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A propos de "Jésus en Roma"

Carlota a traduit la très longue interviewe de l'auteur, Juan Maria laboa. C'est un authentique manifeste du progressisme (qui se croit) redevenu triomphant (9/4/2014)

>>> Cf.
Politique-fiction vaticane

En rendant compte hier du livre « Jésus à Rome », j’écrivais : « j’ai du mal à croire à une coïncidence ».
Sans doute n'était-ce pas suffisamment clair. Je voulais dire : des gens voulaient que Benoît XVI démissionne, ils ont fait ce qu’il fallait pour cela… et ils sont arrivés à leurs fins. Enfin, il est permis de le penser.
Carlota a courageusement traduit la très longue interviewe de l’auteur par José Manuel Vidal, un blogueur espagnol hyper-progressiste (et prêtre défroqué) que nous avons souvent croisé dans ces pages. En fait, c’est cousu de (très gros) fil blanc. Le livre n’a rien de prophétique: il sert seulement à énumérer les souhaits ecclésiaux de la « progressie », dans une veine qui fait penser aux ouvrages de Pedotti/De Paoli. Et l’interviewe complaisante, qui date de mai 2013, est un hymne à la louange de François, assorti de la liste de tout ce que la frange libérale de l’Eglise attend de lui. La suite des évènements, un an après, n’a pas vraiment mis un terme aux interrogations (d’où qu’elles viennent, d’ailleurs…)

Il y a par ailleurs (au moins) un fait qui me trouble : comme on l'a vu, le livre était recensé - élogieusement - dans l’Osservatore Romano,et également dans la revue des jésuites, La Civiltà Cattolica. A l’évidence, de puissants courants œuvraient contre Benoît XVI dans les « Salles Sacrées »… bien avant la démission de février 2013.

     

Présentation de Carlota

Faut-il parler du livre « Jésus à Rome » de Juan Maria Laboa? Dans un premier temps, j’aurais dit non, car il me semble plus militant qu’évangélique, et par ailleurs l’auteur appartient à la « famille des catholiques adultes » dont je ne fais vraiment pas partie.
J’ai néanmoins traduit le très long entretien de Juan Maria Laboa qui est aussi prêtre (né au Pays Basque en 1939 et ordonné dans les années 60) fait par José Manuel Vidal (né en 1952, prêtre sécularisé) et directeur du site « Religion digital », à l’occasion de la présentation du livre à Séville, le 16 mai 2013, il y a donc presque un an.
L’échange entre les deux hommes m’a paru donner parfois quelques éléments d’intérêt mais c’est surtout la suite d’argumentaires vieux comme les années 60 du siècle dernier; des argumentaires de ceux qui ont été d’un monde qui date, et qui y sont restés.

Texte original: www.periosdigital.com.

     

(16 mai 2013)

Il est très possible que Juan María Laboa soit le meilleur historien de l’Église en Espagne, et l’un des plus prestigieux au niveau international (ndt: à nuancer probablement). Il a écrit des dizaines de livres et aujourd’hui il nous surprend avec un roman intitulé “Jésus à Rome, le rêve de Benoît XVI”, dans lequel il racontre la renonciation du Pape Benoît XVI et sa retraite dans un monastère et qu’il présente aujourd'hui au Cercle Militaire de Séville.

De façon surprenante, « le livre a été terminé un mois avant que la moindre personne (??) ait soupçonné que le Pape puisse démissionner », nous dit Laoba, qui pense que « si le livre était sorti sans la renonciation de Benoît et sans l'arrivé du Pape François, mon livre aurait été considéré comme intolérable pour beaucoup ».
« Des gens qui jusqu’à hier commandaient, commencent à être considérés comme liquidés », dit l’auteur qui croit que les changements qu’implique l’élection du Pape François sont en train de se transférer de Rome au reste de l’Église, y compris l’Espagne. « Il n’est pas pensable que Rome se décentralise et que par contre les évêques restent comme des satrapes sans une collaboration plus directe et plus efficace des prêtres et des laïcs », indique-t-il.

Écrivain et aussi prêtre, Juan Mara Laboa, conclut avec une critique envers le clergé: « Nous croyons que nous (le clergé!) avons l’Esprit Saint dans la poche et que le Christ est naturellement ce que nous disons parce nous sommes les interprètes du Christ (…) mais nous pouvons tomber dans le piège d’interpréter comme parole du Christ nos propres désirs »

* * *

Vous avez défini votre roman comme une « parabole ». Pourquoi?

- Ce n’est pas un livre d’histoire, évidemment, mais toutes les données sont historiques. Même si cela paraît incroyable à première vue, les laïcs, les évêques et les cardinaux qui apparaissent, ou ce sont des amis à moi, ou je les ai connus, et les réactions, pour extravagantes qu’elles paraissent, je les ai vécues presque toutes. Ce n’est donc pas un livre d’histoire parce que j’y introduis ma réflexion, mes pensées et quelque licence poétique ; mais ce n’est pas à proprement parlé un roman. C’est pour cela que je l’appelle « parabole », dans le sens de ce que le mot a beaucoup de signification surtout pour les croyants (bien qu’il me semble aussi pour les non croyants), et ce n’est pas une pure fiction.

Le livre est écrit avec assez d’avance par rapport à la renonciation de Benoît XVI, mais dans ce livre, vous l’annoncez. Est-ce un livre prophétique ?

- Eh bien, j’ai toujours dit que je n’étais pas mauvais historien mais un prophète désastreux. Mais effectivement c’est vrai qu’avec ce livre il est arrivé quelque chose de curieux. Il est écrit pas mal de temps avant que cela arrive. Je l’ai remis aux deux éditeurs (l’italien et l’espagnol) quelques deux mois avant la renonciation de Benoît XVI. De fait, le livre était déjà dans la rue le lendemain ou les deux jours après la renonciation. Dans ce livre, il se retire dans le couvent des Franciscains en Ombrie, pour prier pour l’Église. C’est ainsi, qu’en quelque sorte la façon de se retirer coïncide. Il y a d’autres choses qui sont anticipées et qui se révèlent curieuses. Par exemple, quand dans le livre François d’Assise arrive à la Place Saint Pierre, il voit le palais apostolique et il demande : et cette grande maison qu’est ce que c’est? Alors Ignace de Loyola qui va avec lui et avec Pierre, lui répond : c’est là où vit le Pape ». François regarde et dit : « 300 pauvres y tiendraient dedans » (ndt : Nous y voilà !)

Le livre amène dans le présent Jésus et une série de personnages historiques (Tertulien, Ignace de Loyola, François d’Assise…), dans quelle intention ?

Nous les croyants nous pensons que Jésus est dans l’Eucharistie, dans les hosties consacrées conservées dans le Tabernacle, qu’il est avec les chrétiens…Mais tout au long de 40 ans d’enseignement de l’histoire de l’Église je me suis demandé de très nombreuses fois, si Jésus venait en chair et en os, quelle réaction aurait-il en rencontrant certaines personnes, institutions, ou façons de vivre à l’intérieur du christianisme.

La question que se font beaucoup de personnes quand elles vont à Rome?

- Exactement Et cela pourrait être quand tu vois beaucoup d’autres lieux. Alors j’ai commencé à écrire le premier chapitre je l’ai fait comme un essai, pour voir ce qu’il en ressortait. Et peu à peu cela m’est venu. À la différence de ce que je fais quand j’écris des livres d’histoire, je n’avais ni plan ni programme sur ce qu’allait être le livre. J’ai écrit au fur et à mesure que m’apparaissaient des situations et des personnages. En ce sens cela a été un livre intéressant pour moi car il résulte d’une espèce de dialogue entre ma foi, mes connaissances historiques, et ce que je pensais que diraient les Apôtres ou les Saints, et Jésus lui-même (Bien que Jésus, logiquement, ait toujours un traitement très spécial).

Dans la ligne du rêve de Martini ?

- Oui. Cette année, moi, d’une façon privée, je commémore Vatican II. Et ce livre est une autre manière de commémorer le Concile, auquel est dédié le livre. Parce que, en lui, apparaît une ecclésiologie, de sorte que l’Église soit dans le monde, que je n’invente pas. Tout est commenté dans Vatican II. Aucune des affirmations, présentations, discussions, n’est innocente. Tout a un cadre, qui est Vatican II.

Toutes les interpellations que fait Jésus, comme les autres grands personnages, sont basées par conséquent sur le Concile?

- je crois que Vatican II est basé sur ce que nous croyons que voulait Jésus et qu’affirmait Jésus. Je ne dis pas que Jésus se base sur le Concile Vatican II, c’est bien clair, parce que cela n’aurait pas de sens. Mais oui, je crois que l’image, le projet et l’idée du pouvoir de Vatican II sont évangéliques.

Et qu’est ce que fait Jésus, face au Vatican? Il se scandalise, il est horrifié, il se résigne ?

- Jésus n’arrive pas à apparaître dans le Vatican et c’est ce qui provoque chez les cardinaux une grande surprise, jusqu’à un malaise chez quelques uns ; et Benoît XVI prend conscience de ce que quelque chose ne va pas bien et que s’ils veulent se retrouver avec Jésus ils doivent aller à la périphérie et commencer à prier dans un couvent de petites sœurs.
Il y a un jeu qui m’a été nécessaire. Je n’osais pas mettre des paroles sur les lèvres de Jésus, seulement le minimum possible. Et ce minimum possible ce sont les paroles de l’Évangile. Alors ce que je prévois, c’est que la rencontre avec Jésus (de la part du Pape, des fidèles, des religieux…) provoque en chaque personnage immédiatement un examen de conscience (qu’est ce qu’il fait, comment il se comporte, etc.) et une remise en cause .
Parfois, j’ai éprouvé de la jouissance en écrivant, et une scène qui me paraît particulièrement curieuse est celle où pour la première fois ils apprennent que Jésus est apparu dans une paroisse de la périphérie de Rome, et que le Pape convoque immédiatement les cardinaux. Dans la précieuse salle du Consistoire ; le Pape est là, à la tête de la table, et les cardinaux, tous vêtus de pourpre autour. C’est là qu’ils montrent leurs différentes postures. Le Pape voyant que devant une surprise si grande, il n’y a pas de possibilité d’une réaction tranquille et immédiate, leur dit de prier pendant deux heures et de se retrouver là après. Et deux heures après, quand ils se sont tous retrouvés, tous les cardinaux sont vêtus d’une soutane noire, sans petite cape, anneaux, ni rien. Parce qu’il me semble que, si moi j’étais un cardinal, vêtu de pourpre, etc. et qu’on me disait que le Seigneur est là et que je vais le rencontrer, je l’enlèverais rapidement. Ce serait une chose instantanée.

Cela veut dire, que dans le fond, nous savons tous parfaitement que c’est ce que nous demanderait Jésus ? Les grands cardinaux aussi réagiraient à cette interpellation ?

- Il y a quelque chose de très clérical qui se remarque beaucoup au fur et à mesure que tu montes dans l’échelle du clergé. Sans nous en rendre compte, après toutes ces années à porter l’Église, à s’adresser aux croyants, etc. nous croyons que le Saint Esprit nous l’avons dans la poche, et que le Christ est naturellement ce que nous disons car nous sommes les interprètes du Christ. Cela peut être vrai dans un certain sens, mais c’est très dangereux, parce qu’il arrive un moment où l’on peut avoir la tentation d’interpréter comme parole du Christ nos propres désirs. C’est très facile pour un cardinal qui a consacré toute sa vie à le servir de penser qu’il L’a servi comme Il le veut. Mais dans le livre il y a une discussion entre deux cardinaux précisément pour cela, l’un dit à l’autre qu’il arrête la voiture, que, « comme Il veut », ils devraient être beaucoup plus humbles.

Le livre présente aussi la discussion sur si le Pape est le vicaire du Christ ou si ce sont les pauvres.

- Oui, c’est un très beau thème. Je ne suis pas ecclésiologue, mais j’ai consacré de nombreuses années à l’histoire et ce thème apparaît aujourd’hui, avec la démission de Benoît et avec le nouveau Pape. Le « vicaire du Christ » est une dénomination très ancienne qui a été d’abord donnée à tous les pauvres. La vraie image du Christ c’étaient les pauvres. Puis tous les prêtres se sont appelés vicaires du Christ parce qu’ils célébraient l’eucharistie ; et ensuite le Pape l’a assumé comme titre propre. Naturellement quand on disait que les pauvres étaient vicaires du Christ, on ne disait pas qu’ils étaient le Christ. C’était un titre de parabole dans un certain sens. Alors que, sans nous en rendre compte, depuis des siècles le vicaire du Christ semble être le successeur du Christ. De fait, cette équivoque existe chez beaucoup de gens (ndt : Étonnante réflexion, car sans être des savants nous savons que le Pape est le « successeur de Pierre » et pas du Christ). Dans le livre cela apparaît quand Santiago (ndt je suppose que c’est le prénom d’un personnage moderne et pas l’apôtre) dit « mais si vous êtes le successeur du Christ ». Et alors un autre cardinal splendide lui dit « ayez du bon sens, le Christ n’a pas de successeur ». Ce sont des titres qui ont répondu à des époques dans lesquelles ils ont eu une interprétation beaucoup plus basse, plus commune, en ce sens élémentaire de représentation ; mais qui maintenant sont pris d’une manière presque littérale. Et c’est là que cela commence à être dangereux.
Parce que nous sommes au bord de la papolâtrie?

- Evidemment. Ou de la candeur. Mais la candeur qui est très saine comme vertu humaine, si elle passe à la théologie est dangereuse. Je me rappelle qu’un homme m’a dit (comme beaucoup de personnes l’ont dit aussi) « mais comment le pape va-t-il démissionner si le Christ l’a élu directement ? » C’est une idée très simple, mais, comment l’Esprit Saint a-t-il pu choisir tant de Papes indignes, comme il l’a fait ? Que se passe-t-il pour qu’il en choisisse certains et pas d’autres ? .. Quand on concrétise jusqu’à l’extrême on se plante.

Vous courrez le risque qu’on vous appelle iconoclaste ou démagogue à cause de ce livre ?

- Dans un certain sens la Vierge de Lourdes a touché ce livre (ndt : Rien que cela !). Quand il est sorti, le Pape avait déjà annoncé sa renonciation mais le livre était terminé depuis un mois déjà avant que quelqu’un ait soupçonné qu’un Pape pourrait démissionner. …. Et Benoît XVI qui est un homme perspicace, démissionne parce qu’il réalise que le fait que le Christ n’aille pas au Vatican est un indice clair de ce que quelque chose ne va pas bien. Que le Vatican ne va pas au Christ .
Lui, à qui durant son pontificat, ont été ajoutés tant d’habits, tant de dentelles et tant de choses, décide de simplifier, d’aller voir le Christ en soutane noire ; et c’est ma forme à moi de dire que tout cela ne fonctionne pas. Alors il démissionne et il s’en va du Vatican, mais avant de le faire il prend des mesures très fortes qui sont celles du Vatican II : un synode permanent pour gouverner l’Église… Alors, si mon livre était sorti et qu’il n’y ait eu ni la démission de Benoît ni l’arrivée du Pape François, il aurait été considéré comme intolérable pour beaucoup.

On vous aurait envoyé au bûcher? ( !!!)

- Oui, évidemment. Mais il est arrivé que Benoît a renoncé et qu’a été élu un Pape dont la première chose qu’il a faite c’est de dire aux journalistes : « comme j’aimerais une Église pauvre et des pauvres ». Puis il a convoqué huit cardinaux (bien que le premier travail pour lequel il les a convoqués ne soit pas la réforme de la curie mais qu’ils l’aident à gouverner l’Église). Cela aucun Pape de l’histoire ne l’a demandé. Le Consistoire n’était qu’un conseil. En conséquence, toute la charge révolutionnaire, d’une certaine façon, a disparu de ce livre, qui s’est transformé (non pas en quelque chose de prophétique, parce que cela me paraît être une plaisanterie), mais effectivement en porte-voix du désir et de l’opinion de très nombreux chrétiens.

Nous avons toujours dit que le changement n’était pas possible parce que, les cardinaux étant nommés par Jean-Paul II et par Benoît XVI, ils allaient choisir « le plus que pareil ». Cependant il s’est produit une rupture. Ne vous semble-t-il pas que le sommet a repris le désir des bases ? À quoi croyez-vous qu’on le doit ?

- Il y a un motif (il n’est pas pervers de notre part de le commenter, c'est authentique) de dire que, dans une société aussi verticale et aussi centralisée (qui ne l’est pas comme cela peut l’être dans le Gouvernement d’une nation, mais avec une raison spirituelle forte de cette centralisation et de l’obéissance) que l’Église, tout mouvement du Pape arrive à toute l’Église comme une cascade et est accepté. Il pourra y avoir plus ou moins de réticences, mais l’Église comme tel, l’accepte. Est-ce cela veut dire que tous sont d’accord ? Sûrement pas. À certains, cela ne leur coûte pas de changer, à d’autres oui, mais ils obéissent…Les cardinaux qui peuvent être archevêques de Tombouctou, ou de la Paz ou d’ailleurs, donc des cardinaux qui ne vivent pas la situation romaine, imposent ce qu’ils commandent depuis Rome. …
Quand un Pape meurt, avec tout son prestige, apparaissent spontanément les voix authentiques. Il se passe la même chose quand meurt un cardinal dans un diocèse qui avait été très centralisé. Et où apparaissent les sentiments authentiques en premier, ce sont précisément chez les cardinaux.

Quelle est la sagesse de l’institution ecclésiastique qui, juste au moment où elle touchait le fond ressuscite comme l’oiseau phénix (à partir du conclave et de l’élection de François), en 15 jours? L’Église a-t-elle une capacité que n’ont pas d’autres institutions (comme les partis politiques) qui sont aussi en crise ?

- Bon, il y a un motif qui me paraît très important, c’est qu’à ce moment de toucher le fond, l’immense majorité n’a pas parlé pour des intérêts personnels, mais avec une immense liberté (!!), en pensant à ce qu’elle considérait comme meilleur pour ses communautés et ses églises. Les Italiens sont trop maffieux (ndt : sic !) pour être unis en tout, mais supposons qu’ils firent tous bloc et qu’ils votèrent pour Scola, par exemple. Peut-être en a-t-il été ainsi pour une partie importante d’entre eux, mais les autres ont pensé que l’Église avait touché le fond. Il me semble très clair qu’il était très important de choisir un évêque non européen. Parce que nous les Européens nous pouvons être ouverts ou ne pas l’être, et nous pouvons même être révolutionnaires mais nous n’avons pas le sentiment du Tiers Monde, de la pauvreté vécue, de l’ignorance, d’un christianisme populaire et étendu…Nous sommes beaucoup plus intellectuels … Pour cela un Pape non européen, quel qu’il soit, était nécessaire. Le jésuite Bergoglio a pu être comme tel très conservateur, ou très dur quand il était provincial, mais comme évêque, il a été sensible à un peuple pauvre, nécessiteux et avec un grand besoin de proximité religieuse. Il est clair que c’est ce qu’ont demandé les cardinaux. Et alors que 80% des croyants ne sont pas en Europe, ils n’ont que 50% de cardinaux.
Je me demande pourquoi, pour les gens les plus simples et ceux qui étaient le plus loin de l’Église (ou à la limite) le Pape François est bien tombé. J’ai beaucoup d’amis professeurs de différentes facultés, qui avant n’abordaient pas le sujet et maintenant parlent très naturellement du Pape. « Il est simple », « il vaut la peine ». Ils disent des choses comme cela. Et ils le disent alors qu’il n’a quasiment rien fait jusqu’à présent. Mais chaque geste qu’il a fait donne la possibilité d’une Église plus simple, abandonnant toute la prosopopée (ndt: figure de style qui consiste à faire parler une abstraction, par exemple l’un des chats du cardinal de Richelieu) de la Renaissance.
L’Église est l’unique monarchie qui garde les formes de la monarchie absolue. Et nous aimons, nous les gens, voir parfois un fol opéra ou voir une cérémonie vaticane absolument hors du temps, mais une fois terminée le spectacle nous nous rendons compte qu’il y a quelque chose qui ne pas marche bien. Qui ne touche plus.
Une anecdote du livre raconte qu’assistent à une messe concélébrée par des évêques à Saint Jean du Latran rien moins que Tertulien et Cyprien de Carthage. Les deux étaient africains mais ne se connaissaient pas (ndt :ce choix de l’Afrique n’a pas été fait pas hasard !). Dans mon livre ils font connaissance à Rome où ils assistent à une messe où ils voient quelque 40 évêques et le cardinal qui célébrent tous avec la mitre. Il n’y a rien d’aussi pompeux et capable de te faire avoir le mal au cœur dans la liturgie catholique que le mouvement des mitres des cardinaux. Alors Tertulien, qui ne connaissait pas ce système, demande à Cyprien, si cela ne lui rappelle pas les cérémonies égyptiennes. Et il dit : « Oui, mais celles-là bougent plus encore ». Et ce qui est certain c’est que cela semble une chose peu sérieuse qu’en l’an 2013 un groupe de messieurs âgés et responsables marchent en jouant avec une mitre à la messe. Et c’est toutes ces choses que le Pape a supprimé dans les premiers jours.
Même à Fellini, avec toute l’imagination qu’il avait, il ne serait pas venu à l’idée de photographier un Pape assis au milieu des gens qui avaient été à sa messe. Comme un simple fidèle. Et cette image, François nous l’a donnée il y a quelques jours, de la chapelle de Sainte Marthe. Si nous pensions de manière simple, en oubliant que durant des centaines d’années c’est ainsi que cela s’est fait, nous verrions clairement que ce que les croyants célèbrent c’est la venue de Dieu, non d’un livre qui parle de Dieu, ni d’un concept. Si Dieu est sur l’autel, qui ose s’asseoir sur un trône, séparé des autres ? Nous disons seulement que Dieu est présent mais nous ne le prenons pas au sérieux.

Il y a quelques mois, quelque chose comme cela paraissait impossible ? Il semblait que l’horizon était bouché ?

- Oui. De fait, il y a une trêve dans le monde des médias, de la part des gens et des journaux les plus anticléricaux. Une trêve d’expectative. C'est-à-dire, nous avons oublié la pédérastie, le Vatileaks, l’IOR…parce que nous pensons tous que pour la première fois il y a une possibilité de changement. Et le changement n’est pas dans la personne, mais dans une façon d’être dans l’Église et dans la Société. Pour cela pour moi la photographie du Pape tranquillement assis avec les gens normaux ou avec les gardes suisses sur le même banc, a beaucoup plus de force. Parce qu’elle représente une société de frères.
Dans le christianisme il y a une figure fondamentale qui est celle du témoignage. Le témoignage peut être seulement donné par une parole ou peut se donner comme Sœur Teresa de Calcutta et tant d’autres encore. Le Pape peut lancer une encyclique très longue sur la charité (!!!) mais si ensuite on ne peut pas être avec lui et qu’il semble lointain, même s’il ne le veut pas, c’est purement de la parole.
Trois jours après l’élection de François, j’ai pris un taxi à Rome et j’ai demandé au chauffeur comment lui apparaissait le nouveau Pape. Il m’a répondu quelque chose de génial : « Il me semble comme un des nôtres, je le comprends complètement ». Par contre l’autre jour un ami prêtre m’a dit : « Oui, toutes ces choses sont bien…mais ce n’est pas un théologien ». Je lui ai répondu, alors, s’il considérait que le Christ avait été un théologien ou non.

Croyez-vous que le changement de style qui se produit au Vatican arrive aussi en Espagne ? Croyez-vous qu’il va y avoir des mouvements ou des repositionnements dans ce sens ?

- Oui. En Espagne. Je n’en connais pas tant, mais je sais qu’à Rome les dentelles sont en train de disparaitre. Cela paraît quelque chose sans importante, mais Benoît XVI - sans doute entrainé par un maître de cérémonie qui s’est avéré néfaste pour lui (!!) apparaissait chaque jour plus déguisé, avec plus de choses encore. Ils lui ont mis une croix qui n’était pas celle de Paul VI du Concile, ni celle de Jean Paul II, mais une du siècle passé etc.
On a remarqué, on remarque déjà, bien que ce soit encore tôt, que des gens qui jusqu’à hier pontifiaient en toute sécurité sur des aspects absolument sans consistance, maintenant et d’un coup se montrent beaucoup plus prudents. Des gens qui jusqu’à hier ont commandé commencent à se rendre compte qu’ils sont finis. Parce qu’il y l’idée que c’est en train de changer. Mais on ne pas non plus être naïf: un milliard de personnes, 5000 évêques, 200 000 curés, 300 000 religieuses… Nous ne pouvons pas penser que les changements de structure vont avoir lieu sous ce pontificat.

Ce qui semble par contre évident c’est que nous entrons dans un cycle réformiste après 35 ans de cycle conservateur ? Le balancier va-t-il revenir un peu au centre ?

- Sans doute. L’Église est une institution beaucoup plus plurielle qu’elle ne paraît, à tous les niveaux. L’étroitesse d’esprit, souvent, plus qu’à des intérêts personnels, est dûe à des motifs théologiques. Par exemple la dernière interprétation de Benoît XVI du Concile, qui a été faite deux jours avant qu’il s’en aille, durant 45 minutes devant les cardinaux qu’il avait réunis. Elle m’a laissée abasourdi : il n’avait même pas une note et il a fait une belle présentation de Vatican II. Il a dit qu’il y avait eu deux Conciles : un de la foi et un autre, celui des journalistes. Benoît en est venu à dire que le Concile des journalistes a eu beaucoup de force et qu’il est arrivé à obtenir que les séminaires et les noviciats se vident. C'est-à-dire que lui, avec son histoire, il a toujours clairement montré sa forte méfiance sur Vatican II en ce qui concerne ses conséquence. Et cette méfiance de Benoît XVI a protégé énormément de gens dans l’Église pour insulter, marginaliser et oublier Vatican II et ce qu’il signifiait. Et pour revenir à des formes de piété et de gouvernement préconciliaires. En Espagne et à Madrid il y a beaucoup d’exemples. A l’inverse, le Pape (François) dès le premier jour a parlé très fort en faveur du Concile

Est-ce à dire que la révolution avait déjà été inventée au moment du Concile Vatican II ? Il s’agirait alors de revitaliser tout cela ?

- Exactement. Le Pape François a une belle phrase qui dit : « Certains qui disent parler du Concile Vatican II le font seulement pour lui élever un monument et l’oublier ». C’est très fort mais très réaliste. C’est pourquoi je crois que quelques aspects surtout ecclésiologiques de Vatican II vont avoir lieu aujourd’hui d’une manière clair.

- On va le laisser faire?

-
Eh bien, c’est une question que s’est faite dans l’histoire avec les grands rois et avec les grands politiques, à ceux que souvent leur propre parti a abandonnés au milieu. On ne peut enlever « le parti » (la curie) au Pape, mais elle peut lui faire la vie impossible. C’est vrai parce que la curie est un mastodonte et le Pape est une personne unique. Que peut-il faire, sortir sur la place pour crier ? De la curie, on dit du mal depuis 700 ans, comme de toute administration centrale, mais je crois qu’on peut dire en toute honnêteté que nous avons vécu 15 ans sans gouvernement de l’Église. Lors de ses derniers cinq ans de vie, Jean-Paul II aura donné une image splendide de sainteté et d’acceptation de la douleur, mais il n’a pas gouverné l’Église. On pouvait en déduire que Benoît non plus n’allait pas gouverner l’Église car il avait été 23 ans à la curie et il ne s’était jamais intéressé à la curie, mais il se consacrait à la tâche que lui avait confié le Pape et il fut un grand inquisiteur (dans le sens non nécessairement péjoratif du terme). Dans l’Église comme dans les grandes sociétés, quand il y a une absence de pouvoir, un autre agit. Donc il est clair qu’une partie de la curie a gouverné, et que pour cela il y a eu des affrontements, etc. C’est pourquoi ce nouveau Pape qui vient de Buenos Aires et qui ne sait pas beaucoup de choses sur la curie a besoin de quelques dix personnes de toute catégorie, sur lesquelles il puisse compter, qui connaissent la situation et qui sont en accord avec lui. Cette sélection est très importante. Ce groupe de cardinaux va représenter la voix des églises à Rome.

Croyez-vous qu’il va y avoir une espèce de décentralisation ?


- Bien sûr. Le fait de nommer ce petit synode permanent représente la possibilité que ce conseil de 8 cardinaux se transforme en quelque chose de plus stable, comme le voulait Vatican II.

Le Synode des Évêques qui resta seulement délibératif et n’arriva jamais à être consultatif ?

- Exact.

Comment allons-nous noter ces changements en Espagne? Croyez-vous qu’il va commencer à y avoir un nouveau type d’évêque, à partir des nouvelles nominations? Croyez-vous que la nouvelle orientation du Vatican va se noter déjà dans les successions de Madrid et de Barcelone ?

- Bon, je n’ai été prophète qu’avec le livre, mais il y a une chose qui me parait probable, on doit décentraliser les diocèses. Il n’est pas pensable que Rome ne soit pas aidé par les évêques du monde et que les évêques restent comme des satrapes sans collaboration plus directe et plus efficace des prêtres.
Quant au choix des évêques… nous sommes toujours dans un jeu où nous ne savons pas quelle option est la meilleure, parce que cela va d’un extrême à l’autre: quand c’est Rome qui nomme, nous disons que c’est un désastre parce que Rome ne connaît pas ; mais quand Rome nomme quelqu’un d’Espagne nous disons que c’est pire encore. Nous devons arriver à un équilibre. Il faut plus de participation dans le choix des évêques. Ce n’est pas possible, ni bon, que l’on continue à faire comme jusqu’à aujourd’hui, à travers une seule personne.
(…)

Pensez-vous, alors, que commence un printemps ?

- Oui. J’ai l’intuition que la force du Pape est dans ce qui s’est dit dans les réunions des cardinaux. Là tout est apparu : le malaise de la curie par rapport à la banque du Vatican, les relations des évêques avec la curie, du centre avec la périphérie, des églises. Si nous avions un registre de ce que les cardinaux ont dit dans ces réunions, nous pourrions comprendre beaucoup mieux ce qui va se passer dans ce printemps.

- Et que prévoyez-vous qu'il va se passer? Combien d’années opérationnelles crois-tu que va compter le Pape, en tenant en compte son âge ?

- Le Pape a 76 ans, c’est beaucoup, mais en cinq ou six ans il peut faire beaucoup de choses.

Mais Benoît a mis une date de caducité à la papauté.


- Bien sûr, la renonciation d’un autre ne nous surprendra plus. Tout Pape désormais acceptera la charge avec l’idée que, quand il n’aura plus de forces, ou quoi que ce soit d’autre, il peut y mettre fin tranquillement et l’on peut passer à un autre.

- Pourrait-on imiter, par exemple, le modèle de la vie religieuse dans lequel les prieurs commandent durant 6 ou 12 ans et ensuite reviennent à la base, comme un frère normal ?
Je dois confesser que le seul affrontement que j’ai eu avec deux cardinaux (alors que je venais d’être ordonné prêtre), a été causé par le fait qu’il m’est arrivé de dire que le cardinalat devait être ad tempos. C'est-à-dire, tu es l’archevêque de Barcelone et tu es cardinal, mais le jour où tu quittes le diocèse de Barcelone tu cesses d’être cardinal. Et la même chose avec l’épiscopat et le sacerdoce.
Nous savons tous que l’ordination imprime un caractère, mais cela ne signifie pas que de force tu doives exercer comme prêtre ou comme évêque jusqu’à ta mort. Certes pour les évêques déjà ils cessent leur charge à 75 ans. Et en ces temps de difficultés, de manque de vocations, pourquoi ne pas dire à un homme mûr qu’il soit prêtre durant 6 ans de sa vie, en se consacrant à sa communauté, etc. ? Je leur ai laissé ces questions et ils se sont scandalisés, mais ce qui est sûr c’est que Benoit XVI a rompu avec le tabou du temps. La communauté chrétienne avait identifié la sacralité de la personne avec la pérennité de la charge. Le Pape jusqu’au bout, les évêques jusqu’au bout, les abbés jusqu’au bout, le général des jésuites jusqu’au bout…

Ils ont été les premiers qui ont rompu cette dynamique (ndt: les jésuites?)

- Oui, et ensuite ils l’ont tous rompu. L’unique qui reste c’est l’évêque de l’Opus Dei, qui est encore pour toujours (ndt: l’Opus Dei est une autre bête noire des progressistes !) Mais cela arrivera aussi parce que c’est imparable. Au moment où tu rompts le « ad tempos » tu redimensionnes un peu le sacré. La fonction peut avoir une certaine dimension de sacralité (par exemple, celle de l’évêque, comme centre de communion du diocèse) mais la personne non. À partir du moment où la personne cesse sa fonction, c’est un chrétien, qui en plus se retire comme pour prier pour tous, c’est magnifique. J’ai proposé aux évêques et au Pape qu’ils suivent l’exemple. Ils peuvent quitter leur diocèse et se consacrer à une autre chose, mais ils peuvent aussi se retirer dans un monastère, ce qui serait un exemple splendide pour l’Église.