Les Papes et Fidel Castro

En marge du voyage de François à Cuba, <Rorate Caeli> se demande si l'Eglise s'est "rendue" au dictateur cubain, alors que le Pape lui témoigne publiquement ses "sentiments de considération spéciale et de respect".

>>> Sur le site du Vatican
¤ Le voyage de François à Cuba
¤ Et, pour mémoire, celui de Benoît XVI en mars 2012 .

>>> ICI, les pages spéciales de ce site consacrées au voyage de Benoît XVI au Mexique et à Cuba, du 23 au 28 mars 2012.

>>> Et le récit (par l'Osservatore Romano) de la rencontre de Benoît XVI avec Fidel Castro, le 28 mars: La rencontre de Benoît XVI avec Fidel Castro .

* * *

Je dois à la vérité de dire qu'à l'époque, il avait déjà été reproché à Benoît XVI de ne pas avoir condamné le communisme avec suffisamment de fermeté, comme cela est rapporté ici: benoit-et-moi.fr/2012-I (je ne suis plus sûre que je traduirais encore aujourd'hui le "plaidoyer" interchangeable de Massimo Introvigne, mais les arguments de Jeanne Smits restent parfaitement pertinents).
D'ailleurs, l'article qui suit, citant les propos de Benoît XVI dans l'avion vers le Mexique, lui rend justice sur ce point. Et surtout, pour les media, tout ce qu'il faisait était MAL, a priori. Ce n'est plus du tout le cas pour son successeur - et cela suffit à rendre soupçonneux: voilà deux jours que les radios et les télévisions, chantent unanimement et en boucle les louanges du "Pape des pauvres" (sic!), à l'aide de micro-trottoirs soigneusement filtrés, allant même jusqu'à sur-évaluer l'assistance à la messe de La Havane (un million de personnes, ai-je entendu sur Europe 1!) et s'extasiant de façon décidément très suspecte sur le "recueillement" des "fidèles" (un million de fidèles à Cuba, vraiment???).

L'Église s'est-elle rendue à Fidel Castro?

rorate-caeli.blogspot.com
21 septembre 2015
(ma traduction)

* * *

Comme cela a été amplement rapporté dans les médias laïques, François a rencontré hier (dimanche 20 Septembre) l'ex-dictateur de Cuba aujourd'hui retiré, Fidel Castro. Selon de bonnes sources, c'est François, et pas M. Castro, qui a demandé cette rencontre; elle n'était pas sur l'agenda officiel de la visite. François a formulé explicitement ses "sentiments de respect et de considération" pour Fidel Castro (1) lors de son premier discours à Cuba, samedi soir et leur rencontre fut, pour reprendre les mots du Père Federico Lombardi, "familière et informelle", tous deux parlant de "protection de l'environnement et des grands problèmes du monde contemporain". Lombardi note également que l'échange entre François et Castro était "plus une conversation" (en d'autres termes, plus détendu et cordial) que la rencontre de 2012 entre Castro et le pape Benoît XVI, quand le premier avait bombardé ce dernier de questions.

À la fin de la rencontre d'une demi-heure, François a donné à Castro plusieurs CD et livres, y compris des exemplaires de ses deux encycliques et (selon certaines sources) un livre écrit par ancien professeur de ce dernier, le jésuite espagnol Armando Llorente. En retour, Castro a donné à François un exemplaire de "Fidel et la religion", publié en 1985 et basé sur une interview de Castro par le théologien de la libération catholique brésilien Frei Betto.

Certains journalistes spécialisés dans les affaires de l'Église vont sûrement essayer de tourner cela comme une tentative de la dernière chance, de la part de François, pour convertir Castro, ou comme faisant partie d'un qui pro quo destiné à permettre à François de rencontrer des dissidents cubains militant pour la liberté politique et religieuse face à la tyrannie communiste persistante, ou encore comme une petite concession à l'ego du père de la dictature cubaine afin de donner à l'Église une plus grande influence dans sa lutte pour davantage de liberté dans l'île. Si c'était pour aider indirectement les dissidents de Cuba, alors l'échec a été immédiat: de nombreux médias religieux et laïques (comme celui-là) parlent aujourd'hui de deux dissidents qui avaient été invités à deux rencontres informelles avec François, le samedi et le dimanche soir. Malheureusement, aucun d'eux n'a pu s'y rendre parce qu'ils ont été arrêtés par les forces de police du régime communiste.

Comme catholiques, nous espérons et prions évidemment pour la conversion des Castro, mais nous n'avons aucune illusion sur les difficultés qui se dressent sur ce chemin.

À la lumière des paroles publiques d'estime pour Fidel prononcées par François dans son premier discours à Cuba (1), l'interprétation la plus raisonnable que nous puissions donner de cette rencontre est que ce fut une expression de profonde sympathie de François pour Fidel Castro et une grande partie de ce qu'il représente. Il n'y a jusqu'à présent absolument rien dans les discours et homélies de François à Cuba qui indique qu'il souhaite que l'Eglise affronte plus vigoureusement les iniquités du régime actuel. Des appels génériques au "service" et au "soin" des autres, ou ses déclarations sur "le service qui n'est pas se servir soi-même" ou "le service n'est jamais idéologique", peuvent et vont toujours être lues de manières différentes et contradictoires, qui ne mettront pas toutes mal à l'aise les frères Castro et leur régime. Certains (comme John Allen!) ont essayé de trouver dans les paroles du pape jusqu'à présent à Cuba une «critique discrète» du régime; si c'est le cas, elles sont si discrètes qu'elles sont à peine ressenties comme contenant une quelconque critique.

Les comparaisons seront sûrement faites avec Benoît XVI qui a également rencontré Fidel Castro en privé lors de son voyage à Cuba en 2012 (mais sans que le pape n'en fasse l'éloge, ou même le mentionne en public à aucun moment de sa visite). Il y avait une grande différence avec Benoît XVI, cependant: en route vers le Mexique (où s'était rendu juste avant Cuba), Benoît XVI avait parlé aux journalistes et énoncé une discrète - oui, discréte - mais claire et sans équivoque dénonciation du système marxiste cubain:

Votre Sainteté, tournons-nous vers Cuba. Tous se souviennent des célèbres paroles de Jean-Paul II : «Que Cuba s’ouvre au monde et que le monde s’ouvre à Cuba». Quatorze années sont passées, mais il semble que ces mots soient encore actuels. Comme vous le savez, au cours de l’attente précédant votre voyage, les voix de beaucoup d’opposants et de défenseurs des droits de l’homme se sont fait entendre. Sainteté, pensez-vous reprendre le message de Jean-Paul II, en pensant tant à la situation intérieure de Cuba qu’à la situation internationale ?

Comme je l’ai dit, je me sens dans une absolue continuité avec les paroles du Saint-Père Jean-Paul II, qui sont encore tout à fait actuelles. Cette visite du Pape a inauguré un chemin de collaboration et de dialogue constructif ; un chemin qui est long et exige de la patience, mais qui se poursuit. Aujourd’hui, il est évident que l’idéologie marxiste telle qu’elle était conçue ne répond plus à la réalité : on ne peut plus répondre ainsi et construire une société ; il faut trouver de nouveaux modèles, avec patience et de manière constructive. Dans ce processus, qui exige de la patience mais aussi de la fermeté, nous voulons aider dans un esprit de dialogue, pour éviter des traumatismes et pour aider le cheminement vers une société fraternelle et juste comme nous le désirons pour le monde entier et nous voulons collaborer dans ce sens. Il est évident que l’Église est toujours du côté de la liberté ; liberté de conscience, liberté de religion. Nous apportons notre contribution dans ce sens, comme l’apportent également sur ce chemin vers l’avant les simples fidèles.
(w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr)


François n'a jusqu'ici rien dit d'une telle force, ou d'une clarté comparable, immédiatement avant ou pendant cette visite. Naturellement, en tant que catholiques, nous prions et nous espérons qu'il va nous surprendre. Néanmoins, nous avons maintenant toutes les raisons de craindre que le dissident cubain cité par le Guardian ait raison:

Ángel Moya, un militant pro-démocratie de premier plan, a exprimé sa déception que François n'ait pas été plus explicite sur le sujet des droits de l'homme, contrairement à son prédécesseur.
"Jean-Paul a parlé clairement, mais le pape actuel est trop mou en ce qui concerne les droits de l'homme. Les Cubains ont une vie difficile, mais il n'a pas été assez catégorique en parlant des libertés civiles", a-t-il déclaré au Guardian.
Moya et son épouse Berta Soler - leader du groupe dissident des Dames en blanc - font partie des personnes détenues pendant plusieurs heures le dimanche par des agents de la Sécurité cubaine, pour les empêcher de participer à la messe papale place de la Révolution.
Moya - qui a été emprisonné pendant huit ans - a dit le groupe avait pas d'autres actions prévues lors de la visite du pape, mais qu'ils poursuivraient leur campagne.
"Nous allons défendre nos droits avec ou sans le pape. Il n'est pas un libérateur. Il appartient aux Cubains de se battre pour leur liberté ".

NDT:
(1) Et je voudrais vous demander, Monsieur le Président, de transmettre mes sentiments de considération spéciale et de respect à votre frère Fidel. Je voudrais aussi que mes salutations arrivent, en particulier, à toutes ces personnes que, pour divers motifs, je ne pourrai pas rencontrer et à tous les Cubains dispersés à travers le monde. (w2.vatican.va)
On comparera ce discours avec celui prononcé par Benoît XVI en arrivant à Cuba le 26 mars 2012.

On comparera également avec la philippique ahurissante de François contre Horacio Cartes, le président (conservateur!) du Paraguay le 11 juillet dernier (Sandro Magister était l'un des rares à oser évoquer LA GAFFE COLOSSALE D'ASUNCIÓN, cf. benoit-et-moi.fr/2015-II/actualite/limites-de-la-communication-papale)