Accueil

Isabelle "la catholique"

La parution récente en Espagne d'une biographie d'Isabelle Ière de Castille (1451-1504) est l'occasion de démonter la légende noire qui entoure la souveraine, dont le processus de béatification, souhaité par Jean Paul II a été bloqué en 2002 à la suite de pressions... Un article paru sur Religion en Libertad, traduit par Carlota (26/8/2013)

>>> Ci-contre: Isabel intima, de José María Zavala



     

La béatification d’Isabelle la Catholique stoppée par le cardinal Lustiger ?
(Carlota)
------

La guerre de l’information ne date pas d’hier. Mais l’Espagne en particulier, première puissance de la chrétienté vraiment mondiale à l’échelle de la planète, a beaucoup fait les frais de « légendes noires ». Ces légendes se sont d’autant plus diffusées quand des petits États marchands du nord de l’Europe (en pleine époque de la Réforme triomphante) ont voulu prendre sa place. Aujourd’hui ces légendes continuent à servir, n’en doutons pas !

L’on doit donc pouvoir penser, que, en notre XXIème siècle, avec peut-être une accélération encore plus inquiétante depuis quelques années, il n’est pas étonnant que la désinformation permanente et à outrance continue à être pratiquée par ceux qui veulent le pouvoir (médiatico-politico-financier). Et l’on peut admettre que les mensonges d’hier étaient à un aussi haut degré d’élaboration et d’utilisation que ceux d’aujourd’hui.

Le célèbre journaliste et historien espagnol José María Zavala, dans son dernier ouvrage s’attaque à la « légende noire » qui entoure toujours d’Isabelle la Catholique (1451-1504), reine de Castille et épouse de Ferdinand d’Aragon, et parle notamment de son procès en béatification.

     

« JEAN PAUL II ETAIT SUR LE POINT DE BEATIFIER ISABELLE, MAIS LUSTIGER S’Y EST OPPOSE D’UNE MANIERE DECISIVE »

Original ici: www.religionenlibertad.com
------
Le nouveau livre de José María Zavala, « Isabel íntima » (Éd. Planeta – Espagne)
est déjà en vitrine. Il est centré cette fois sur un personnage clef de l’Histoire Universelle, comme l’est celui d’Isabelle la Catholique. Sa popularité récente dont l’origine est dûe au succès d’une série de la télévision espagnole (RTVE) qui vient d’être diffusée, va de pair avec la persistance de la vieille légende noire contre elle, une légende tissée d’éléments faux et de visions déformées que l’auteur ne refuse pas d’affronter.

L'auteur compte pour cela, comme il l’explique à
Religión en Libertad, sur un document d’une importance exceptionnelle qui attend dans les archives vaticane l’examen de son regard scrutateur: la Positio ou document de la béatification de la Reine Catholique.

*


- Êtes-vous prêt pour la polémique?

- Si par polémique l’on entend démonter la fausse « légende noire » contre la femme et la reine la plus célèbre de l’Histoire de l’Espagne, oui, je crois que je suis préparé. Même si dans le fond il ne devrait pas y avoir de polémique pour celui qui examine, sans préjugés, le procès de béatification d’Isabelle la Catholique. Je peux assurer que l’arsenal de documents qui appuie les principales décisions de son règne est accablant [contre cette fausse « légende noire »].

- Non seulement vous défendez la « Légende Noire », mais vous êtes partisan de ce que l’Église reconnaisse les vertus d’Isabelle la Catholique…

- Si seulement ce livre pouvait se transformer en un instrument efficace pour la réouverture du procès en béatification d’Isabelle. Rappelons-nous que le cardinal Rouco Varela (archevêque de Madrid) avait déjà donné son impulsionà ce procès en décembre 2002, lors d’une conférence donnée à l’Ambassade d’Espagne auprès du Saint Siège, au cours de laquelle il avait qualifié la reine de « grande chrétienne » et de précurseur de la défense des droits de l’Homme.

- Y-a-t-il eu de réelles possibilités à cette béatification ?

- Jean Paul II a été sur le point de béatifier Isabelle la Catholique. Il croyait en la vie de sainteté de cette femme et reine qui a vécu à un degré héroïque toutes les vertus, comme cela ressort de plus de 100 000 documents examinés, de ceux qui finalement ont été choisis soit 3160 documents répartis en 27 tomes (le premier d’entre eux en deux volumes) d’où est tirée la Positio à laquelle j’ai eu accès.

- Pourquoi a-t-on fermé le dossier alors?

- Quand la béatification fut sur le point de réussir, le cardinal français Jean-Marie Lustiger, ami du Pape Wojtyla et défenseur du dialogue judéo-catholique comme juif converti qu’il était, s’est opposé d’une manière décisive

- Qui fut en réalité Isabelle la Catholique?

- Avant tout, elle fut une femme exemplaire comme fille, épouse et mère. Une femme et une reine avec un sens transcendant de la vie. Catholique non du bout des lèvres, comme tant de catholiques d’aujourd’hui, mais convaincue que Dieu occupe toujours la première place dans la vie et que tout le reste doit être subordonné à la Suprême Volonté [de Dieu].

- Même l’expulsion des juifs?

- Une reine catholique comme elle, au XVème siècle, croyait à pieds joints que la religion chrétienne était une vérité absolu que l’on devait protéger à tous prix. Même en effet en se passant des faux juifs convertis qui exerçaient un prosélytisme pernicieux pour la foi chrétienne (1). Et attention, l’Église pensait comme elle ! Juger pour cela l’expulsion des juifs avec des critères actuels constitue une erreur crasse.

- Que voulez-vous dire exactement?

- Eh bien, que dans l’expulsion, contrairement à ce que soutiennent certains, il n’a pas existé de motif raciste ou antisémite (2); simplement parce que le racisme en tant que tel n’existait pas à cette époque mais que c’est un phénomène actuel. Il n’y a pas eu non plus d’avidité par rapport à la fortune [des juifs], étant donné que pour la Couronne la mesure a supposé la perte d’entrées dans ses coffres. En outre la situation légale des juifs de Castille, et était celle d’ « étrangers tolérés », de sorte que cela n’a pas été à proprement parler une expulsion (3).

- Si cela n’a pas été une expulsion, qu’est ce que cela a été, alors?

- Au sens strict, une suspension du permis de séjour en Espagne, comme avec le passeport aujourd’hui, sans que cela représente aucunement une injure (4), comme le soutient le postulateur de la cause de béatification, Anastasio Gutiérrez. Dans le décret même des Rois (Catholiques donc Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon), il était exclusivement fait mention du « grand dommage, détriment et opprobre de notre sainte foi catholique ». Rappelons qu’Isabelle, au moment de sa proclamation comme reine, fit le serment en présence du nonce apostolique de maintenir ses sujets « comme Dieu lui a donné le mieux à comprendre ». Peu après, elle consacra son royaume à Dieu dans l’église Saint Michel de Ségovie, de sorte que, avec le décret d’expulsion elle n’a fait qu’obéir au devoir d’État et accomplir un serment. Nous pourrions parler longuement et d’une façon développée à propos de cette affaire controversée, mais j’invite le lecteur à se débarrasser de ses incertitudes avec mon livre.

- Et que pouvez-vous dire à ceux qui condamnent l’Inquisition en la considérant comme un instrument de répression et cruauté pour les non chrétiens?

- Les historiens ont centré leur attention sur les aspects secondaires et futiles, en passant sous silence la véritable raison qui a fait mettre en marche tout l’appareil inquisitorial du royaume de Castille : le phénomène religieux des « convertis ». Je fais référence aux juifs qui abandonnaient extérieurement leur religion de Moïse et recevaient même le baptême chrétien mais qui continuaient en secret à être des juifs comme avant, essayant même d’entraîner les autres vers leurs rites. D’autre part la naissance du Saint Office en Castille n’a pas été une invention des Rois Catholiques. L’antécédent le plus important remonte à la délégation du Pape Nicolas V au roi Jean II de Castille en 1451. J’invite de nouveau le lecteur à se reporter à mon livre car il est impossible d’élucider cette affaire aussi rapidement.

- Maintenant, alors que certains prétendent exproprier l’Église, rien de moins que de la Cathédrale de Cordoue, que pouvez-vous faire comme objection à la reconquête tellement décriée du royaume de Grenade ?

-
La reconquête de Grenade fut avant tout le point culminant d’un long processus de récupération du sol de la patrie, une reconquête basée sur l’idéal de la Renaissance d’une unité nationale sous l’autorité d’un État de forme moderne. Avec la récupération de Grenade (2 janvier 1492), Isabelle et Ferdinand ne firent que couronner une entreprise commencée en 718 à Covadonga, une entreprise continue pendant presque huit siècles. La Reconquête [de Grenade] avait été accordée sur une initiative d’Isabelle déjà dans son contrat matrimonial et avait été officialisée par un décret du Parlement de Tolède de 1480.

- Et comme couronnement de la «légende noire » contre Isabelle, ne pouvait manquait la Découverte et l’évangélisation de l’Amérique. Que peut-on alléguer face à ceux qui assurent que le principal mobile de l’expédition de Christophe Colomb a été l’acquisition de richesses pour la couronne ?

- De l’arsenal documentaire de la Positio émerge la principale raison de la Découverte : l’expansion de la foi du Christ. Rien par conséquent des calculs financiers futurs dans cette entreprise. Il y a plus : la reine en est arrivée à offrir ses propres bijoux comme garantie d’un prêt pour financer l’expédition. Nous pouvons affirmer avec le postulateur de la cause de béatification, qu’on doit à Isabelle l’incorporation de l’Amérique à la civilisation occidentale, et l’empreinte du christianisme du Nouveau Monde, seulement comparable à deux autres faits missionnaires transcendantaux : l’évangélisation des peuples de la Méditerranée et celle des peuples barbares d’Europe. Presque rien. (5) (6)

*

Remarques complémentaires de traduction

(Carlota)

(1) Pas sûr alors qu’en 2002 la Positio de Louis IX de France (1214-1270) aurait été acceptée par Jean Paul II du fait des décisions que le futur Saint Louis avait prises en son royaume au sujet des juifs de France. Et pourtant quel grand saint pour la France: cf. www.france-catholique.fr/25-aout-pour-la-saint-Louis.html.

(2) La thèse du racisme est aussi mise en avant par certains auteurs lorsqu’ils évoquent l’Inquisition espagnole de l’époque des Rois Catholiques. C’est le cas semble-t-il dans notamment dans l’ouvrage sur les origines de l’Inquisition dans l’Espagne du XVème siècle » (titre original en anglais « The Origins of the Inquisition in Fifteenth-Century Spain » - Ed Random House - 1995) de Bension Netanyahou (né à Varsovie 1910 et mort en 2012), un livre qui a été offert le 2 décembre 2013 au Pape François qui recevait en audience privée le fils de l’auteur, et alors premier ministre israélien Benjamin Netanyahou qui lui a expliqué : «mon espagnol est pratiquement nul, mais mon père, décédé l’année dernière, était historien et connaissait cette langue » (cf www.abc.es ).
L’Universitaire espagnol Miguel Ángel García Olmo a présenté une thèse très différente pour expliquer les raisons de l’Inquisition en Espagne dans son ouvrage sous-titré «Une réponse à la Légende Noire» (Las razones de la Inquisición española- Una respuesta a la Leyenda Negra – Ed. Almuzara – 2009). Ce fameux cadeau au pape François a été considéré par certains historiens espagnols comme une « manipulation historiographique ».

(3) Rappelons aussi qu’en France et jusqu’à la fin de l’ancien régime, tous les étrangers (même catholiques) qui s’installaient en France, y étaient toujours à titre temporaire; à leurs morts leurs biens revenaient au Roi. C’est le roi seul qui consentait aux naturalisations et à titre très exceptionnel (numériquement parlant et pour des raisons bien précises). Le droit du sol était la forme normale d’être français, sujet du roi de France, sachant que l’installation de population étrangère sur le sol français n’était normalement pas possible sauf invasions et conquêtes du sol. La position des juifs en Espagne à l’époque n’avait donc rien d’exceptionnel.

(4) Penser à ce qu’il en est aujourd’hui pour les chrétiens dans certains pays, et pas que d’une manière occasionnelle, mais le plus légalement possible, et sans que cela gêne vraiment beaucoup de monde…

(5) Le Père Javier Olivera Ravasi, un jeune prêtre argentin (né en 1977) de l’Institut du Verbe Incarné, qui a une formation d’avocat, mais est aussi docteur en philosophie et en histoire, a ouvert récemment un blog passionnant qui a pour objet la lutte contre la falsification de l’histoire et pour que « nous nous en laissions pas conter » ! Il a récemment dédié plusieurs articles à Isabelle la Catholique dont le dernier intitulé « Isabelle la Catholique : Santa subito ! » où il écrit en parlant du livre de José María Zavala (ici: quenotelacuenten.verboencarnado.net):

« S’il y a eu une grande femme qu’aujourdhui l’histoire libérale essaie de méconnaître, c’est Isabelle de Castille, la grande reine de notre mère patrie. C’est la légende noire anti-espagnole qui depuis le XVIIe a fait passé sous silence ses prouesses et lui a imputé des fausses choses qui lui empêchent la gloire des autels, une gloire beaucoup plus méritée qu’à d’autres. Pourquoi cet acharnement ? Nous croyons que c’est à cause de quatre faits impardonnables pour ceux qui aujourd’hui dirigent le monde :
- Elle a unifié l’Espagne.
- Elle a expulsé les juifs.
- Elle a reconquis Grenade qui était aux mains des musulmans.
- Elle a évangélisé l’Amérique.

Est-ce que le voile de l’idéologie et de la pseudo-histoire va commencer à s’ouvrir? Nous espérons que oui; même si elle (Isabelle la Catholique), n’en a pas besoin, nous si. Je partage le contenu de cet entretien paru aujourd’hui, avec l’auteur [José María Zavala] qui a pu rechercher à fond sa personnalité, avec l’ardent désir, qu’un jour, nous puissions dire : « Sancta Isabel, ora pro nobis ».

(6) J’espère évidemment me tromper, mais je ne crois pas que ce procès devrait beaucoup avancer à court terme (rappelons nous encore la levée de boucliers quand Benoit XVI a évoqué, lors de son voyage au Brésil, l’Amérique d’avant 1492 et l’apport venu d’outre-Atlantique). C’est regrettable car la fierté et l’indépendance de l’Amérique hispanique par rapport aux maux qui continuent à la guetter aujourd’hui, passent aussi par la réappropriation de son vrai passé et pas un passé lointain mystifié et un autre plus récent falsifié et calomnié pour des raisons idéologiques et les intérêts propres de certains. Mais c’est la même chose pour nous de la vieille Europe, évidemment.

Les exemples de sainteté que peuvent nous donner des figures catholiques admirables souffriraient-elles de la pression du monde ? Certaines pressions seraient-elles plus fortes que d’autres et jusqu’à quand et jusqu’à quel point? Il est peut-être dommage que l’Église soit obligée d’en tenir compte et ce d’autant que nous sommes à une époque où l’on veut nous cacher notre propre histoire civilisationnelle et chrétienne, à nous en particulier européens, pour nous rendre encore plus malléables aux idéologies du monde.

Mais finalement comme le rappelle Luc 6-26 : « Malheur à vous quand les hommes diront du bien de vous ». Ceux qui connaissent déjà ou vont mieux connaître la vie d’Isabelle la Catholique en tireront d’eux même leurs conclusions.

Carlota

  © benoit-et-moi, tous droits réservés