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L'opinion et le parti:

Quand la miséricorde se transforme en slogan: François H. réagit à une tribune parue dans La Croix du 19/8 sous le titre "Divorcés remariés, la chance de Marie-Madeleine" (21/8/2014)

>>> Article de La Croix: www.la-croix.com/Religion/Actualite/Divorces-remaries-la-chance-de-Marie-Madeleine-par-Marcel-Metzger-2014-08-19-1193765

     

L’OPINION ET LE PARTI : QUAND LA MISERICORDE SE TRANSFORME EN SLOGAN
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Dans une tribune récemment publiée dans le quotidien assomptionniste La Croix, l’abbé Marcel Metzger, « ancien directeur de l’Institut de droit canonique de Strasbourg », « exprime son opinion au sujet du mariage », ce qui signifie visiblement, dans le langage de ce journal, au sujet de toutes les bonnes raisons que l’Eglise aurait de rayer d’un trait de plume sa doctrine relative à ce sacrement en permettant aux divorcés-remariés de recevoir la sainte communion. Il ne s’agit pas pour l’auteur, en effet, de parler aux lecteurs de La Croix du « grand mystère quant au Christ et à l’Eglise » qu’exaltait saint Paul (Eph V, 32), mais bel et bien d’exposer une opinion, ou, plus précisément, son opinion, qui bien évidemment prend à contrepied l’enseignement le plus sûr et le plus constant de l’Eglise.

La tribune commence par une attaque caractérisée contre le cardinal Müller, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, coupable de s’être opposé en termes non équivoques à l’opinion du cardinal Kasper. Il convient ici de la citer longuement, tant elle apparaît comme la collection de tous les poncifs dont les partisans du cardinal Kasper accablent leurs détracteurs :

« Si le cardinal Gerhard Ludwig Müller exclut toute possibilité d’accès aux sacrements pour les divorcés remariés, il est cependant rassurant de savoir qu’à Rome tous les cardinaux ne partagent pas l’opinion rigoriste de leur collègue (La Croix du 31 juillet). L’Église est en débat depuis l’époque apostolique, et au long des siècles, les partisans de la miséricorde ont été confrontés à ces intransigeants que furent tour à tour les adeptes des observances pharisiennes, les novatiens, les donatistes, les cathares, les jansénistes et autres rigoristes. Mais la miséricorde a toujours eu le dernier mot. »

On ne saurait procéder à plus d’amalgames abusifs en moins de lignes. Il y aurait, « depuis l’époque apostolique », comme deux camps dans l’Eglise, qui se seraient perpétués sous différents noms qui ne seraient qu’autant de masques des mêmes réalités fondamentales. Observants pharisaïques refusant l’ouverture de l’Eglise aux Gentils, hérétiques novatiens, donatistes schismatiques, cathares manichéens, jansénistes et maintenant « rigoristes » ne seraient qu’une longue lignée à laquelle M. l’abbé Metzger donne un nom : les intransigeants. Et c’est ici certainement, si l’on y fait bien attention, que toute la tribune s’éclaire, dès ses premières lignes.

En effet, le terme d’intransigeance n’est pas neutre, et ce serait certainement faire injure à M. l’abbé Metzger que de supposer qu'il en ignore la signification historique. Les catholiques intransigeants furent, à partir du XIXe siècle, ceux qui refusèrent le compromis avec les idées modernes imprégnées par la philosophie des Lumières.

Or les adversaires de « ces intransigeants » ont un nom. Ce nom n’est certainement pas celui de « partisans de la miséricorde ». L’auteur de la tribune, en effet, ne semble pas même avoir mesuré l’absurdité de l’expression dont il use, par facilité ou par négligence peut-être : partisans de la miséricorde. Comment la miséricorde pourrait-elle avoir des partisans, être le fait d’un parti ? La miséricorde est une perfection de Dieu et même un Nom divin. Elle est, dans notre vie chrétienne, une vertu, ou plutôt une Béatitude proclamée par le Christ sur la montagne (Mt V, 7) et qui ne peut nous venir que d’un don gratuit du Dieu Très-Haut. La miséricorde se vit et se pratique, avec le secours de la grâce. Mais la miséricorde ne saurait en aucun cas avoir des « partisans » autoproclamés et décrétant, miséricordieusement sans doute, que leurs contradicteurs sont des ennemis de la miséricorde ; à moins de devenir un slogan, destiné à exclure, à disqualifier par avance et sans autre motif le contradicteur. L’auteur de la tribune ne semble pas s’être aperçu de la portée de ses mots, par lesquels la miséricorde cesse d’être un don qui vient de Dieu, reçu et fidèlement transmis et communiqué, mais devient une œuvre tout humaine, que l’on choisit comme on choisit son journal ou son parti politique. Cette miséricorde-là, certainement, a en effet des partisans : mais ce n’est pas celle de l’Evangile.

Le nom des adversaires des intransigeants n’est donc pas celui de « partisans de la miséricorde » : c’est celui de « catholiques » libéraux. Or il se trouve que ces catholiques libéraux n’ont pas été combattus seulement par les héritiers supposés des jansénistes ou des rigoristes, mais qu’ils ont été combattus, et avec quelle vigueur, par les papes, et spécialement par Pie IX, qui condamna dans le Syllabus de 1864 la proposition qui se trouvait au cœur du projet libéral, en des termes non équivoques : « Le Pontife Romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne » (Proposition LXXX). C’est ici qu’apparaît du même coup le vrai nom de la « miséricorde » dont se montre « partisan » M. l’abbé Metzger au moins dans sa tribune (*): la réconciliation, l’accommodement de l’Evangile avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne, poussés, certainement, bien au-delà de tout ce qu’aurait imaginé un Montalembert. Cette « miséricorde », certainement, a un parti, ou, comme l’on aurait dit en d’autres temps, sa secte, avec ses doctrines ou plutôt son « opinion » qu’elle suit et qui la conduit très infailliblement hors de l’Eglise.

Dans la pleine conformité à l’étymologie, Bossuet donnait de l’hérétique la célèbre définition suivante : L’hérétique est celui qui a une opinion. Nous savons maintenant, grâce à La Croix, qu’il a aussi un parti.

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(*) Qu’il soit clair qu’il ne s’agit pas ici de juger les intentions profondes de M. Metzger, qui est peut-être un bon prêtre et un fils soumis de l’Eglise, et moins encore de le dénoncer comme formellement hérétique. Il s’agit seulement de dégager et de mettre en évidence, dans ses dernières conséquences, le sens de la tribune qu’il a malheureusement publiée dans un quotidien qui se veut catholique.

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