Démission: l'analyse de Paul Badde (Die Welt)

Cet homme venu d'Allemagne qui ne connaissait aucun plan de carrière (12/2/2013)

Original en allemand ici: http://kath.net/detail.php?id=40051
Traduction VB.

     

11 Février 2013
L'homme venu d'Allemagne ne connaissait aucun plan de carrière
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Courbé par l'âge, Benoît XVI se retire. Mais le pape ne s'en va pas parce qu'il s'est résigné, mais parce que cela lui apparaît comme la seule solution raisonnable.
Les origines de la démission.
Paul Badde / DieWelt

Quand Jean-Paul II est mort, les émotions de Rome ont éclaté en applaudissements spontanés de la foule sur la Place Saint-Pierre. Aujourd'hui, la tristesse s'abat sur la Ville Eternelle. Rien n'avait préparé les Romains, pas plus que les 1,2 milliard de catholiques sur tous les continents.
Comme un coup de tonnerre dans un ciel limpide, la nouvelle a même surpris les cardinaux dans la splendeur baroque de la Salle du Consistoire du palais pontifical, dit le cardinal Sodano dans sa première réaction à la démission. Comme Benoît XVI avait lu son texte personnel en latin, à la fin de la session, de nombreux cardinaux se sont probablement aussi demandés s'ils avaient bien compris ce qu'ils venaient d'entendre. Jusque-là, la rencontre s'était déroulée selon la procédure habituelle des affaires courantes. Le Cardinal Amato avait présenté aux cardinaux réunis au Vatican les nouveaux saints de l'Eglise catholique. Certains regardaient déjà leur montre. L'un ou l'autre pensaient déjà au rendez-vous avec ceux qu'ils devaient rencontrer pour le déjeuner. Mais en ce lundi de Carnaval, le repas de midi, et pas seulement à Rome, fut sauté. Avec son dernier coup spectaculaire, Benoît XVI contrecarrait une dernière fois les plans de tous les analystes du Vatican, et de ses innombrables amis et adversaires du monde entier. D'une certaine manière, il se retire comme il s'était présenté.

«Jeter les filets de la foi»
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Quand il fut élu, de nombreux analystes, les meilleurs esprits du monde entier se sont efforcés de détecter avec quel «plan de carrière» le petit homme venu d'Allemagne s'était hissé à la position la plus élevée dans l'Église mondiale.
La vérité était qu'il n'avait pas de plan de carrière. Rien que cela en faisait au Vatican une particularité. Et maintenant, il s'est aussi comporté de façon unique, en étant disposé à transmettre la puissance et les sacrifices liés aux clefs de Saint Pierre à un successeur plus en forme que lui. Ce n'était pas un coup de tête, cela est tout aussi clair. Il était sérieux quand il a fait cette déclaration, mais pas plus faible que d'habitude, ni plus fragile.
Samedi, il avait même accueilli 4500 Chevaliers de Malte dans la Basilique Saint-Pierre, et la veille, dans la soirée, il avait tenu sans notes devant les séminaristes de Rome un exposé, une petite somme de sa théologie, avec toute la plénitude de sa force d'esprit. Le dimanche, depuis sa fenêtre, il avait comme d'habitude prié l'Angélus avec les fidèles place Saint-Pierre, et, auparavant commenté le texte de l'Évangile du dimanche, traitant de la façon dont nos échecs et nos difficultés ne doivent pas nous conduire au découragement. Parce que notre devoir est de jeter avec foi nos filets, le reste est fait par le Seigneur. Il pense à présent qu'il a fait ce qu'il avait à faire, et aussi qu'il a tendu tous les filets de la barque de Pierre dans les profondeurs des océans du monde entier. La récolte ne lui est pas destinée. Retirer les filets, ce sera le travail d'autres forces.

Un plan mûrement réfléchi
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Il est certain qu'il a aussi choisi le jour de sa démission avec le plus grand soin. Le 11 Février est le jour où l'on commémore Notre-Dame de Lourdes, qui depuis plus de 100 ans attire d'innombrables malades et infirmes. Avec sa décision exceptionnelle, Benoît XVI se fait solidaire de ces personnes fragiles. Dans la plénitude de ses facultés intellectuelles, mais physiquement trop faible pour les tâches surhumaines d'un pape, le fait qu'il ait mûrement réfléchi et examiné son plan est une évidence.
Avec le recul, on peut même penser qu'il est revenu en arrière, vers ce qu'il avait lui-même écrit: «Si un pape arrive à la conclusion évidente que physiquement, psychologiquement et mentalement il ne peut plus faire face à la tâche - disait-il à Peter Seewald lors de l'été 2010 à Castel Gandolfo - alors il a le droit et peut-être même l'obligation de se retirer».

Le Chemin de Croix peut encore durer des années
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Mentalement et spirituellement il est encore pleinement lucide et présent, toutes les personnes qui l'approchent encore le confirment - mais les forces physiques le quittent, tout le monde pouvait le voir même de loin. Et il juge de façon évidente l'état de l'Église suffisamment critique, face aux grands défis, qu'il prévoit dans sa sagesse, pour lui imposer après huit années de pontificat les conditions d'une agonie allant en s'aggravant comme son prédécesseur Jean-Paul II l'avait souffert de manière si dramatique.
Parce qu'il le sait aussi: son chemin de croix peut éventuellement durer encore plusieurs années - même s'il refuse désormais de prendre quotidiennement les médicaments qui prolongeraint la vie.

Les défis imposés au pape changent presque quotidiennement d'intensité.
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Dès le début, son frère Georg, à Ratisbonne, a semble-t-il pensé avant même que ne commencent les devoirs incombant au successeur de Pierre qu'ils allaient pour la première fois épuiser entièrement son brillant petit frère.

« La décision était prise depuis plusieurs mois».
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En dehors de la prière, il ne s'est entretenu de cette question qu'avec son frère. Son frère l'a écouté, mais ne lui a donné aucun conseil, ni pour, ni contre. Mais la décision prise aujourd'hui ne l'a pas trop surpris. Elle était déjà prise depuis plusieurs mois.
On peut aussi écarter toutes les considérations qui tendent à supposer que les très graves ruptures de confiance à l'intérieur même de l'Église, qui ont ébranlé le pape lors du scandale Vatileaks, aient pu le pousser à la démission.
Il se retire parce que ses forces le quittent, non pas parce qu'il a été trompé ou déçu. Il ne se retire pas parce qu'il est découragé, mais selon une démarche raisonnée et froide, un acte de souveraineté sans précédent. Dans ce sens, il ne démissionne pas, mais il s'engage dans l'espace intérieur de la prière de l'Eglise.

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Nous sommes tous des pécheurs
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Alors que l'annonce de la démission suscite aussi sur Internet des discussions animées, le Vatican reste muet sur le compte Twitter du chef de l'Église d'abord silencieux. Toutefois, le dernier tweet du pape sur son compte en langue allemande pouvait être interprété comme une consolation pour les catholiques déçus. «Nous devons faire confiance en la force de la miséricorde de Dieu» disait-il. Benoît XVI envoie des tweets depuis début Décembre en huit langues - en arabe, anglais, allemand, français, italien, polonais, portugais et espagnol. En Janvier, il a également envoyé son premier message en latin. «Nous sommes tous des pécheurs, mais sa grâce nous transforme et nous renouvelle».

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