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Qui suis-je pour juger

Une lettre de Mario Palmaro. Sans rien de mélodramatique, le cri de l'intellectuel catholique italien gravement malade résonne comme une inquiétante prophétie (9/1/2014)

Mario Palmaro, que mes lecteurs doivent désormais bien connaître, collabore épisodiquement à la Bussola.
Aujourd'hui, il écrit une lettre au directeur, l'excellent Riccardo Cascioli.
Riccardo Cascioli consacrait son éditorial du 3 janvier, sous le titre "Si c'est ça, le nouveau qui avance..." à Matteo Renzi, le jeune (38 ans) maire de Florence, nouveau leader du Partito Democratico, et probable prochain chef du gouvernement italien (John Allen en parlait ici: François au défi de la politique italienne). Ce dernier vient tout juste d'écrire une "lettre aux leader politiques", dans laquelle il expose son programme sans surprise.
Au chapitre "Droits civils", deux propositions-phare: la reconnaissance des "unions civiles" (ce qui n'est pas tout à fait le "mariage pour tous" français, mais on ne va pas chipoter) et la révision de la loi Bossi-Fini en termes d'immigration.

Avec la passion et le courage qui le caractérisent, et que j'admire, Mario Palmaro répond à Riccardo Cascioli.
Dans un premier temps, j'ai pensé qu'il n'était pas nécessaire de rappeler qui était Mario Palmaro, que cela n'avait pas de rapport avec la colère qu'il exprime ici.
Mais, pratiquement inconnu en France, il se pourrait qu'il soit un prophète.
Donc je redis qu'il est jeune, gravement malade, père de quatre enfants, il a osé écrire ses doutes sur le nouveau cours de la papauté, et, ultime épisode, il a reçu un coup de téléphone du Pape, qui l'a ému, sans lui faire renoncer à ses interrogations.
Tout est documenté dans mon site.

Je ne traduis pas le début de la lettre, qui concerne plus spécifiquement la vie politique italienne - encore qu'elle ait des points troublants de ressemblance avec la nôtre, notamment lorsqu'il parle de l'électorat moyen du PD, version italienne du PS, mais comment s'en étonner alors que le rouleau compresseur des médias (ou les intérêts qu'ils représentent) s'acharnent jour après jour à arracher les peuples à leurs racines et à effacer jusqu'aux plus infimes marques de spécificité nationale.

Ah, j'oubliais... Je laisse mes lecteurs trouver un nom de substitution français à Matteo Renzi, qui revient dans l'article comme un leitmotiv.

Article complet ici: www.lanuovabq.it/it/articoli-il-fumo-di-satana-nella-chiesa-8142.htm

     

Les fumées de Satan

Je ressens le besoin d'écrire, à toi et à tes lecteurs, ce que je pense.
En toute sincérité: mais notre problème, c'est vraiment Matteo Renzi? Autrement dit: pouvions-nous nous attendre à ce que quelqu'un devienne secrétaire du Parti démocratique, puis commence à défendre la famille naturelle, l'enfant à naître, lutte contre la fécondation in vitro et l'avortement, s'oppose à l'euthanasie?
(...)

Non, cher directeur, mon problème, ce n'est pas Matteo Renzi. Mon problème, c'est l'Église catholique. Le problème est que dans cette histoire, dans ce déchaînement planétaire du lobby gay, l'Eglise se tait. Elle se tait depuis le Pape jusqu'au dernier aumônier de banlieue. Et si le Pape parle, le lendemain le père Lombardi doit corriger, préciser, clarifier, distinguer. Je t'en prie, abstiens-toi de me ressortir les lettres et les déclarations faites par le cardinal Jorge Mario Bergoglio il y a dix ans; si je découvre aujourd'hui que mon fils se drogue, est-ce que je lui dis: «Va relire la déclaration conjointe faite par moi et ta mère il y a six ans dans laquelle nous te disions de ne pas te droguer»? Ou bien je le prends entre quatre-z-yeux, ici et maintenant, et j'essaie de le secouer du mieux que je peux?

Cher directeur, dans cette bataille, où est la Conférence épiscopale, où sont les évêques? Silence assourdissant. En fait, non: Mgr Domenico Mogavero - rien de moins que canoniste, évêque de Mazara del Vallo et ex sous-secrétaire de la CEI - a parlé, et comment!: «La loi ne peut pas ignorer des centaines de milliers de concubins: sans créer d'équivalence entre les 'couples de fait' et les familles, il est juste qu'en Italie soient reconnues les 'unions de fait'. Pour Mogavero, «l'Etat peut et doit protéger l'alliance que deux partenaires ont conclu entre eux. C'est en opposition avec la charité chrétienne et les droits universels - observe-t-il - que le concubinage n'existe pas pour la loi. Aujourd'hui, si l'un des deux est hospitalisé, l'autre se voit même refuser de fournir une assistance ou de recevoir des renseignements médicaux, comme s'il s'agissait d'un étranger».
L'évêque conclut: «Il me semble légitime de reconnaître des droits comme la réversibilité de la retraite ou la succession dans la location, en vertu de la centralité de la personne. Il est insoutenable que pour la loi, le partenaire soit un "Monsieur Personne"».
Et pour l'Eglise, qui a déjà été invitée à réfléchir sur ce thème par le Pape François, en vue du Synode extraordinaire sur la famille «sans les considérer comme équivalents aux couples mariés, il n'y a pas d'obstacles à l'union civile». Amen.
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Tu comprends, cher directeur? Bientôt, ils prendront mon fils de sept ans et à l'école, ils le mettront à jouer avec des préservatifs et ses parties génitales, et l'Église, de quoi me parle-t-elle? Des bateaux qui coulent à Lampedusa, de Jésus qui était un réfugié, d'un jésuite obscur du XVIIe siècle béatifié.
Non, mon problème, ce n'est pas Matteo Renzi.
Cher Directeur, où est dans cette bataille, l'archevêque de Milan, Angelo Scola? Bientôt, on nous empêchera de dire et d'écrire que l'homosexualité est contre nature, et Scola me parle de métissage et de la nécessité de comprendre et de valoriser la culture Rom.
C'est encore l'archevêque de Milan qui, il y a quelques semaines, a invité dans notre cathédrale l'archevêque de Vienne Schönborn: comme en Autriche, l'Eglise est en train de disparaître, on lui a demandé de venir expliquer aux prêtres de notre diocèse comment arriver à ce résultat, quel est le secret. Du genre: cet entraîneur a conduit son équipe à la relégation, nous lui offrons une chaire à Coverciano (ndt: le terrain d'entraînement et centre technique de l'équipe de football d'Italie, à Florence). Et comme par hasard, entre autres choses: Schönborn - qui porte l'habit qui était celui de Saint Dominique et de Thomas d'Aquin (ndt: Schönborn est dominicain) - est venu expliquer aux prêtres ambrosiens (du diocèse de Milan) qu'il est personnellement intervenu pour défendre la nomination à un conseil de paroisse de deux partenaires de même sexe. Il les a rencontrés, et, dit-il, «j'ai vu deux jeunes purs, même si leur cohabitation n'est pas ce que l'ordre de la création a prévu». Voici, cher directeur, c'est la pureté selon un prince de l'Eglise à l'aube de 2014. Et mon problème devrait être Matteo Renzi et le Parti démocrate? Ils prendront mon fils de sept ans, et ils vont lui faire le lavage de cerveau pour lui faire comprendre que l'homosexualité est normale, et pendant ce temps-là, mon archevêque invite à la cathédrale un évêque qui m'apprend que deux partenaires gays sont des exemples de pureté?

Et je continue. Matteo Renzi, qui fait la promotion des unions civiles est le produit physiologique d'un pape qui, alors qu'il voyage en avion, se fait interviewer par des journalistes et dit: «Qui suis-je pour juger» etc. etc.
Bien sûr, je sais aussi qu'il n'y a pas identité parfaite entre les deux questions, que le Pape est opposé à ces choses, et certainement en souffre, et qu'il est animé de bonnes intentions.
Mais les faits sont là. Face à cette petite phrase historique dans la bouche d'un pape - «Qui suis-je pour juger» - bien sûr, on peut écrire des wagons d'articles de correction et de réparation, chose que les troupes inlassables de normalistes ont faites et font depuis des mois pour expliquer que tout va bien madame la marquise. Mais toi et moi nous savons bien - et tous ceux qui connaissent les mécanismes de communication le savent, que le «qui suis-je pour juger» est une pierre tombale sur toute lutte politique et juridique dans le domaine de la reconnaissance des droits des homosexuels. Si l'on parlait de rugby, je dirais que cette petite phrase du pape François a fait gagner en quelques secondes plus de mètres en faveur du lobby gay, que durant des décennies tout le travail du mouvement homosexuel à travers le monde. Je te dis aussi que des évêques comme Mogavero, à l'ombre de cette petite phrase «qui suis-je pour juger» peuvent construire en toute impunité des châteaux de dissolution, et nous avons juste le droit de nous taire.

Entendons-nous bien: il serait insensé d'imputer au Pape ou à l'Église la faute que les États du monde entier sont en train de normaliser l'homosexualité: cette marée montante est imparable, on ne peut pas l'arrêter. La raison est simple: Londres, Paris, New York et Rome, Bruxelles et Berlin sont devenus un Sodome et Gomorrhe géant. La question est, cependant, si nous voulons le dire, si nous voulons le combattre, si nous voulons le dénoncer, ou bien si nous voulons être fourbes et nous cacher derrière le «qui suis-je pour juger». La question est de savoir si même les Sodome et Gomorrhe planétaires doivent être traités avec le langage de la miséricorde et de la compréhension. Mais alors, je me demande, pourquoi ne pas réserver la même miséricorde aussi aux trafiquants d'armes chimiques, aux esclavagistes, aux spéculateurs financiers? Ils sont de pauvres pécheurs, eux aussi? Ou non? Ou dois-je demander à Schönborn de les rencontrer à déjeuner et d'évaluer leur pureté?
Cher directeur, la situation est désormais très claire: tout homme politique catholique, ou intellectuel, ou journaliste qui voudrait aussi se battre sur la frontière homosexualiste, se verrait empalé par la mystique de la miséricorde et du pardon. Nous sommes tous totalement délégitimés, et chaque évêque, prêtre, théologien, directeur d'hebdomadaire diocésain, homme politique démocrate-catholique peut nous fermer la bouche avec ce «qui suis-je pour juger». Il se trouverait criblé de plombs par un quelconque Mogavero, comme un faisans d'élevage à une battue.

Cher directeur, notre problème n'est pas Matteo Renzi.
Notre, mon problème, est que l'autre jour, le Saint-Père a dit que l'Evangile «ne se communique pas avec des coups de bâtons doctrinaux mais avec douceur». Là encore, je prie les normalistes de s'abstenir: je sais moi aussi qu'effectivement, l'Evangile se proclame ainsi - en dehors du fait que Jean-Baptiste avait ses méthodes à lui, plutôt brusques, et notre Seigneur l'appelle «le plus grand parmi ceux qui sont nés d'une femme» - mais tu sais très bien qu'avec cette petite phrase , toi et moi, nous sommes tous embrochés comme des morues. Toi et moi qui nous sommes battus et nous battons contre l'avortement légal, contre le divorce, contre la FIV, contre l'euthanasie, contre les unions homosexuelles, et contre les politiciens fourbes comme Matteo Renzi qui promeuvent et diffusent tout cela. Voilà, toi et moi, nous sommes irrémédiablement des matraqueurs de doctrine, des personnes sans charité, des "éthicistes" ... Et des phénomènes tels que La Bussola sont des exemples anachroniques de ce manque de charité, de cette rigueur morale imprésentable. Et les efforts quotidiens et titanesques des normalistes (ndt: c'est ans doute une allusion à Massimo Introvigne, qui couvre le magistère papal pour La Bussola) ne suffiront pas à soustraire ces titres à la dé-légitimation de la part du catholicisme officiel, parce que tous les exercices d'équilibrisme, où l'on garde un pied dans les deux camps, finissent toujours, tôt ou tard, par un vol tragique dans le vide.

Je pense aussi que le problème - pardonne l'allusion personnelle - ce n'est pas Gnocchi et Palmaro, affreux sales et méchants, qui sur Il Foglio, ont écrit ce qu'ils ont écrit (Nous n'aimons pas ce pape): Je le réécrirai une, dix, cent, mille fois, parce que malheureusement, tout va dans la pire direction, bien pire que ce que nous-mêmes pouvions préfigurer.

Voilà, cher directeur, pourquoi mon problème, et ton problème , celui des catholiques et des gens simples, n'est pas Matteo Renzi. Le problème, c'est notre Mère l'Église, qui a décidé de nous lâcher dans la jungle du Vietnam: les hélicoptères sont repartis, et nous sommes restés en bas, à nous faire embrocher l'un après l'autre par des Viet Kong relativistes. Pour moi, je ne me plains pas, pour les raisons que tu sais. Et puis parce que je préfère mille fois être resté ici, en attendant le Viet Kong, plutôt que monter sur ces hélicoptères. Avec peut-être en contrepartie la promesse d'un strapontin dans quelque organe de consultation clérical, ou l'illusion de tisser la toile à l'intérieur du palais du pouvoir officiel, avec tous les autres mouvements ecclésiaux. Ou avec l'idée folle - écrite noir sur blanc - que, oui, Gnocchi et Palmaro ont peut-être tous les deux raison mais ne devaient pas le dire, parce que certaines vérités ne doivent pas être dites, et même être publiquement niées pour confondre l'ennemi.

Non, je ne me plains pas pour moi. Mais il me reste le problème de mon fils de sept ans et des trois autres déjà plus grands, auxquels je ne veux pas et ne peux pas donner comme réponse les bateaux qui coulent à Lampedusa, les gays comme exemples de pureté du cardinal Schönborn, le métissage et l'éloge de la culture rom du cardinal Scola, le mépris pour le matraquage doctrinal selon le pape François, Mogavero qui fait l'éloge des unions civiles. A mes enfants, je ne peux pas raconter la fable que le problème s'appelle Matteo Renzi.

Cher directeur, cher Riccardo, pourquoi donc est-ce que t'écris toutes ces choses? Parce que je n'ai pas dormi cette nuit. Et parce que je veux comprendre - et je le demande aux lecteurs de la Bussola - ce qui doit encore se produire dans l'Église pour que les catholiques se lèvent, une bonne fois, debout. Qu'ils se lèvent et se mettent à crier sur les toits toute leur indignation. Attention: je m'adresse aux catholiques individuels. Pas aux associations, rassemblements, mouvements, sectes qui pendant des années ont essayé de façonner les cerveaux des fidèles, de dicter la ligne aux disciples. Qui me semblent tous mis sous tutelle comme des minus haben télécommandés par des personnalités plus ou moins charismatiques et plus ou moins fiables. Non, non: ici, je lance un appel à la conscience des individus, à leur cœoeur, à leur foi, à leur virilité. Avant qu'il ne soit trop tard.