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Autour de la renonciation de Benoît XVI

Une lointaine (et prophétique?) information de Sandro Magister. La colère d'Andrea Tornielli. Et le "scoop" d'Antonio Socci, qui s'interroge sur sa "validité canonique" (13/2/2014)

Préambule (et retour sur une faute de traduction)

Il y a trois jours, je traduisais un article d'Antonio Socci, intitulé "Qui a poussé Benoît XVI à partir?"

Dans le paragraphe intitulé "L'attaque occulte", l'auteur évoquait un "journal des votes du Conclave" écrit par un cardinal anonyme, paru dans la revue de géopolitique - de gauche! - Limes, et visant à déligitimer le Pape nouvellement élu. Et il citait un billet de Sandro Magister (chiesa.espresso.repubblica.it) datant du 7 octobre 2005, soit moins de 6 mois après l'élection de Benoît XVI. Cet article n'est pas traduit en français, mais avec le recul de 3 jours, il me semble extrêment important.

Sandro Magister mettait en doute la fiabilité dudit "journal", à partir d'erreurs factuelles qu'un cardinal n'aurait pas pu faire. Et il poursuivait:

Basta questo svarione a far dubitare dell’attendibilità “rigorosamente storica” del diario. Il seguito della lettura suggerisce, piuttosto, che l’”intenzione” di pubblicarlo sia stata molto più militante: mostrare che la vittoria di Ratzinger non è stata per niente “plebiscitaria”, che è stata in forse fino all’ultimo, che è stata indebitamente favorita dal suo essere decano dei cardinali, che i tempi sono maturi per un papa “nuovo”, magari latinoamericano, e che a questi suoi limiti Benedetto XVI dovrebbe rassegnarsi.

[Cette erreur grossière suffit à jeter le doute sur la fiabilité «rigoureusement historique» du journal. La suite de la lecture suggère plutôt que l'«intention» de le publier était bien davantage militante: montrer que la victoire de Ratzinger n'était pas du tout un «plébiscite», qu'elle était incertaine jusqu'à la fin, qu'elle a été indûment favorisée par le fait qu'il était doyen des cardinaux, que le moment était venu pour un pape «nouveau», peut-être latino-américain, et que pour ces limites, Benoît XVI devrait DÉMISSIONNER]

[Ma traduction était aussi une erreur grossière, qui changeait complètement le sens de l'ensemble: rassegnarsi se traduit en italien par "se résigner" quand il est suivi de la préposition "à", sinon, il se traduit par "DÉMISSIONNER"]

     

La colère d'Andrea Tornielli

Dans son blog hébergé par La Stampa, "Sacri Palazzi", Andrea Tornielli écrit aujourd'hui un article au vitriol (http://2.andreatornielli.it/?p=7270), où il s'en prend sur un ton qu'on peut trouver menaçant, et surtout très éloigné de la charité chrétienne (compte tenu de sa position d'éminent "vaticaniste", et de porte-parole officieux du Pape François, il ne peut guère aller plus loin):

Pour le premier anniversaire du geste historique du renoncement de Benoît XVI, le premier pape deux mille ans d'histoire de l'Église à renoncer à la papauté pour raison d'âge, on a lu beaucoup de commentaires et d'analyses. Dans certains - j'avoue que je les lis en frissonnant - se profile presque l'idée d'une dyarchie, voire même le fait que le «vrai» pape reste Ratzinger. Et malheureusement, je ne me réfère pas seulement à la galaxie des adeptes des prophéties - ou des pseudo-prophéties - apocalyptiques, mais également à des signatures dont personne n'aurait imaginé des positions de ce genre il y a à peine un an. Sans parler de ceux qui, aujourd'hui qu'ils ne se sentent plus "confirmés" dans certaines de leurs visions, batailles culturelles, stratégies pastorales, présentialisme de premiers de classe et schémas mentaux, à la place d'un salutaire examen de conscience finissent par faire les nostalgiques , opposant - plus ou moins subtilement - le Magistère de Benoît à celui de François.

Le jour anniversaire de la renonciation, une grande leçon d'humilité et d'amour pour l'Eglise est justement venu de Benoît XVI. Le théologien rebelle Hans Küng a en effet révélé qu'il avait reçu une lettre dans laquelle, entre autres choses (Le Pape émérite m'a écrit ), Ratzinger parle ainsi de sa relation avec François: «Je suis reconnaissant d'être lié par une grande convergence de vues et une amitié de coeur au pape François . Aujourd'hui, je considère que c'est mon unique et dernier devoir de soutenir son pontificat dans la prière».

Une grande leçon pour tout le monde, à commencer par les soi-disant «ratzingériens», par ceux qui «utilisent» leur propre image du magistère de Benoît (après l'avoir dans de nombreux cas réduit à leurs propres schémas) pour l'opposer plus ou moins ouvertement à celui de François.
Je suis convaincu qu'aujourd'hui, être vraiment «ratzingériens» signifie suivre Benoît dans cette «unique et dernier devoir» de soutien à son successeur: que ce soient les cardinaux, les évêques, les prêtres, les religieux et religieuses, les théologiens et les responsables de mouvements et associations, les directeurs des hebdomadaires catholiques , les blogger, etc. etc ...

Indépendamment du fait que le qualificatif de "ratzingérien" semble presque sonner ici comme une insulte (quid des bergogliens, dont on ne parle jamais, mais qui sont les seuls à s'exprimer aujourd'hui???), renvoyant aux "papistes" que d'aucuns dénonçaient sous Benoît XVI, on voit bien que Tornielli a des comptes à régler.
Mais appeler au secours, pour étayer ses arguments (ou leur absence) le menteur patenté et ennemi déclaré de Joseph Razinger qu'est Hans Küng, c'est un peu juste. Bien sûr que Benoît XVI prie pour son successeur. Bien sûr qu'il veut à tout prix éviter un "schisme", surtour s'il pouvait s'en sentir indirectement responsable. Mais le dernier à pouvoir en témoigner, et surtout à qui Benoît XVI aurait fait des confidences, c'est bien ce Küng de malheur.

Mais revenons à Tornielli: qui sont-ils, ces mauvais catholiques « qui, aujourd'hui [..] ne se sentent plus "confirmés" dans certaines de leurs visions, batailles culturelles, stratégies pastorales, présentialisme de premiers de classe et schémas mentaux»?
Je suppose qu'il y a parmi eux son confrère Ferrara, et les premiers signataires de son Appel au Pape François , au premier rang Mario Palmaro et Alessandro Gnocchi. .
Mais surtout, Antonio Socci, et son second article sur les zones d'ombre autour de la renonciation de Benoît, après le premier, Qui a poussé Benoît XVI à partir?.

On ne peut nier qu'il apporte à nouveau des éléments troublants (*) - à lire bien sûr avec prudence - d'autant plus que les faits de février 2013 ont donné raison a posteriori à ses révélations de 2011.
Ajoutons que, compte tenu de sa notoriété parmi les "initiés", il fait preuve d'un certain courage (et donc d'une force de conviction) en publiant ce qui suit: certains évoquent même le risque d'une "mort médiatique."

* * *

(*) Un autre fait troublant, qui n'est pas cité ici, car il semble "externe", c'est l'information que je rappelais ici: Il y a un an... (sur le "timing" du blocage des paiements par carte bancaire au Vatican

     

Antonio Socci sur la validité de la renonciation

La renonciation du pape Benoît n'est peut-être pas valide canoniquement
Source
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Le «retrait» de Benoît XVI - un an après - est teinté de jaune (giallo - jaune - est le mot italien qui désigne un roman à suspense, ou "un polar"). Parce qu'on voit émerger des «détails» qui imposent de s'interroger sérieusement au sujet de son effective validité canonique.
Je pars de ce dont j'ai été un témoin personnel.

À l'été de 2011, je reçois d'une source fiable la nouvelle: Benoît XVI a décidé de démissionner et il le fera après avoir eu 85 ans, soit à partir d'Avril 2012.
J'ai tout écrit sur ces colonnes le 25 Septembre 2011. J'ai été enseveli sous une avalanche de réponses méprisantes à la fois de l'entourage du Vatican et des vaticanistes. Arrivés au printemps 2012, l'un de ces vaticanistes fait à plusieurs reprises remarquer que ma prédiction ne s'est pas réalisée.
J'ai répondu que l'on était en plein dans la tempête Vatileaks et pour cette raison, le pape n'avait pas encore démissionné. En fait, le 11 Février 2012, à peine l'affaire Valileaks terminée, Benoît XVI annonce son retrait dramatique (il était encore dans sa 85e année).
Une fois encore, hier, les rosiconi (ndt: terme de patois romain désignant quelqu'un qui n'accepte pas sa défaite et attend sa revanche, qu'on pourrait peut-être traduire par "revanchard") de «Vatican Insider» écrivaient: «Au fil des ans, sur les journaux italiens, Antonio Socci et Giuliano Ferrara ont parlé, pour des raisons différentes, de l'hypothèse que Joseph Ratzinger allait démissionner. Personne, cependant, n'a été en mesure de prédire le moment» .
Mis à part le fait que je rapportais une information, tandis que l'article de Ferrara, publié plusieurs mois plus tard, était une réflexion culturelle, dans mon article, le calendrier était très bien défini.

La confirmation de Bertone
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En outre, hier, le cardinal Bertone, dans une interview à «Il Giornale» révélait: "Le pape avait pris la décision depuis un certain temps, il m'en avait parlé au milieu de 2012» .
Puis il a décidé de retarder un peu la communication, à cause des nombreuses tempêtes qui étaient en cours. Mais la décision a été prise en Avril 2012. Comme je l'avais écrit.
A ce stade, je me suis demandé comment mes sources avaient fait pour savoir tout cela avec certitude dès l'été de 2011, deux ans avant? Qui et pourquoi quelqu'un était-il en mesure de connaître une telle chose?
Ou bien une personne proche du pape, ou bien un groupe de personnes qui l'avaient «négocié» avec lui, et obtenu. Eh bien, à l'été de 2011, les personnes proches du Pape ne le savaient pas. Donc y a-t-il eu des forces qui ont voulu cette décision et fait pression jusqu'à lui «arracher» une date?

Complot?
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Je ne pense pas que c'est une exagération complotiste, car, en plus des attaques externes très fortes qui ont marqué son pontificat, Benoît XVI a été contré très durement depuis le début, au sein du monde ecclésiastique: cela est évident, dès le document dans lequel un groupe de cardinaux anonymes, tout de suite après le conclave de 2005, enfreignait le serment sur l'Évangile, en diffusant un prétendu Journal des votes qui délégitimait Ratzinger et, concrètement, lui lançait le signal de démissioner. Préfigurant subtilement des événements qui par la suite sont vraiment advenus.
Cette délégitimation publique d'un pape à peine élu par des cardinaaux parjures, se cachant derrière l'anonymat, n'a pas d'égal dans l'histoire moderne de l'Église.
Il est possible de penser que de là se soit dévidée toute une stratégie hostile qui visait clairement à la démission du pape. Dans le livre «Attaque sur Ratzinger», en 2010, Tornielli et Paolo Rodari rapportent la déclaration d'un important cardinal qui, après Conclave de 2005, disait du pape Benoît XVI: «deux ou trois ans, cela ne durera pas plus de deux ou trois ans» (et il accompagnait ses paroles d'un geste des mains, comme pour minimiser).

Une note inquiètante
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Il convient de mentionner également la «note» inquiétante remise à Benoît XVI le 30 Décembre 2011 par le cardinal Dario Castrillon Hoyos, rapportant ce qu'un autre cardinal, Paolo Romeo, archevêque de Palerme, en Novembre 2011, aurait dit à plusieurs personnes au cours d'entretiens à Pékin.
Le cardinal Romeo, selon l'auteur du rapport, aurait «âprement critiqué le pape Benoît XVI». Enfin, «sûr de lui, comme s'il le savait avec précision, le cardinal Romeo annonçait que le Saint-Père avait seulement douze mois à vivre. Lors de ses entretiens en Chine, il avait prophétisé la mort de Benoît XVI au cours des 12 prochains mois» .
Ce document est sorti ensuite dans la presse en Février 2012 et il a fait sensation, mais il a été vite oublié, même par les médias (toujours superficiels). Dégradé au rang de bavardage de quelque distrait qui avait mal compris, imaginant des attentats et autres choses semblables.
Certes, ce rapport avait des aspects étranges, mais à la lumière de ce qui s'est réellement passé dans les douze mois suivants, peut-on dire que c'était juste une coïncidence que l'on ait prévu avec certitude la sortie de scène de Ratzinger?
A coup sûr, avec toute cette obscure agitation curiale, des déclarations, comme celle faite à chaud au moment de la démission du pape par le cardinal Sodano: «Un coup de tonnerre dans un ciel serein» apparaissent aujourd'hui peu crédibles
Sodano - qui était secrétaire d'État en 2005 et a été remplacé par Benoît XVI en 2006 - est aussi celui qui, comme doyen du Sacré Collège, a dirigé le nouveau Conclave de 2013. Il est l'homme fort de la Curie.

Le thriller (il giallo)
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L'histoire de la démission du pape Benoît XVI est de plus en plus mystérieuse. Et même embarrassante. Ce n'est pas un hasard si, à l'occasion de l'anniversaire du retrait, on a lu des choses surréalistes, comme la déclaration du cardinal Cottier qui a déclaré à l'Avvenire: «Avec une grande lucidité, il a mesuré ses propres forces et le travail à faire. Et il a décidé qu'il ne pouvait pas forcer la Providence».
Rester à son poste aurait été » forcer la Providence»? Et dans quel aide-mémoire de théologie seraient écrites de telles inepties, offensantes pour le pape Benoît XVI et même pour la Providence, qui n'est pas considérée comme capable de guider les vies humaines? Le conclave de 2005 serait-il allé contre la Providence?
Nous voici donc face à la question cruciale: celle sur la «renonciation» de Benoît XVI. Le 11 Février 2013, il l'a annoncée solennellement «bien conscient de la gravité de cet acte, en toute liberté».
Il n'est pas admissible de douter de ses paroles, et donc son geste fut un geste libre. Toutefois, pour obtenir une décision en ce sens, on peut faire pression de beaucoup de façons. Pas nécessairement en l'imposant directement.
Certains ont avancé l'hypothèse que le Pape avait senti le vent d'événements catastrophiques pour l'Eglise, que dans son cœur, il a cru pouvoir conjurer en s'écartant. Dans ce cas, il aurait pris sa décision librement, mais son retait serait-il valide?
Le problème de la validité canonique de sa démission est énorme. L'invalidité, en effet - selon certains canonistes - ne concerne pas seulement les cas de contrainte, elle est à discuter aussi dans d'autres cas.

Des signes significatifs
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Par exemple, on peut se demander si le pape dans son cœur, a mis dans sa décision le concours de sa volonté, autrement dit s'il s'est retiré - en plus qu'extérieurement - également intérieurement.
Cela semble une question aléatoire, mais dans les choses de Dieu, le cœur, que lui seul voit, est déterminant.
En effet, même pour les sacrements, ce prérequis est nécessaire. Dans la consécration de l'Eucharistie, il faut la matière, la forme et l'intention: s'il manque un seul de ces éléments, le sacrement est invalide (**).
Par exemple, si il n'y a pas l'intention intérieure du prêtre de consacrer, s'il formule les mots, mais n'a pas l'intention de consacrer, la consécration n'est pas valide.
Benoît XVI s'est-il aussi retiré intérieurement?

En plus du langage des mots, il y a aussi celui des gestes. Ce que nous voyons, c'est qu'il a choisi de continuer à rester «dans la cour de Pierre», de s'habiller en blanc, d'être appelé «pape émérite» et de continuer à être appelé Benoît XVI (signant ainsi).
Il a également refusé le changement de son blason qui le ramenait à la condition de Cardinal, gardant encore celui avec les clés de Pierre. Le Vatican a fait savoir que Benoît «préfère ne pas adopter un emblème héraldique expressif de la nouvelle situation créée par son renoncement du ministère pétrinien» (***) .
Nous savons que dans l'Eglise il y a aussi «le magistère tacite». C'est peut-être le cas.


Et certes, Benoît XVI est en accord avec François. Un beau mystère.
Antonio Socci
Libero, 12 Février 2014

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(**) Yves Daoudal n'est pas d'accord:
Ce n'est évidemment pas vrai. Sinon les fidèles ne seraient jamais assurés que la messe soit la messe. Or l'Eglise ne joue pas ce genre de mauvais tour aux fidèles. Pour que le sacrement soit valide il suffit que le prêtre soit un prêtre et qu'il prononce les paroles données par l'Eglise. Le fait qu'il dise les paroles canoniques suffit pour être sûr qu'il fait ce que fait l'Eglise, quelles que soient ses "intentions" subjectives. Les sacrements sont des faits objectifs, qui ne dépendent pas, heureusement, de la subjectivité du prêtre. Quand un prêtre, dans une église, prononce les paroles de la consécration en respectant le rituel, il a objectivement l'intention de faire ce que fait l'Eglise (et l'intention de l'Eglise supplée son intention personnelle au besoin).

(***) Voir ici: Pape émérite et lieux communs