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Le Pape et le monde: un terrain d'entente

Quand Obama cite François, nouveau modèle, nouvelle idole du monde. Un article de la revue américaine Politico (24/1/2014).

L'entente entre le Pape et le monde (en l'occurrence les USA, mais cela vaut pour l'ensemble de l'Occident) se déplace du terrain de la défense de la vie vers celui de l'économie et de la pauvreté, et il semble que le Pape lui-même glisse de la prédication vers la communication

     

Pape/USA: histoire récente

Alors que notre "président" fait aujourd'hui un aller-retour à Rome pour y rencontrer François, et que les media nous rebattent les oreilles du slogan "François rencontre François" (sous Benoît XVI, c'était le délicat "Quand Sarko drague les cathos"!!) , le 27 mars, le Pape recevra Barack Obama. Ce sera la seconde fois que ce dernier rencontrera un Pape, il avait été reçu par Benoît XVI le 10 juillet 2009 (tous les articles ici: benoit-et-moi.fr/2009-II).

A l'époque, on avait nettement l'impression que "des gens", côté Vatican et côté présidence américaine, cherchaient un "terrain d'entente", c'est-à-dire les sujets - encore d'actualité aujourd'hui - de la paix, la pauvreté, l'immigration... enfin, tout, sauf les principes non négociables.
Côté Vatican, l'OR s'était beaucoup dépensé en ce sens, il y avait même eu un article curieux de la revue aujourd'hui disparue 30 giorni, signé par le cardinal Cottier, gommant ou au moins relativisant toutes les divergenges (voir ici l'article très critique de Father Z).
Côté américain, Obama avait même accordé une interviewe à L'Avvenire et le site progrssiste NCR hébergeait une pétition... pardon, une lettre de solidarité dont on trouvera le détail ici.

La rencontre entre le pape et la famille Obama avait été formellement très correcte, très cordiale (rien à voir avec les indécentes clowneries sarkozyennes et sa suite de carnaval).
Mais au moment de prendre congé, le Pape avait envoyé un signal très clair au président américain, en lui remettant un exemplaire de Caritas in Veritate "relié en cuir", et, cadeau imprévu, mais message évident, une instruction émanant de la CDF, publiée en décembre 2008, sur "certaines questions de bioéthique", Dignitas personae.

Demain, avec un Pape François plus focalisé, nous répète-t-on, sur la pastorale que sur la doctrine, on peut redouter que le président américain ne cherche à faire ce que les médias font à l'échelle planétaire: jouer le Pape contre l'épiscopat. Un épiscopat conservateur, comme c'était rappelé dans cet article: Le cardinal Maradiaga... suite .

Si de Rome le Pape prêche l'attention aux pauvres et la nécessité de convertir les cœurs, en Amérique, les évêques écrivent à la Maison Blanche des lettres de fin de l'année dans lesquelles ils accusent le président de mettre en danger la liberté de pratiquer librement sa propre religion avec l'Obamacare.
Cette ligne est dûe au fait «que la grande majorité de l'épiscopat américain est conservatrice et est unie dans la défense des principes non-négociable» dit Magister.


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L'article qui suit est issu de la revue américaine "Politico Magazine", que je ne connais pas, mais que j'imagine (à la lecture de l'article) dans la mouvance dite "libérale".
L'auteur est Candida Moss, professeur de Nouveau Testament et Christianisme primitif à l'Université Notre Dame (1).
Par inattention, j'avais d'abord cru que l'article s'arrêtait au bas de la première page et trouvé qu'il ne justifiait pas son titre «Ce type pourrait enseigner au président Obama une ou deux choses».
Mais l'article se poursuit. Les conseils (par l'exemple) que le Pape pourrait donner au Président américain nous sembleraient sans intérêt à nous, Français... s'ils ne mettaient pas en évidence l'habileté du "système de communication" de François.
Du reste , l'auteur, faisant en apparence l'éloge sans réserve du Pape, n'est pas tout à fait dupe, comme en témoigne la dernière partie.
Oui, François pourrait bien être un génie politique, et surtout un génie de la communication.

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(1) On se rappellera qu'en dépit des positions pro-avortement d'Obama, cette Université avait suscité un certain scandale en lui décernant en 2009 le doctorat Honoris causa (cf. Magister, et surtout Americatho)

Le génie politique du pape François

«Ce type pourrait apprendre une ou deux choses au président Obama».
http://www.politico.com
(ma traduction)
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A la fin de l'année dernière, alors que le président Obama relisait le projet d'un discours qu'il devait prononcer sur les inégalités économiques, il l'a renvoyé avec une requête: Il voulait que le rédacteur de son discours ajoute une citation de la récente lettre du pape François à l'église catholique.

«Partout dans le monde développé, les inégalités ont augmenté», a déclaré Obama dans son discours le 4 décembre. «Certains d'entre vous l'ont peut-être vu la semaine dernière, le pape lui-même en a parlé longuement. Il a écrit: "Il n’est pas possible que le fait qu’une personne âgée réduite à vivre dans la rue, meure de froid ne soit pas une nouvelle, tandis que la baisse de deux points en bourse en soit une" (Evangelii Gaudium §53) ».

La rhétorique de la citation est subtile, mais dans l'exercice spécifique de vérifications politiques des noms, François est l'autorité amenée à donner de la crédibilité à la politique d'Obama.

Comparez cela à la relation d'Obama avec le pape Benoît XVI. A l'issue de sa visite au Vatican en 2009, Obama aurait déclaré qu'il se réjouissait d'«une relation très forte entre nos deux pays». Nos PAYS. Même s'il est vrai que le pape est le chef de l'Etat du Vatican, ce n'est pas vraiment son rôle principal. Dans le cas de Benoît, Obama reconnaissait seulement la parité en politique (!!), pas l'autorité morale.

Avec François, cependant, les choses sont clairement différentes. En le citant dans ce discours de décembre, Obama se réfère à François comme à un exemple moral et un modèle d'action de nature résolument temporelle. Ceci 50 ans seulement après que John F. Kennedy, qui devait bientôt devenir le premier et le seul président américain catholique, eût déclaré qu'il prendrait pas d'ordre du pape.

C'est là que réside le génie du pontificat de François: Il a convaincu le monde qu'il n'était pas un politicien et, ce faisant, il est sans doute devenu l'homme le plus influent politiquement dans le monde.

Plus tôt cette semaine, alors que le secrétaire d'État John Kerry, un catholique, se rendait au Vatican, il a remarqué, «Je sais que le Saint-Père anticipe la visite du président Obama ici, et le président a hâte de venir ici pour le rencontrer».
Les deux dirigeants ont beaucoup en commun.
Les deux élections ont été des premières historiques - Obama comme le premier président noir des États-Unis, François comme le premier pape de l'Amérique latine et le premier jésuite à occuper le trône de Saint-Pierre. Tous deux président des circonscriptions et des institutions profondément divisées, qui ont été en proie au scandale et à l'incompétence bureaucratique. Tous deux étaient initialement les chouchous des médias qui leur ont tracé un chemin improbable vers le pouvoir, et dont l'ascension a été annoncée comme l'avènement d'une nouvelle ère d'espoir.

Et pourtant, la cote de popularité du pape François est plus du double de celle d'Obama.

Le président Obama serait sage de parler politique avec François. Il pourrait être en mesure de cueillir quelques conseils.

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Tout comme Obama a commencé sa présidence au milieu de la crise financière mondiale, quand François a été élu pape en Mars dernier, il a pris les rênes en temps de crise. Son prédécesseur, Benoît, avait démissionné après seulement huit ans, devenant le premier pape à démissionner depuis Grégoire XII en 1415 (bla bla bla).

Les défis de François sont multiples: fréquentation en chute des églises en Europe et en Amérique du Nord; en Amérique latine, en Afrique et au Moyen-Orient, des questions urgentes comme la faim et de la persécution; et à travers le monde, un laïcat ébranlé par les scandales de pédophilie et profondément divisé sur l'importance relative des questions morales comme le mariage homosexuel et l'avortement par rapport aux problèmes sociaux comme la pauvreté et le vaste fossé qui sépare les pays riches du reste.

François a commencé son pontificat en s'affranchissant aux signes extérieurs de richesse et de privilège. Il refuse de vivre dans les luxueux (!!) appartements pontificaux, refuse de porter les vêtements pontificaux les plus ornés et conduit (?) une Ford Focus là où Benoît préférait une Renault sur mesure (?), une Mercedes et une BMW X5. Il est instantanément devenu le «pape du peuple», ou, comme Obama l'a dit, «quelqu'un qui met en pratique ce qu'il dit» (bla bla bla).

De façon peut-être encore plus dérangeante, François se définit lui-même comme un pécheur - un aveu conforme à la théologie catholique, mais rarement admis aussi honnêtement par les dirigeants de l'église - et refuse de reconnaître qu'il a un pouvoir sur les millions de son troupeau, et encore moins qu'il essaie de les manier . Son absence totale de vanité lui a valu une légion de fans.

Il y a de la puissance dans l'humilité. Dans The ritual Process, l'anthropologue culturel Victor Turner décrit comment les rituels de l'auto-humiliation servent celui qui s'en sert. Que ce soit par la vertu ou l'action, l'humilité nécessite un minimum de pouvoir social pour être efficace. Tout comme seuls ceux qui ont assez à manger peuvent célébrer le jeûne, seuls ceux qui ont un fort sentiment de soi peuvent idéaliser son abandon.

C'est le cas avec François. Bien que tout à fait sans arrière-pensée (?), le fait qu'il évite les pièges de son office renforce sa crédibilité sur les questions politiques. Quand François a pesé sur la possibilité d'une guerre en Syrie appelant les dirigeants du monde «à mettre de côté la poursuite futile d'une solution militaire» -les gens ont écouté. Il a transmis ses vues sur Twitter avec le hashtag #prayforpeace, et quand il a appelé à une journée internationale de jeûne et de prière, des dizaines de milliers de personnes ont participé.
Cela a été un succès retentissant, car il était crédible. Sincère. Et déjà politique. Dans le cas de François, le pouvoir non exercé est un pouvoir préservé.

Dans un entretien avec le magazine jésuite America, publié en Septembre, François a dit que l'Église n'a pas à parler tout le temps de mariage homosexuel et d'avortement. Ses déclarations, sauvagement et largement (jeu de mots:wildly and widely) rapportés, ont attisé les flammes de l'histoire d'amour entre François et le reste du monde et soulevé l'indignation des catholiques traditionnels déjà contrariés, qui avaient consacré tellement de temps à ces questions.
Mais les catholiques traditionnels n'ont pas pu rester en colère longtemps, car le lendemain François condamnait l'avortement comme «injuste». Depuis, il l'a décrit comme «horrible». Son langage est peut être plus doux que celui utilisé par les évêques des États-Unis lors de la dernière élection, mais c'est encore un rappel de l'enseignement traditionnel de l'Église sur le caractère sacré de la vie.

L'effet de la succession venant à point nommé de déclarations de François sur le sujet hautement diviseur de la théologie morale contemporaine? Selon un sondage CNN publié récemment, François bénéficie d'une cote de popularité de 88% chez les catholiques américains, avec 85% disant qu'il n'est ni trop ni trop libéral ni trop conservateur (autrement dit, le Pape est réduit à un homme d'influence dont on mesure la popularité par des sondages, comme un vulgaire politicien).

Ce n'est pas que François soit un centriste (c'était l'hypothèse de John Allen) ou qu'il néglige le message principal, c'est que son message principal est l'exercice de la charité. Et dans son cas, le medium est vraiment le message (allusion à la théorie de Marshall McLuhan ).

Il est rare en effet qu'une séquence d'informations ne contienne pas un exemple d'humilité personnelle de François. Plutôt que de célébrer la messe du matin en privé dans le Palais apostolique, François la célèbre dans la chapelle de la Casa Santa Marta, la modeste maison d'hôtes où il a établi sa résidence. Chaque jour, il donne une homélie improvisée à 50 personnes. Et même dans les environnements les plus prestigieux, il reste les pieds sur terre; juste cette semaine, il a invité les mères à allaiter dans la Chapelle Sixtine. Une touche personnelle qui vient tout naturellement.

Les discours prononcés par les papes - comme ceux faits par les présidents - sont généralement préparés avec soin et examinés par des collaborateurs pour éviter tout risque de mauvaise interprétation. Mais François est connu pour mettre ses notes de côté et parler sans texte; le fait que ce qu'il dit n'a pas toujours été contrôlé par des collaborateurs du Vatican donne à ses mots une couche supplémentaire de sincérité.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, Benoît XVI a dit à peu près les mêmes choses que François, mais son langage était à la fois plus réservé et plus dogmatique. Comme Obama (comparer les niveaux intellectuels de Benoît XVI et d'Obama, il faut oser!), Benoît était un ancien universitaire, introverti qui pouvait apparaître comme rigide et distant, et dont la réaction à la tête d'une organisation assiégée était de serrer les coudes et de courber l'échine.
En revanche, François - qui possède ce qu'un expert américain pourrait appeler le charme Clinton - est célèbre pour étreindre les enfants et prendre des selfies avec les jeunes. Il a gagné le surnom de la Photo-Op Pope, et les images les plus célèbres de lui - s'écartant de son chemin pour embrasser un enfant atteint de paralysie cérébrale, à Pâques dernier, bénissant un homme couvert de furoncles et prononçant un discours avec un petit enfant serrant ses jambes - communiquent son étreinte aux marginalisés. C'est un pape doué d'un talent pour la politique ainsi que pour les personnes.

François a l'habitude de rompre les protocoles de sécurité et de patauger dans la foule. Il y a même des rumeurs selon lesquelles il se faufilerait la nuit hors du Vatican pour rencontrer les sans-abri. Une des raisons pour lesquelles les papes ont cessé de faire des choses de ce genre est l'attentat contre Jean-Paul II en 1981 (c'est ce qui a conduit à l'introduction de la papamobile). L'empressement de François à aller au contact des gens prouve non seulement qu'il est un homme du peuple, mais qu'il est prêt à le faire ce malgré le risque à sa sécurité personnelle.

[Suit un court passage où l'auteur de l'article suggère à Obama de prendre des leçons sur le Pape pour le contact avec les gens]

Quel autre leader mondial a une telle clarté du message? Les paroles du pape sont appuyées par une conduite impeccable. Quand François met de côté ses notes sur le balcon à Saint-Pierre ou échange des poignées de main avec les foules, il y a quelque chose qui pourrait donner à réfléchir à Obama.
François est connu pour avoir accueilli les paroissiens après la messe à la petite église de Sainte-Anne Vatican comme un curé ordinaire (la fameuse messe le matin de l'inauguration du Pontificat). Et de cette position, toujours comme un simple curé qui dit la vérité au pouvoir, il peut faire des déclarations religieuses à écho politique, comme par exemple, condamner les riches Occidentaux d'être complicse de la mort des pauvre. Et il n'a même pas l'air trop moralisateur.

François, bien sûr, a l'avantage de l'expérience et d'avoir fait ses armes sur les marges de la scène mondiale. Avant son élection en tant que pape, le cardinal Bergoglio n'était pas le quasi-saint qu'il est aujourd'hui. Bien que les accusations n'aient pas été confirmées, certains l'ont accusé d'avoir collaboré avec les architectes de la «guerre sale» en Argentine; et politiquement, Bergoglio fait également piètre figure: tandis que les libéraux, à Buenos Aires, l'ont accusé d'avoir abandonné la théologie de la libération, un mouvement religieux fondé sur le marxisme - les conservateurs se sont plaints qu'il était trop axé sur le ministère social et pas assez sur la prédication de l'Evangile. Que le cardinal Bergoglio ait résisté à la tempête et se soit finalement transformé en ce Pape François universellement aimé ne peut qu'être encourageant pour un président qui chute dans les sondages.

François, qui a vu de première main comment la politique peut devenir violente, sait quand et comment utiliser le pouvoir. Et son exemple montre que même dans le déluge informationnel de l'ère moderne, il est possible de s'en tenir à incarner quelques grandes idées et de convaincre les gens de se rallier autour d'elles. Le président américain ne pourrait-il pas bénéficier d'un rappel de cela?