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Photo instantanée de la Curie sous François

Excellent tableau, brossé par Giuseppe Rusconi (Rosso Porpora), d'après des témoignages recueillis "en direct" dans le quartier autour du Vatican

>>> A propos de la Curie et de la violente philippique subie lors des voeux du 23 décembre dernier, lire dans ces pages la traduction d'un article de Father Ray Blake: benoit-et-moi.fr/2014-II/actualites/curie-lenvers-du-decor.

Commentaire malicieux d’Anna, qui a traduit ce long article :
Rusconi tient le pied dans deux étriers (il piede in due staffe), mais quand il le tient dans le nôtre, il est intéressant.

Ainsi parlait la Curie profonde à l'époque de François

Giuseppe Rusconi,
www.rossoporpora.org
30 avril 2015
Traduction Anna

Voici une photographie (prise en mars et qui ne prétend pas être exhaustive) de quelques-unes parmi les différentes humeurs de la Curie Romaine à l'égard du pape François.

* * *

À quelques pas de Saint Pierre, l'ecclésiastique nous transperce de ses petits yeux vifs et… :
"François reste avec le cœur et la tête archevêque de Buenos Aires. Ce ne serait pas grave… si ce n'était que depuis deux ans il est l'évêque de Rome et donc pape de l'Église universelle…"
Celui qui nous parle est un ecclésiastique chevronné, d'apparence juvénile, jamais connu comme "extrémiste ", un mot qu’aujourd'hui le système médiatique dominant associe trop facilement avec "conservateur" tout court. Il s'agit tout simplement d'un curial, un membre de cette Curie vilipendée aujourd'hui sans distinction comme au temps de Luther. La nouveauté est que même le Pape régnant en rajoute une couche
et le dernier discours de Noël du pape François à la Curie, le 20 décembre dernier, n'a pas encore été digéré par la grande "panse" vaticane.
À cette occasion, Jorge Mario Bergoglio avait énuméré pas moins de quinze "maladies" ecclésiales, mais, vue l'occasion, surtout curiales: entre autres l' "Alzheimer spirituel" (le "déclin progressif des facultés spirituelles"), le "marthalisme" (l'activité excessive, comme celle de Marthe, sœur de Marie et de Lazare), le "terrorisme du bavardage".
Presque cinq mois plus tard, ce discours brûle encore: "Si quelqu'un avait eu le courage de se lever pendant l'énumération et de quitter la Salle Clémentine, je crois que nous serions tous partis, ou presque, droite et gauche, jeunes et anciens", remarque avec une amertume pointilleuse mon interlocuteur. Sans oublier de recommander encore: "Surtout que mon nom ne sorte pas! Puis-je en être assuré?"

Nous sommes tels qu'en automne…
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Au-delà du jugement concernant le réquisitoire objectivement sévère de Noël, dans la Curie tous ne pensent pas de François la même chose que l'ecclésiastique cité. Beaucoup, oui, toutefois, en tout cas une minorité consistante en pourcentage, à laquelle - pour simplifier un peu les choses au bénéfice du lecteur - une autre minorité s'oppose, moins consistante, de soutiens convaincus du nouveau Pape: au milieu d'eux un large groupe (un "gruppone") qui oscille, selon les cas, entre l'une et l'autre position.
On remarque néanmoins tout de suite que tous ont quelque chose en commun lorsqu'ils expriment leurs opinions: ce "Qu'on ne sache pas que c'est moi qui l'ai dit!", car tous partagent la condition du curial, aujourd'hui plus que jamais exprimée dans un bref poème du poète italien Giuseppe Ungaretti, écrit vers la fin de la Première Guerre Mondiale.
Un de nos autres interlocuteurs, en clergyman, l'évoque lui aussi, assis dans un fauteuil, moins proche de Saint Pierre cette fois: "Nous sommes/tels qu'en automne/sur l'arbre/la feuille… ("mis en français" par Ungaretti lui-même, ndt) elle valait pour les soldats et vaut depuis toujours, mais aujourd'hui plus que jamais, pour les curiaux…".
Au mot "curiaux" la voix de l'amoureux de littérature s'estompe presque dans un souffle, laissant la place à un petit sourire complice.

Un concept, celui de la vie curiale incertaine dans ses destins personnels, qui suggère à beaucoup une navigation tranquille, sans "coups d'aile" qui, redoute-t-on, pourrait irriter François, un pape doté de charisme mais réputé très ombrageux. François, observe le premier de nos interlocuteurs, est comparable au "Prince" de Nicolas Machiavel: "Vous vous en souvenez sans doute: il est bien plus sûr pour le Prince d'être craint plutôt que d'être aimé… et c'est ce qui arrive chez nous, à la Curie".

Ce soir du 13 mars 2013 nous étions au bon moment au milieu de la foule de la place Saint Pierre. Et, lorsque de la bouche du cardinal protodiacre Jean-Louis Tauran jaillit le nom "Bergoglio", beaucoup réagirent comme c’était arrivé le 16 octobre 1978 avec Wojtyla: "Mais qu'a-t-il dit? Qui est-il?".
Nous entendîmes: "Ce doit être un noir", avant que les personnes présentes n'aperçoivent des groupes de gens qui, en pleurs et à genoux, chantaient dans une langue alors inhabituelle sous le Cupolone. Pour Bergoglio, le flottement surexcité de quelques drapeaux argentins montra tout de suite la nationalité de l'élu, qui avait assumé à la grande surprise le nom de "François" et qui par la suite étonna le monde par sa première approche simple, humble, de nature à susciter tout de suite la sympathie universelle (???). Autour de lui, de blanc vêtu, toutes ces figures en rouge pourpre même dans les loges latérales de la Basilique de Saint Pierre. Après deux ans on peut croire que quelques-unes de ces figures regrettent d'avoir voté pour l'archevêque de Buenos Aires, alors âgé de 76 ans, déjà proche de la retraite.

Les vertus de l'homme venu du bout du monde
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À l'homme venu - selon ses propres premiers mots - du "bout du monde" tous reconnaissent en tout cas quelques qualités de premier ordre. Même les critiques les plus sévères mettent en évidence sa volonté de fer (même si parfois, disent-ils, elle se manifeste plus comme de l'obstination) et aussi sa capacité empathique extraordinaire avec les personnes et les groupes (??). Nous ne sommes pas loin des Jardins du Vatican et, dans son appartement qui regorge de culture - de volumes théologiques, mais aussi d'homélies et de livres d'histoire de l'Église - un autre prélat de long cours observe: "Le Pape a une incroyable (pour son âge) force physique, qui lui est nécessaire pour poursuivre son premier objectif, celui de la ré-évangélisation du monde. Cette force soutient quotidiennement sa grande capacité pastorale: il peut approcher n’importe qui".

Un exemple? "Quelque chose qui est sous les yeux de nous tous chaque semaine, nous explique notre interlocuteur. Nous pensons aux audiences générales du mercredi. Il y a évidemment la catéchèse, à laquelle le Pape donne une très grande importance. Mais, à mon avis, encore plus important et gratifiant est pour lui le fait de passer dans la foule, de serrer les mains, caresser les enfants, saluer avec des gestes celui qui attire son attention… il semble même vous connaître, il vous regarde dans les yeux, il fait le geste de l'o.k. comme on fait avec de vieux amis… Il est même un vrai artiste dans son genre!"
Et sa santé d'homme de 78 ans? "Il est complètement absorbé par son service, il veut faire vite en raison de son âge, mais devrait prendre un peu plus de repos… manger moins de pâtes, même s'il en est gourmand!"
Et là, avec un sourire mi-satisfait mi-coquin, le consacré bien acculturé dans les secrètes choses retourne à ses cartes labourées.

Sainte Marthe? Pour et contre
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Une des premières décisions de François a été le choix de la Maison Sainte Marthe pour sa résidence.
L'édifice sert pendant le Conclave pour le gîte et le couvert des cardinaux électeurs; souvent pour l'hébergement des nonces apostoliques dans les contacts avec la Secrétairerie d'État ou aux conférences épiscopales nationale en visite ad limina. Jorge Mario Bergoglio réside dans un appartement sobre, mange dans un coin "protégé" de la salle à manger, reçoit dans l'après-midi ses interlocuteurs. Le matin par contre il reçoit en général dans le Palais apostolique, d'où il récite, chaque dimanche, de la célèbre fenêtre, l'Angelus et salue ceux qui ont afflué dans la place Saint Pierre.
Le choix de Sainte Marthe a suscité dès le début des réactions mitigées. Il y a celui qui, comme le prélat de l'appartement qui regorge de culture, considère que le Pape François a bien fait: "Il y gagne dans la connaissance de la réalité de l'Église dans le monde: il parle avec qui il veut, avec ceux qu'il rencontre et reste aussi au contact avec la vie quotidienne des employés… il parvient donc à échapper au danger d'une information très filtrée comme celle que ses prédécesseurs recevaient dans les Sacri Palazzi".
Il y a par contre ceux qui, comme notre premier interlocuteur, pense que vivre à Sainte Marthe n’est pas commode… "Il y manque une vraie vie privée, les déplacements inutiles sont nombreux, si on pense que la maison du Pape existe depuis des siècles!".
Et pas seulement. Une observation très fine est exprimée par un de ces ecclésiastiques qui fournissent un service précieux et apparemment modeste dans les bureaux du Vatican, et que j'ai rencontré par hasard pas loin du colonnato du Bernin, alors qu'il rentrait chez lui: "Vous savez, je ne veux pas discuter le choix du Pape qui a tout le droit de résider où il veut…et pourtant: N'était-ce pas beau de passer ici le soir, lever les yeux et voir la lumière du bureau du Pape au troisième étage du Palais Apostolique? C'était quelque chose de petit, mais de si réconfortant… on se sentait tout de suite en communion spirituelle avec le Pape…alors que maintenant la lumière n'y est plus et le Pape habite au-delà de la Place et de la Basilique: on ne peut plus l'imaginer derrière la lumière du troisième étage".

Parler "a braccio"? Le risque de débordement
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Jorge Mario Bergoglio parle beaucoup. Il parle "a braccio" pendant la messe matinale à Sainte Marthe (une des nouveautés du Pontificat), réservée chaque fois à quelques dizaines de personnes. Il parle à chaque occasion, il aime les interviews, même en avion avec les journalistes.
Nos interlocuteurs sont unanimes: "Il parle trop a braccio, il improvise trop, et finit par déborder: d'ailleurs, en de telles occasions, c'est une tentation à laquelle les argentins se soustraient difficilement… et pas seulement eux en Amérique Latine".
Plein d'exemples sortent des bouches des ecclésiastiques qui ont accepté (sous couvert de l'anonymat) d'être inclus dans ce reportage.

Ainsi, notre premier interlocuteur: "L'idéal de trois enfants par famille? Il l'a dit, il l'a dit dans la conférence de presse sur le vol de retour de Manille… La comparaison entre les familles catholiques et les lapins? Il l'a faite, il l'a faite toujours dans la même occasion du voyage apostolique… on ne peut pas s'étonner si par la suite de nombreux braves catholiques se sont sentis offensés!"

Particulièrement critiqué est ce "Qui suis-je pour juger?" (Note de l’auteur: première partie d'une réflexion bien plus complexe, sur le vol de retour du Brésil) (*) réservé aux homosexuels: "Avec cette phrase exploitée par de nombreux médias, le Pape François a nui à l'Église - relève cinglant un interlocuteur, avec qui nous déjeunons dans une 'trattoria" du Trastevere - et il a involontairement favorisé l'avancée du lobby gay, qu'il affirme combattre."
À Jorge Mario Bergoglio, à qui on reconnaît l'habileté de mettre en évidence chaque fois les trois points les plus importants de chacune de ses interventions, il est reproché une banalité de langage non rare, surtout dans les homélies à Sainte Marthe, où l'on retrouve - remarque le trasteverin, "avec une singulière fréquence, des invectives contre les ‘pharisiens’ ainsi que la condamnation du ‘terrorisme des commérages’". Lesquels, ajoute notre aimable ecclésiastique, "doivent être pour le Pape François une sorte de cauchemar… mais il confond peut-être les commérages avec les critiques raisonnées… et ces dernières ne devraient pas l'irriter, puisque c'est lui-même qui les a sollicitées, par exemple lors du Synode".

Contradictions au sujet de la famille
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Au sujet de la famille, la Curie est en général critique à l'égard de François, dont elle ne comprend pas la manière de procéder en la matière.
Un curial relativement jeune, mais déjà bon connaisseur du monde, que j'ai rencontré au déjeuner au Borgo Pio, observe: "On n'arrive pas à comprendre où François veut en venir. À quelques déclarations de principe très fermes, il fait suivre des déclarations et des gestes qui suscitent incertitude et confusion chez de nombreux catholiques 'orthodoxes', pratiquants".
Comme chacun sait, le premier des deux Synodes sur la famille d'octobre dernier a été l'occasion pour relever de fortes divergences entre une minorité 'progressiste' très soutenue par les médias et une majorité bien plus prudente. En octobre prochain se tiendra le deuxième et dernier Synode sur la famille (où des propositions très précises seront votées) et la bataille fait rage.
Toujours le souriant "trasteverin" relève que François, tout en demeurant personnellement un conservateur (??), a par ailleurs "en lui la très forte tentation - même sur des sujets comme celui très délicat de la famille - de gagner le cœur de celui qui est en situation irrégulière selon la doctrine actuelle".
Ici s'affrontent certainement des groupes de cardinaux bien définis.
D'une part, ceux qui estiment que la doctrine catholique ne peut pas être diluée selon les caprices du monde, avec le cardinal Raymond Burke (transféré d'autorité de la Curie à l'Ordre de Malte), le cardinal Gerhard Ludwig Müller (préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi), le cardinal George Pell (Secrétaire d'État pour l'Économie), plusieurs cardinaux italiens et de l'est européen, presque tous les cardinaux africains avec en tête Wilfried Napier.
La crainte diffuse? Que François veuille adapter la praxis, changeant de facto la doctrine matrimoniale.
De l'autre côté on trouve les 'miséricordieux', ceux qui privilégient la praxis sur la doctrine: "Nous ne pouvons pas rester en arrière par rapport au monde". Parmi eux, les cardinaux allemands Walter Kasper, très proche du Pape, et Reinhard Marx (président du Conseil pour l'économie): l'archevêque de Münich et Freising a été très critiqué à Rome pour avoir récemment revendiqué le "droit" de l'Église allemande à faire par elle-même en matière de mariage, indépendamment des majorités synodales. Le cardinal curial suisse Kurt Koch a ici évoqué les chrétiens allemands qui se plièrent au nazisme du Troisième Reich; les propos de Marx ne sont applaudis non plus par le cardinal curial allemand Paul Josef Cordes qui les juge des "discours de bar" (comme il a écrit dans une récente lettre à "Die Tagespost"). Il faut remarquer qu'un cardinal "montant" comme le cardinal Luis Tagle (de mère chinoise) est proche des positions du groupe 'progressiste', qui comprend en général les cardinaux de l'Europe occidentale et latino-américains.

Protagoniste en politique extérieure
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Une matière en laquelle le Pape François obtient en général beaucoup de faveur est celui de la politique extérieure pontificale. Pietro Parolin, choisi comme Secrétaire d'État, est considéré "expert, prudent, mesuré, discret" par tous. Jorge Mario Bergoglio est par ailleurs apprécié pour les impulsions (ce sont parfois des gestes retentissants) données à la politique internationale, dans laquelle il semble être très considéré par le monde.
"C’est ce qui semble, mais la parole de François est-elle vraiment concrétisée? Parfois oui, sans doute", avoue notre premier interlocuteur.
L'idée d'une journée de jeûne et d'une veillée de prière pour la paix, surtout en Syrie (7 septembre 2013), a de facto bloqué l'attaque des USA et des alliés au Proche Orient. "De même, il faut certainement louer l'impulsion donnée au dégel des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis."
Appréciée, aussi, la prudence du Saint Siège dans le conflit ukrainien: "On ne peut pas humilier aujourd'hui la Russie, qui est notre alliée dans les questions anthropologiques et dans la protection des chrétiens au Proche Orient et en plusieurs parties du monde".
En revanche,l' "invocation pour la paix en Terre-sainte" faite dans les Jardins du Vatican le 4 juin 2014 a récolté de nombreuses critiques, mélangé à un consensus tiède: "Un beau geste - remarque, pensif cette fois, le 'trasteverin' - mais a-t-il servi à quelque chose?"
Une surprise en général grande et positive a été suscitée par le Pape quand le 12 avril, à Saint Pierre il a cité, sur les traces de Jean-Paul II, le "génocide arménien".
Dans tout cela, relève un expert diplomatique, espérons que la Turquie, après les tons durs utilisés et motivés aussi par des raisons de politique intérieure, reviendra dans quelques mois à des relations diplomatiques correctes.

Miséricorde? Elle a toujours existé
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Il y a deux mots sur lesquels le Pape François insiste souvent: "pauvreté" et "miséricorde".
Sur la "pauvreté" comme l'entend le Pape, l'ecclésiastique notre premier interlocuteur est très caustique: "Quand le Pape en parle, il garde toujours à l'esprit le contexte latino-américain, comme si l'Église n'était que latino-américaine. Mais l'Église est universelle et la pauvreté la plus grande est celle spirituelle, comme on le voit surtout dans un Occident où les catholiques sont en chute constante. Malheureusement le Pape ne s'intéresse que peu ou pas du tout à l'Europe: je pense qu'en tout cas il la considère déjà 'perdue'. C'est toutefois une terrible erreur que de croire que l'Église universelle ait son centre dans les villas miserias".

Quant à la "miséricorde" (le Pape vient d'annoncer un Jubilé extraordinaire du 8 décembre 2015 au 20 novembre 2016), le prélat bien acculturé soupire. Il observe d'abord le déploiement rangé de ses livres et puis, levant les yeux au ciel: "Mais chaque Jubilé est déjà un Jubilé de la Miséricorde, à partir de ceux de l'Ancien Testament. Pourquoi le Pape François a-t-il cette 'fixation' sur la miséricorde? Je crois qu'il veut 'acheminer' le synode d'octobre sur la famille, de sorte que les père synodaux se sentent presque contraints à la 'miséricorde' - qui ne serait pas telle en réalité - sur les questions épineuses de la communion aux divorcés remariés et de l'accueil dans les 'unions homosexuelles' ".

Bien en économie, mais...
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Le pape récolte un plus large consensus en ce qui concerne la réforme du secteur économique et financier du Vatican. Il est vrai que ceux qui ont été pénalisés par des changements de substance dans ce domaine gardent rancune, mais ne le montrent pas publiquement. La transparence adoptée en la matière est vue par plusieurs comme une nécessité urgente. Même par notre premier interlocuteur: "En matière financière il y avait des aspects tout à fait insoutenables du point de vue de l'éthique chrétienne. Bien donc le nettoyage, bien la transparence sans aucune condition."
Évidemment, "on ne peut pas jeter le bébé avec l'eau du bain: l'Église doit pouvoir disposer de beaucoup d'argent, pour les missions par exemple. Il doit être de l'argent propre, mais il doit être, sinon l'Église ne pourrait pas concrétiser l'annonce évangélique dans le monde".
C'est peut-être l'aspect sur lequel - en appliquant la volonté de fer de François et déjà en partie celle de Benoît XVI, très freiné par son administration - on a réussi à parcourir en deux ans une voie concrète et nouvelle. Avec beaucoup de résistance, sans doute, beaucoup de difficultés. Mais finalement on y a réussi.

Les "deux Papes"
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Nous avons mentionné Benoît XVI.
Eh bien, comment sont les rapports entre le Pape régnant et le Pape émérite, une co-présence historiquement inédite au Vatican?
"Les rapports sont bons, souligne un dernier ecclésiastique, profond connaisseur de l'histoire de l'Église, qui vit dans l'aire de Sainte Marthe - et il ne peut pas être autrement. Benoît est aussi intelligent que correct: donc, même s'il n'était pas d'accord avec beaucoup de façons du magistère du pape François, il ne le dira jamais. En premier vient le bien de l'Église, avec la salus animarum".

On pourrait écrire bien d'autres choses sur le thème des rapports entre la Curie et le pape François. Nous avons essayé dans ces lignes - un aperçu incomplet - de mettre en évidence quelques-uns des aspects les plus importants. Dans l'espoir d'avoir donné au lecteur - grâce aux voix des ecclésiastiques qui ont prêté leurs réflexions - quelques instruments utiles pour mieux interpréter une réalité très complexe et souvent injustement réduite en caricature.

Annexe

(*) Pour en finir avec le couplet sempiternel sur le fameux "Qui suis-je pour juger?"
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Il est pénible d’entendre répéter inlassablement par les pro-Bergoglio que la phrase du Pape a été volontairement tronquée, dans le but de l’exploiter à des fins qui n’étaient pas dans ses intentions. Mais ceux qui affirment cela omettent soigneusement de rappeler le contexte, qui est ici très important :
Le Pape avait dû répondre à une question de journaliste à propos de Mgr Ricca, qu’il venait de nommer prélat de l’IOR, malgré son homosexualité notoire, et son comportement scandaleux.
François se justifiait donc d’une nomination qui faisait (et qui continue de faire) jaser. Il était sur la défensive.
C’est Sandro Magister qui avait soulevé le « lièvre ».
Une série d’article sur mon site (cf. benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/affaire-ricca-deux-poids-deux-mesures), datant de juillet 2013, donc AVANT la célébrissime interview - qui elle remonte au 29 juillet - prouve que l’on était en plein dans ce qu’on aurait pu appeler « l’affaire Ricca » (qui serait devenue une secousse sismique de magnitude 9 sous Benoît XVI!!!), et qui devait être par la suite éclipsée par la boutade du Pape, faisant de ce dernier un héros planétaire.

Voici pour mémoire l’échange EN ENTIER, tel qu’il est rapporté sur le site du Vatican:

Ilze Scamparini :
Je voudrais demander la permission de poser une question un peu délicate : Une autre image a fait un peu le tour du monde : celle de Mgr Ricca, ainsi que des informations sur sa vie privée. Je voudrais savoir, Sainteté, ce que vous comptez faire sur cette question ? Comment affronter cette question et comment Sa Sainteté entend-elle affronter la question du lobby gay ?

Pape François :
En ce qui concerne Mgr Ricca : j’ai fait ce que le Droit Canonique demande de faire : une investigatio previa. De cette investigatio, il n’y a rien de ce dont on l’accuse; nous n’avons rien trouvé. Voilà la réponse. Mais je voudrais ajouter autre chose là-dessus : je vois que souvent dans l’Église, au-delà de ce cas et aussi dans ce cas, on va chercher les « péchés de jeunesse », par exemple, et on les publie. Pas les délits, eh ? Les délits c’est autre chose : l’abus sur mineurs est un délit. Non, les péchés. Mais si une personne, laïque ou prêtre ou sœur, a fait un péché, et ensuite s’est convertie, le Seigneur pardonne, et quand le Seigneur pardonne, le Seigneur oublie et cela est important pour notre vie. Quand nous allons nous confesser et que nous disons vraiment : « J’ai péché en ceci », le Seigneur oublie ; et nous, nous n’avons pas le droit de ne pas oublier, parce que nous courrons alors le risque que le Seigneur n’oublie pas nos péchés. C’est un danger. C’est important : une théologie du péché. Souvent je pense à saint Pierre : il a fait l’un des pires péchés, celui de renier le Christ ; et avec ce péché il a été fait Pape. Nous devons y penser beaucoup. Mais, revenant à votre question plus concrète : en ce cas j’ai fait l’investigatio previa et nous n’avons rien trouvé. Ça c’est la première demande. Ensuite, vous parlez du lobby gay. Bah ! On écrit beaucoup sur le lobby gay. Je n’ai encore trouvé personne au Vatican qui me donne sa carte d’identité avec « gay ». On dit qu’il y en a. Je crois que lorsqu’on se trouve avec une telle personne on doit distinguer le fait d’être « gay », du fait de faire un lobby ; parce que les lobbies, tous ne sont pas bons. Celui-ci est mauvais. Si une personne est gay et cherche le Seigneur, fait preuve de bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? Le catéchisme de l’Église catholique l’explique de manière très belle, mais il dit, attendez un peu comment il dit… il dit : « Nous ne devons pas mettre en marge ces personnes pour cela, elles doivent être intégrées dans la société ». Le problème n’est pas d’avoir cette tendance, non, nous devons être frères, car ceci est une chose, mais s’il y a autre chose, autre chose. Le problème est de faire de cette tendance, un lobby : lobby des avares, lobby des politiciens, lobby des maçons, beaucoup de lobby. Voilà le problème le plus grave pour moi. Et je vous remercie beaucoup pour avoir fait cette demande. Merci beaucoup !

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