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Quand le card. Bergoglio critiquait Benoît XVI

L'information est connue, mais je ne l'avais jamais trouvé confirmée. Antonio Socci répond à ses détracteurs (22/8/2014, Mise à jour le 23/8)

>>> Irak: François rompt avec la tradition de l'Eglise

     

Antonio Socci a subi de lourdes critiques pour avoir osé suggérer que la réponse de François au martyre des chrétiens d'Irak n'était peut-être pas celle que l'on attendait d'un Pape. L'argument de ses détracteurs est assez faible: on ne critique pas le pape.
Tornielli, de plus en plus agressif envers ceux qui ne partagent pas son opinion, s'en prenait hier ici au «réseau des ex-papistes qui, après avoir passé des années à critiquer ceux qui attaquaient le pape Benoît, se montrent encore plus acharnés et sarcastiques que ces derniers envers son successeur». Je suppose que j'en fais partie, mais je me sens très à l'aise avec cette critique (cf. Comment est perçu le Pape François )
Mais Socci ne s'en laisse pas compter.
Une amie me signale cet article publié aujourd'hui sur sa page Facebook sous le titre "QUAND LE CARDINAL BERGOGLIO DE BUENOS AIRES (À TRAVERS SON PORTE-PAROLE) ATTAQUAIT LE PAPE BENOÎT XVI".
Suit le lien vers un article publié le 15 mars sur l'hebdomadaire anglais "catho de gauche" The Telegraph, que j'ai traduit plus bas.

Antonio Socci commente:

     

The Telegraph

Alasdair Baverstock
15 mars 2013
www.telegraph.co.uk
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En 2005, le pape Benoît citait un obscur texte médiéval qui déclarait que le Prophète Mahomet, fondateur de la foi islamique, était «mauvais et inhumain», entraînant la colère de la population musulmane et provoquant à travers le monde des attaques contre des églises, avant que des excuses soient publiées.
Réagissant les jours suivants à ces déclarations, s'exprimant dans le journal Newsweek Argentine à travers son porte-parole, le cardinal Jorge Bergoglio disait son "mécontentement" après les déclarations, faites à l'Université de Ratisbonne en Allemagne, et encourageait ses subordonnés à faire de même.
«Les déclarations du Pape Benoît ne reflètent pas mes opinions» déclarait celui qui était alors archevêque de Buenos Aires. «Ces déclarations serviront à détruire en 20 secondes la construction prudente d'une relation avec l'Islam que le pape Jean-Paul II a construite au cours des vingt dernières années».

Le Vatican a réagi rapidement, relevant de son poste un subordonné, Joaquín Piña, archevêque de Puerto Iguazú dans les quatre jours suivant une déclaration similaire qu'il avait faite à la presse nationale argentine; envoyant ainsi le message clair au cardinal Bergoglio qu'il serait le prochain s'il devait choisir de persister .
Réagissant aux menaces de Rome, le cardinal Bergoglio annula son projet de se rendre à Rome, en choisissant de boycotter le second synode que le pape Benoît avait appelé durant son pontificat.

De cette nouvelle, on peut tirer deux conclusions importantes.
1. Le cardinal Bergoglio, via un porte-parole, a attaqué le Pape Benoît XVI pour son magistral discours de Ratisbonne, et cela fait comprendre la raison de sa réticence actuelle [à dénoncer] les bouchers islamistes d'Irak
2. Le cardinal Bergoglio a attaqué le Pape qui était déjà attaqué par tous et sous la menace des terroristes islamistes, même si - étant cardinal - il avait le devoir particulier de le défendre.

Je le signale à tous ceux qui aujourd'hui me lancent des anathèmes en disant: «on ne critique pas le pape».
Qu'a fait Bergoglio ? Il l'a fait malgré qu'il soit cardinal, et alors que le Pape était menacé.

     

Développement ultérieurs (23/8)

Andrea Tornielli répond à Antonio Socci (sans le nommer... mais il est manifestement furieux) sur son blog, et il apporte des "preuves" (http://2.andreatornielli.it/?p=7617).
Parmi elles, un article daté du 12 octobre 2006 (donc un mois tout juste après le discours de Ratisbonne) du blog espagnol periodistadigital.com, rapportant en titre que le Père Guilermo Marco, "porte-parole du cardinal Bergoglio, avait démissionné de son poste pour avoir critiqué le pape", et que celui-ci avait affirmé s'être exprimé à titre personnel.
Ce blog d'orientation nettement progressiste est dirigé par José Manuel Vidal, prêtre sécularisé (une vieille connaissance, cf. ici) et grand admirateur du pape François.
D'ailleurs, l'article était clairement critique envers Benoît XVI, puisqu'on y lisait:

"La raison?[de cette démission] : Ayant eu la sainte liberté de dire publiquement ce que beaucoup d'autres chuchotent en privé, le Père Marco a fait une déclaration à Newsweek en espagnol pour critiquer le pape Benoît XVI après son discours à l'Université de Ratisbonne".

Il est possible, mais peu crédible, que ledit porte-parole ait agi à l'insu de son patron: comment imaginer, en effet, que l'archevêque de Buenos Aires ait choisi pour le représenter quelqu'un qui ne partageait pas ses idées? Et si c'était le cas, étant donnée la gravité de la situation, pourquoi une mise au point n'a-t-elle pas été faite alors?
Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirme Tornielli, il n'y a aucune preuve que ledit "porte-parole" ait été démis de ses fonctions par volonté du cardinal Bergoglio.
Le plus simple serait qu'il pose directement, et sur un mode officiel la question au Pape, dont il semble très proche: après tout, il l'a bien fait avec Benoît XVI (!), lorsqu'il a voulu avoir la confirmation que la renonciation de ce dernier était valide.

Andrea Tornielli reproche également aux détracteurs du Pape François de lui manquer de respect en l'appelant par son patronyme "Bergoglio" (ce que personnellement j'évite de faire dans mon site...) ... oubliant que lui même le nomme très souvent ainsi (cf. vaticaninsider.lastampa.it) , tout comme il appelle Benoît XVI "Ratzinger", comme en témoigne par exemple cette capture d'écran faite sur la page d'accueil de Vatican Insider (il s'agit de la fameuse "lettre" évoquée plus haut) .

Dernière minute: Un article sur Il Foglio démonte minutieusement les arguments d'Andrea Tornielli....

L'auteur rappelle les circonstances du discours de Ratisbonne, et de la polémique qui s'en est suivie. Et il poursuit:

Ce qui toucha Benoît XVI, ce furent surtout les accusations que lui lancèrent certains membres de l'Église. Parmi eux, l'ancien archevêque de Buenos Aires.
Le futur pape ne s'exprima pas à la première personne. Ce fut le père Guillermo Marco, porte-parole de Bergoglio, qui intervint. Parlant avec l'édition argentine de l'hebdomadaire <Newsweek>, il usa de tons très durs: il dit que Ratzinger avait fait une déclaration «malheureuse». Et encore: «Les paroles du pape ne me représentent pas, je n'aurais jamais fait cette citation.» Avant de conclure: «Si le pape ne reconnaît pas les valeurs de l'Islam et que tout reste ainsi, en vingt secondes (??), nous aurons détruit ce qui a été construit en vingt ans» (1).

C'est Marco qui s'exprimait, mais tout le monde savait que ces mots représentaient la pensée de son supérieur. Ainsi, alors que le pape défendait ses propres raisons devant le monde islamique, l'une des voix les plus influentes de l'Église latino-américaine prenait de fait le parti des musulmans. Des mots «sans précédent», ceux du porte-parole de Bergoglio, au point que dans les murs léonins «pendant un certain temps, on ne parlait que de cela», a raconté un monsignore à <Clarín>, l'un des principaux quotidiens d'Argentine.
Face au scandale, Marco affirma avoir dit ces choses, non pas comme chargé de presse de Bergoglio, mais comme président de l'Institut pour le Dialogue interreligieux , autre fonction qu'il occupait. Justification peu crédible, tant et si bien que de Rome partirent des pressions sur l'archevêque pour qu'il le désavoue. «Comment est-il possible que son porte-parole ait fait de telles déclarations et que Bergoglio ne se soit pas senti obligé de le démentir et de le démettre immédiatement» dit à <Clarín> une source du Vatican. Le prêtre, cependant, est resté en place. Il a été remplacé quelques mois plus tard (2) quand pour d'autres raisons, le ministre de l'Intérieur de l'Argentine demanda sa tête

Dans l'intervalle, le Vatican avait démis un des hommes de Bergoglio, le jésuite Joaquín Piña, de son poste d'archevêque de Puerto Iguazú: Piña avait fait à la presse des déclarations similaires à celles de Marco. Le journal britannique The Telegraph, retraçant l'affaire, raconte que Rome avertit Bergoglio qu'il serait démis à son tour s'il continuait lui aussi à délégitimer Ratzinger. Et que Bergoglio réagit en annulant le voyage qu'il devait faire à Rome pour le synode convoqué par le pape (3).
L'affaire ne s'arrête pas là. Le 22 Février 2011, le nonce apostolique en Argentine, l'archevêque Adriano Bernardini, précisément à Buenos Aires, prononça une homélie enflammée contre les ennemis de Ratzinger. Le Saint-Père, dit-il, est victime de «persécution», il a été «abandonné par ceux qui s'opposent à la vérité, mais surtout par des prêtres et des religieux, pas seulement par des évêques».
Beaucoup de ceux auxquels il se référait étaient présents dans l'église, en face de lui.
Bernardini, aujourd'hui nonce en Italie, n'est pas compté parmi les sympathies du Pape Bergoglio (4).

* * *

(1) Quel intérêt auraient les propos d'un prélat lambda pour un magazine de la grosse presse, s'il n'était pas le porte-parole d'un cardinal influent? Il faut se rappeler l'atmosphère de lynchage qui avait suivi le discours de Ratisbonne. Les défenses au sein de l'Eglise, en France, avaient certes été discrètes, mais je ne souvients pas d'un porte-parole du cardinal Vingt-Trois s'en prenant publiquement au pape.

(2) Ceci n'est apparemment pas exact: il faudrait dire plutôt "quelques semaines", et donc éclaircir les circonstances.

(3) J'ai lu (où?) que le futur pape avait argué d'une sciatique...

(4) Voir à ce sujet:
¤ magister.blogautore.espresso.repubblica.it/2014/07/12/chi-sono-io-per-non-giudicare-il-papa-toglie-i-galloni-al-diplomatico-infedele/
¤ www.corrispondenzaromana.it/notizie-brevi/la-verita-su-mons-adriano-bernardini/
¤ www.qelsi.it/2014/le-scomuniche-a-simpatia-di-papa-francesco/

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