: il y en a déjà eu une et elle a fait un flop. Ainsi, sur la pellicule, il reste la version de ceux qui ont eu l'idée d'abord, pour la mémoire future.

Ce film, tôt ou tard, se retrouvera sur les chaînes de télévision, et même ceux qui ne l'ont pas vu en salle le verront, car à la télévision, c'est gratuit (façon de parler, mais la redevance est obligatoire).
«Le cinéma est l'arme la plus puissante», parole de dictateur.
Et c'est depuis le temps du Cuirassé Potemkine que l'histoire, dans les films, ce sont toujours les mêmes qui la font. Avec des intentions pédagogiques qu'ils ne cherchent même pas à dissimuler.
Craignons que nous, catholiques, quand nous serons appelés au Tribunal céleste, nous n'ayons également à rendre compte de notre particulière bêtise.

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Notes

(1) Romanzo di una strage
Film de Marco Tullio Giordano, sorti en italie le 30 mars dernier
Synopsis: Milan, 12 Décembre 1969. A 16h37 Piazza Fontana, une explosion dévaste la Banque Nationale de l'Agriculture, encore pleine de clients.
17 personnes sont tuées, et 88 gravement blessées.
Au même moment éclatent à Rome trois autres bombes, et un autre engin, qui n'a pas explosé, est trouvé à Milan. Il s'agit manifesteement d'un plan subversif.
La Préfecture de Police de Milan est convaincue par la piste anarchiste, il faudra beaucoup de mois avant que la vérité se fasse jour, révélant une conspiration liant les milieux neonazis vénitiens à des éléments déviants des services secrets.
Le massacre de la Piazza Fontana inaugure la longue série d'attentats et de violences des années de plomb.
Au cours de 33 années, différents procés se succèdent dans les sièges les plus variés, se concluant par des sentences qui se contredisent mutuellement. Finalement, tous seront absous, le massacre de la piazza Fontana, pour la justice italienne, n'a pas de coupable
Fiche en français ici: http://cineuropa.org/

(2) Prima Linea réalisé par Renato De Maria
Prima Linea a été, pendant les années de plomb, le groupe armé d’extrême gauche le plus important en Italie après les Brigades rouges. Renato De Maria prend ici le parti de raconter cette période à partir de l’autobiographie d’un des fondateurs de Prima Linea, sorti de prison en 2004, Sergio Segio. Grâce à un dispositif narratif remarquablement maîtrisé (fait de flash-backs enchâssés), le cinéaste tient ensemble l’histoire de l’Italie des années de plomb, racontée du point de vue d’un ex-terroriste, et une belle histoire d’amour.

(3) Diaz - Don't Clean Up This Blood (litt: ne nettoyez pas ce sang) de Daniele Vicari, raconte la nuit du 21 juillet 2001, quand 400 agents de police ont fait irruption à l'École Diaz de Gênes et blessé de nombreux activistes pacifistes présents à l'occasion du G8, des actes qui ont été qualifié de "plus grave suspension des droits démocratiques dans un pays occidental depuis la Deuxième Guerre mondiale" par Amnesty International.
Le film a été sélectionné dans la section Panorama Special du Festival de Berlin (9-19 février 2012).