Limites de la communication papale

Un article du nouveau responsable de la com du Vatican décrypté par Sandro Magister. Et l'incroyable affront au président paraguayen... conservateur!

>>> Sur ce sujet, voir aussi: Le dogme de la faillibilité du Pape

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Ci-dessous: Le Pape avec le président du Paraguay Horatio Cartes, le 11 juillet à Asuncion



Dario Vigano, le nouveau responsable de la com' du Vatican, s'est fendu sur l'Osservatore Romano du 15 juillet d'un éditorial enthousiaste sur le style communicationnel du Pape (un résumé en français est ici, texte complet en italien ). Disons que ce n'est pas un ingrat... On appréciera au passage le jargon utilisé par le communicant fraîchement promu....
Plus grave, comme me le fait observer Marie-Christine, l'exaltation de l'oralité spontanée au détriment de l'écrit ennuyeux et empesé, peut sembler un affront direct à Benoît XVI. Mais c'est vrai que depuis deux ans, nous sommes passés de l'ombre à la lumière. Passons.

Sandro Magister qui semble avoir bien "digéré" le retrait de son accréditation auprès de la salle de presse du saint-Siège, se penche de son côté sur les limites de cette communication en roue libre, en prenant comme point de départ le discours du Pape devant les représentants de la société civile au Paraguay, et l'incroyable affront public fait à son président (conservateur!!! heureusement!!)

Viganò fait l'herméneutique du Pape, mais il oublie la gaffe colossale d'Asunción

magister.blogautore.espresso.repubblica.it
18 juillet 2015
(ma traduction)
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Dans la conférence de presse sur le vol de retour du voyage en Equateur, en Bolivie et au Paraguay (texte en italien ici), François a utilisé un mot pour lui insolite: «herméneutique» (ndt: on sait que ce mot a été popularisé par Benoît XVI dans son discours de voeux à la Curie romaine en décembre 2005, qui en avait fait en quelque sorte la marque de son Pontificat).
En quelques minutes, il l'a répété onze fois et a demandé qu'on l'applique à lui-même, à ses paroles qui se prêtent effectivement souvent à des interprétations ambiguës, polyvalentes.

Et voilà qu'arrive ponctuellement, deux jours plus tard dans "L'Osservatore Romano", la première déclaration publique de Mgr Dario Viganò dans son nouveau rôle de préfet du néo-Secrétariat du Vatican pour la communication, entièrement consacrée précisément au «style communicationnel de Bergoglio entre oralité et concret»:
Comme base de son étude de cas du style de communication de François, Vigano a pris le discours prononcé par le pape aux jeunes du Paraguay, dans la soirée du 12 Juillet: un discours a braccio, après avoir abandonné le texte écrit précompilé.

Viganò écrit:

Je crois que la clé pour comprendre la pratique communicationnelle du Pape François est à rechercher à partir des études désormais classiques sur le rapport entre oralité et écriture. Un discours préparé est ennuyeux, car c'est un texte conçu sous forme écrite. Cela sonne certainement bizarrement pour le Pape François, homme « de l'âge de pierre ». Nous savons en effet combien l'écriture, par rapport à l'oral, a privilégié l'aspect synthétique, analytique, l'objectivité, la pensée abstraite.
Le style du Souverain Pontife se présente en revanche comme un style redondant, capable de comprendre la force déterminante du contexte – le rappel à l'herméneutique durant la conférence de presse lors du voyage retour d'Amérique du sud a été intentionnel – et du caractère concret.
Loin d'être négative, la redondance apparaît plutôt comme une exigence intrinsèque de quelqu'un qui communique oralement, appelé à avancer à vitesse pédestre (con velocità pedonale) sur les sentiers de la parole, et avec une démarche en zigzag, c'est-à-dire par la répétition fréquente de ce qui a déjà été dit».


Et il conclut:

La parole du Pape François emprunte la voie de l'antique pratique du bouche à oreille, qui à son tour crée reconnaissabilité et stabilité chez les interlocuteurs - authentique communauté - déclenchant une réticularité basé sur le goût d'une étreinte renouvelée entre l'humanité et l'Evangile. (...!!)



Redondance, répétition, démarche en zigzag .... Si, toutefois, Mgr Viganò avait pris comme étude de cas non pas le discours de François aux jeunes du Paraguay, mais celui tenu par le pape la veille, toujours à Asuncion, aux représentants de la société civile, il aurait pu relever non seulement les bénéfices, mais aussi les sérieuses limites d'une «oralité» communicative trop désinvolte.

Là, à un certain moment, François dit textuellement, a braccio (ICI, le texte n'est pour le moment pas traduit en français sur le site du Vatican):

«Il y a des choses, avant de conclure, auxquelles je voudrais faire référence. Et en cela, puisqu'il y a des politiciens ici présents, il y a aussi le Président de la République, je le dis fraternellement. Quelqu'un m'a dit: "Ecoutez, un tel se trouve séquestré par l'armée, faites quelque chose!". Je ne dis pas si c'est vrai ou pas vrai, si c'est juste ou pas juste, mais l'une des méthodes qu'avaient les dictatures du siècle dernier, c'était d'éloigner les gens, ou par l'exil ou par la prison; ou, dans le cas des camps d'exterminations nazis ou staliniens, elles les éloignaient avec la mort. Afin qu'il y ait une vraie culture dans un peuple, une culture politique et du bien commun, il faut rapidement des jugements limpides, des jugements clairs. Et il ne faut pas d'autre type de stratagème. La justice limpide, claire. Cela nous aidera tous. Je ne sais pas si cela existe ici ou pas, je le dis avec tout le respect. On me l'a dit quand je suis entré, on me l'a dit ici. Et que je demande pour je ne sais qui ... Je n'ai pas bien entendu le nom».


Le nom que François n'avait «pas bien entendu» était celui d'Edelio Murinigo, un officier séquestré depuis plus d'un an non pas par l'armée régulière du Paraguay - comme le pape l'avait compris - mais par un soi-disant “Ejército del pueblo paraguayo“, un groupe terroriste marxiste-léniniste actif dans le pays depuis 2008.

Pourtant, malgré son ignorance déclarée et soulignée de l'affaire, François n'a pas craint d'utiliser les quelques rares données confuses, mal saisies par lui juste avant par bouche à oreille pour accuser «fraternellement» le président paraguayen innocent d'un crime assimilé aux pire méfaits nazis et staliniens.

Honneur au président Paraguayen Horacio Cartes, pour le comportement de seigneur avec lequel il a laissé tomber dans le vide l'impressionnant affront public.

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NDT:
Apparemment, le malheureux président Cartes s'est pris au cours de la même rencontre une autre volée de bois vert du pape, relatée ici sur Le Monde.fr.