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Complot contre Benoît XVI?

Retour sur un livre prophétique de l'Abbé Barthe, paru en 2009, 'Les oppositions romaines au Pape'. Et un autre livre, anticipatif, 'Confession d'un cardinal'. S'il ne s'agit pas de complot, ça y ressemble beaucoup

>>> Article relié:
Théorie du complot

>>> Mise à jour ultérieure: J'avais consacré en 2007, au moment de sa sortie, un dossier à "Confession d'un cardinal" (cf. benoit-et-moi.fr/2007)

Lors de la parution, l'an passé, chez Jean-Claude Lattès, du livre d'Olivier Le Gendre, Confession d'un cardinal, les observateurs avertis ont compris qu'il s'agissait d'une opération importante, commanditée par des personnages de haut rang qui prétendent déjà préparer un après-Benoît XVI, auquel ils voudraient imprimer une direction toute différente de celle de l'actuel pontificat.
(Abbé Barthe, 2009)

En avril 2009, à un peu plus de 6 mois du grand succès populaire de la visite de Benoît XVI en France, l'abbé Claude Barthe publiait aux éditions Hora Decima un remarquable petit livre, bref mais dense, intitulé "Les oppositions romaines au Pape" (voir ici la présentation par l’auteur)
Il est apparemment encore disponible à la vente sur différents sites, notamment www.chire.fr et www.laprocure.com.
Six ans après, et surtout deux ans après la renonciation de Benoît XVI et l'élection de François, il mérite d'être relu.

L'Homme Nouveau en avait à l'époque publié de larges extraits, qui sont encore disponibles en ligne sur le site Eucharistie Sacrement de la Miséricorde:
¤ Partie I: Y a-t-il une opposition romaine au Pape Benoît XVI ?
¤ Partie II: Un livre-manifeste: Confession d'un cardinal
¤ Partie III: 19 avril 2005, La signification d’une élection

* * *

De ce livre, il ressort que bien avant les "affaires" incessantes qui ont fait des dernières années du Pontificat un véritable Chemin de Croix pour Benoît XVI - en particulier, les scandales de pédophilie dans l'Eglise, les Vatileaks, et la trahison d'un "serviteur", mais chaque déclaration, chaque déplacement, étaient prétexte à polémiques - et surtout à un moment où une renonciation du Pape (de n'importe quel Pape) à son ministère semblait une chose impensable, l'Abbé Barthe brossait un tableau réaliste (comme la suite l'a prouvé) de l'atmosphère délétère d'intrigues et de complot entourant le Successeur de Pierre, qui devait culminer avec le traumatisme du 11 février 2013.
Le manifeste du complot était un mystérieux livre-programme, pour un Pontificat de rupture ressemblant beaucoup à celui de François "Confession d'un cardinal" (il y a eu une suite, "L'espérance d'un cardinal") dont l'auteur, Olivier Legendre, est récemment décédé. J'en ai parlé à différents endroits de ce site.
Dans une interview accordée à Christine Pedotti dans Témoignage Chrétien peu avant sa mort, Olivier Legendre confiait du reste que le soir du 13 mars 2013 et pendant quelques jours, ses amis lui disaient : «Mais c’est ton cardinal qui a été élu!».
Madame Pedotti ajoutait: l’écrivain reconnaît avec jubilation et gourmandise que Jorge Mario Bergoglio a bien des parentés avec « son » cardinal – plus qu’il n’aurait osé l’espérer (comme si c'était une découverte pour lui!).

Confession d'un cardinal (vu par l'Abbé Barthe)

Lors de la parution, l’an passé (en 2009), chez Jean-Claude Lattès, du livre d’Olivier Le Gendre, Confession d’un cardinal, les observateurs avertis ont compris qu’il s’agissait d’une opération importante, commanditée par des personnages de haut rang qui prétendent déjà préparer un après-Benoît XVI, auquel ils voudraient imprimer une direction toute différente de celle de l’actuel pontificat.

Cet ouvrage très ingénieusement conçu, sous la forme d’entretiens avec un cardinal anonyme, à Rome et en d’autres lieux, témoigne d’une connaissance précise des milieux (et même des lieux) ecclésiastiques romains, et développe des propos savamment mesurés mais redoutablement libéraux. Tout laisse penser que cette opération a été imaginée et diligentée par le cardinal Achille Silvestrini, chef de file de l’aile libérale du collège cardinalice. Il fait en quelque sorte équipe avec le cardinal Walter Kasper, ancien évêque de Rottenburg-Stuttgart, président du Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des chrétiens. Le cardinal Walter Kasper, théologien libéral de haut renom, s’est opposé au cardinal Joseph Ratzinger, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, sur divers sujets comme l’admission des divorcés remariés à l’Eucharistie, mais surtout sur des questions ecclésiologiques, telle l’interprétation de la collégialité.
(...)

La thèse maîtresse du livre, qui résume parfaitement le projet de l’aile libérale, est la suivante : la sécularisation achève de détruire un modèle d’Église constantinien et tridentin, que le dernier Concile, malgré ses bonnes intentions, n’a pas réussi à déraciner véritablement. Si la suite de Vatican II a été une crise sans précédent, c’est que le Concile n’a pas été assez conciliaire. Le vrai travail reste à accomplir : il faut aujourd’hui « inventer » un nouveau modèle d’Église pour les temps nouveaux dans lesquels nous sommes entrés : « Si le désenchantement du monde est une évolution naturelle, inévitable et indispensable de l’humanité (…), alors l’Église doit inventer dans ce monde désenchanté et pour ce monde désenchanté une nouvelle façon d’être fidèle à son message. »
Au vrai, ce modèle « nouveau » n’est autre qu’un nouvel avatar du vieux libéralisme catholique. Tous les ingrédients s’y retrouvent : la constatation « réaliste » de la victoire définitive de la modernité, dont il convient que les catholiques prennent leur parti ; l’étonnante méconnaissance de la nature radicalement antichrétienne - et antinaturelle - de cette modernité, spécialement dans sa version politique, la démocratie libérale ; la mauvaise conscience des hommes d’Église (la condamnation de la contraception, comme une nouvelle affaire Galilée).
(...) le modèle d’Église du cardinal anonyme est celui de la théologie de la libération d’il y a trente ans, « libération » du « carcan » disciplinaire et dogmatique. Au détail près que le marxisme qui fascinait les pères Boff et Sobrino et maints évêques brésiliens, s’est effondré, et que la fascination des hommes d’Église libéraux d’aujourd’hui se porte désormais vers une société postmarxiste, dont ils accompagnent ecclésialement les desseins, comme les théologiens de la libération accompagnaient ceux des derniers héritiers de Lénine.
(...)

Les propos d’Achille Silvestrini aujourd’hui reprennent ceux du cardinal Martini, ancien archevêque de Milan, lorsqu’il était la tête pensante de cette tendance.
Dans les propos qu’Olivier Le Gendre recueille, on retrouve exactement le programme que le cardinal Carlo Maria Martini avait dressé, à la fin du synode des évêques d’Europe, en 1999, en énumérant les « nœuds » que l’Église aurait à trancher en entrant dans le nouveau millénaire :
- la «carence dramatique de ministres ordonnés» : elle ne pourra être résolue sans l’ordination d’hommes mariés ;
- la place des femmes dans l’Église : il faudra en venir à l’accession des femmes au moins, pour commencer, aux paliers du presbytérat ;
- les problèmes afférents à la «sexualité» : on devra faire appel aux droits de la conscience individuelle pour dépasser l’effet catastrophique pour l’image de l’Église produit par Humanæ vitæ ;
- la «discipline du mariage» : elle devra être réétudiée pour permettre l’accès des divorcés «remariés» à l’Eucharistie;
- «l’espérance œcuménique» à revitaliser.
(...)


Martini s’oppose de manière frontale à l’encyclique Humanae Vitae (les quarante ans écoulés depuis Humanæ Vitæ sont comparés par lui aux quarante ans passés par les Hébreux dans le désert). Mais il prône surtout un catholicisme sinon adogmatique, du moins dans lequel la prédication du dogme est mise en sourdine : «Nous devons apprendre à vivre l’immensité de l’être catholique. Et à connaître les autres. (…) Pour protéger cette immensité, je ne connais rien de mieux que de continuer sans cesse à lire la Bible. (…) Si nous écoutons Jésus et si nous regardons les pauvres, les opprimés, les malades, (…) Dieu nous conduit au-dehors, dans l’immensité. Il nous apprend à penser de manière ouverte.»

De même, selon le cardinal interrogé par Olivier Le Gendre, la théologie du célibat sacerdotal est dépassée : «Nous sommes la religion de l’Incarnation»; il ne faut donc plus séparer le prêtre de la vie concrète. Mais avant tout, il estime qu’il faut rompre avec une logique «défensive» vis-à-vis du monde moderne.
Et il s’enflamme : la manière d’être du gouvernement de l’Église qui doit disparaître à jamais, «c’est de faire des lois sans arrêt, c’est tenter de contraindre la vie dans le cadre des textes, c’est centraliser à outrance par crainte des dérives - toujours cette crainte des dérives qui nous paralyse. C’est se comporter en monarque, bienveillant dans le meilleur des cas, autoritaire dans le pire. Bref, c’est être romain avant toute chose et redonner vie dans les temps modernes au système d’un empire qui, à force de dépendre d’une seule tête, s’est effondré par sa périphérie. C’est sacraliser à outrance l’autorité, imposer aux émotions et à leurs expressions le carcan du liturgiquement correct, brider la spontanéité car elle serait dangereuse. Bref, c’est vouloir maîtriser, maîtriser encore, maîtriser toujours, et contrôler en permanence.»

Victoire posthume de Martini

Lu six ans après, la ressemblance entre la fiction imaginée alors (certes à partir des idées bien réelles du cardinal Martini) et la réalité d’aujourd’hui est saisissante.
Mais ce que l'Abbé Barthe ne dit pas, c'est que le « complot » devait rencontrer de puissants relais à l'extérieur des murs léonins.
C'est là où, peut-être, le complot rejoint la théorie du complot...

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