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Les questions d'A. Socci autour des "deux papes"

L'écrivain et journaliste italien poursuit ses investigations autour de la "renonciation" de Benoît XVI. Sans complotisme et - il faut le souligner - en toute loyauté au Pape François (17/2/2014)

>>> Articles précédents:
¤ Qui a poussé Benoît XVI à partir?
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Autour de la renonciation de Benoît XVI

Antonio Socci nous ouvre des pistes de réflexion, qu'il parsème de petits cailloux, et qui rejoignent les analyses de Paul Badde (Benoît XVI n'a pas renoncé ) et Angela Ambrogetti (Le renoncement prophétique de Benoît XVI ). L'acte de renonciation serait prophétique, en ce sens qu'il ouvre la voie à une nouvelle conception de l'exercice de la papauté.
Rejeter les interrogations que Socci a le courage de formuler, en les reléguant au rang de fantasmes venant de complotistes invétérés ou d'imaginatifs compulsifs (comme l'ont fait des journalistes, ou blogueurs, aussi éminents que Father Z ou Andrea Tornielli), c'est s'interdire de faire fonctionner sa raison - soit l'exact contraire de ce que nous a appris Benoît XVI, pendant les huit ans de son Pontificat.
Venant d'un esprit aussi précis, aussi rigoureux, aussi "scientifique" que celui de Benoît XVI, en plus certainement très attaché aux formes, en ce qu'elles contribuent à structurer la pensée, il est vraisemblable que les "signes" (les fameux petits cailloux) que Socci nous désigne, ont une signification précise: le titre de "Pape émérite", les armoiries, le vêtement, le lieu choisi pour la retraite, et surtout le discours d'adieu, celui de la dernière catéchèse.

Ajoutons que Socci prévient tout soupçon de sédévacantisme à son encontre, en témoignant d'une loyauté sans faille envers le Pape régnant.

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Sur un sujet voisin, Il Mastino (Papale papale) a écrit un article très intéressant, à lire ici (en italien): www.qelsi.it/2014/benedetto-dal-gran-rifiuto-al-piccolo-rifiuto-dello-stemma-di-emerito/

     

Les deux Papes et nous. Ce qui se passe vraiment dans l'Église
16 février 2014
http://www.antoniosocci.com/2014/02/i-due-papi-e-noi-cosa-sta-veramente-accadendo-nella-chiesa/
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On a rappelé, le 11 Février, l'anniversaire de la «renonciation» à la papauté de Benoît XVI. Le 28 Février, une année se sera écoulée depuis la fin de son pontificat. Mais ce qui s'est passé au Vatican il y a un an, est, ces jours-ci, de plus en plus mystérieux. Tout comme l'est la vraie nature de la «retraite» de Benoît XVI.



Toujours Pape
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Dans les cas précédents, en effet, les papes démissionnaires sont toujours retournés à leur statut de cardinal ou religieux: le célèbre Célestin V, élu en 1294, cinq mois après avoir abdiqué redevint l'ermite Pietro da Morrone.
Et le pape légitime Grégoire XII, qui, afin de recomposer le grand schisme d'Occident, se retira de l'Office papal le 4 Juillet 1415 fut réintégré dans le Sacré Collège avec le titre de cardinal Angelo Correr, devenant légat du pape dans les Marches.

Étant donné les précédents, le porte-parole de Benoît, le père Federico Lombardi, lors d'un briefing avec les journalistes, le 20 Février de l'année dernière, à la question «et s'il décidait de s'appeler Pontife émérite?» répondait, je cite: «Je l'exclurais. "Émérite" désigne l'évêque, qui même après la démission, maintient un lien ... dans le cas du ministère pétrinien il est préférable de séparer les choses».

Derniers mots fameux. Juste une semaine plus tard, le 26 Février, le même Père Lombardi dut communiquer que Benoît XVI resterait justement «Papa émérite» ou «Souverain Pontife émérite», en conservant le titre de «Sa Sainteté». Il ne porterait plus l'anneau du pêcheur et revêtirait la simple soutane blanche.
Ces jours-ci, en outre, Benoît XVI a refusé de changer ses armoiries papales, rejetant à la fois le retour à une héraldique de cardinal, et le blason du pape émérite. Il Gardera ses armoiries de Pape, avec les clés de Pierre.
Qu'est-ce que tout cela signifie? Il faut évidemment exclure toute vanité personnelle de la part d'un homme qui a fait preuve du détachement le plus total des charges terrestre (du reste ici il s'agit de choses théologiques, pas de biens de ce monde).
Donc, il peut n'y avoir qu'une raison historico-ecclésiale pondérée, probablement liée aux motifs de son retrait (pour lequel tant de gens ont fait indûment pression). Mais quelle est cette raison?

Pape pour toujours

La seule explication officielle réside dans son discours du 27 Février 2013, celui dans lequel il a précisé les limites de sa décision (www.vatican.va/):

«Permettez-moi ici de revenir encore une fois au 19 avril 2005. La gravité de la décision a été vraiment aussi dans le fait qu’à partir de ce moment, j’étais engagé sans cesse et pour toujours envers le Seigneur».

Attention, je souligne l'expression «sans cesse et pour toujours», car ensuite le Pape l'explique de cette façon:

« Toujours – celui qui assume le ministère pétrinien n’a plus aucune vie privée. Il appartient toujours et totalement à tous, à toute l’Église. (...) il n’appartient plus à lui-même».

Puis il ajoute, je cite:

« Le "toujours" est aussi un "pour toujours" - il n’y a plus de retour dans le privé. Ma décision de renoncer à l’exercice actif du ministère, ne supprime pas cela».

Il est incroyable qu'une phrase semblable soit passée inaperçu. Si les mots ont un sens, en effet, ici Benoît XVI dit affirme qu'il renonce «à l'exercice actif du ministère», mais le ministère pétrinien, pour ce qui le concerne, est «pour toujours» et il n'est pas révoqué. En ce sens que sa renonciation ne s'applique qu'à «l'exercice actif» et non au ministère pétrinien.
Quel autre sens pourraient avoir ces mots? Je ne le vois pas. C'est pourquoi nous devons nous demander quel genre de «retrait» a été celui de Benoît XVI.

Toujours dans ce discours du 27 Février, il a semblé confirmer la distinction entre «exercice actif» et «exercice passif» du ministère pétrinien.
Il a dit:

«Je ne porte plus le pouvoir de la charge pour le gouvernement de l’Église, mais dans le service de la prière, je reste, pour ainsi dire, dans l’enceinte de saint Pierre. Saint Benoît, dont je porte le nom comme Pape, me sera d’un grand exemple en cela. Il nous a montré le chemin pour une vie qui, active ou passive, appartient totalement à l’œuvre de Dieu».

De fait, à ces mots, aux expressions «pour toujours» et «ministère non révoqué», se sont ajoutés par la suite les actes dont nous avons parlé, c'est-à-dire la permanence du nom de Benoît XVI, l'habit, le titre de «Sa Sainteté» et les armoiries pontificales.

En communion avec François
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Par ailleurs pleinement reconnu par le pape François qui le 11 Février diffusait ce tweet: «Aujourd'hui, je vous invite à prier pour Sa Sainteté le Pape Benoît XVI, un homme de grand courage et humilité».
Il s'agit d'une situation totalement nouvelle dans l'histoire de l'Eglise. Dans les siècles passés, en effet, il y a eu, et à plusieurs reprises, des oppositions entre papes et antipapes, jusqu'à trois à la fois.
Il n'y a en revanche jamais eu deux papes en pleine communion, qui se reconnaissent l'un l'autre.
J'ai dit «deux papes» considérant que l'un des deux est le pape précédent, devenus «Pape émérite», et qu'il s'agit d'un rôle totalement inédit.
Quel est, en effet, son statut théologique? Et que signifie le retrait du seul «exercice actif» du ministère pétrinien?
Benoît XVI, s'adressant aux cardinaux avant le conclave, a anticipé sa révérence et son obéissance à son successeur. Telle est en effet l'attitude de Benoît envers François. Et la communion entre les deux a été rendue visible quand ils ont écrit «à quatre mains» l'encyclique «Lumen fidei».
Mais il est frappant de constater que dans le film de leur rencontre à Castel Gandolfo, ainsi que dans la cérémonie qui s'est tenue dans les jardins du Vatican pour bénir la statue de Saint- Michael, on voit les deux hommes de Dieu qui s'embrassent comme des frères et il n'y a de la part d'aucun des deux le geste du baiser à l'anneau du pêcheur. C'est à se demander: mais qui est le Pape?

Un secret entre eux
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Y aurait-il un secret entre eux, que le monde ignore? Ou doivent-ils être considérés au même niveau? Nous savons qu'il ne peut pas en être ainsi parce que par constitution divine, l'Eglise ne peut avoir qu'un seul Pape. Mais alors que se passe-t-il?

S'ouvrent alors des problèmes nouveaux et surprenants à la lumière desquels d'aucuns pourraient également attribuer des significations à certains gestes inattendus de François, comme de se présenter sur la loggia de Saint-Pierre comme «évêque de Rome», sans ornements pontificaux, ou l'absence du pallium dans son blason papal (le pallium est aujourd'hui le symbole du couronnement papal ayant remplacé la tiare).
Certes, ceux qui aujourd'hui tentent d'utiliser l'un contre l'autre font un acte arbitraire. Du reste, certains lefebvristes et les sédévacantistes qui contestent l'autorité de François sont également hostiles à Benoît.

La prière constante de Benoît pour François et l'Eglise est peut-être le grand signe prophétique de ce moment historique.
Toutefois, on ne peut pas prétendre que tout est normal, parce que la situation est quasi apocalyptique. Et on ne peut pas éviter les questions: sur les raisons de la démission de Benoît, sur ceux qui l'ont voulue, sur les pression indûes qui l'ont causée. Et sur son statut actuel.

Une époque jamais vue
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Dans les jours qui ont suivi l'annonce du retrait, avant que lui-même ne précise sa nouvelle situation, «La Viviltà Cattolica» elle aussi, comme le Père Lombardi, avait fait une gaffe.
La revue publiait en effet un essai du canoniste Gianfranco Ghirlanda, qui affirmait: «Il est clair que le pape, qui a démissionné n'est plus pape, et donc n'a plus aucun pouvoir dans l'Église et ne peut interférer dans aucune affaire de gouvernement. On peut se demander quel titre Benoît XVI conservera. Nous pensons qu'il devrait lui être attribué le titre d'évêque émérite de Rome, comme n'importe quel autre évêque diocésain qui s'en va».
Quoi qu'il en soit, pas de «pape émérite». Et au contraire, Benoît a choisi d'être justement «pape émérite». Il doit y avoir une raison très sérieuse pour décider de «rester» ainsi. Et les conséquences sont évidentes. Ces signaux (de Benoît) sont des signaux très importants envoyés à ceux qui doivent les comprendre, et à toute l'Église.
Il signale qu'il continue de défendre le trésor de l'Église, mais d'une nouvelle manière. Et il semble répéter ce qu'il a dit au cours de sa messe inaugurale: «Priez pour moi, afin que je ne fuie pas par peur devant les loups»

Antonio Socci