Nouvel imbroglio au Vatican

La directrice d'une maison qui édite des livres pour enfants faisant la promotion du 'gender' a reçu une lettre d'encouragement du Pape, non... en réalité de la Secrétairerie d'Etat. Détails et commentaire de Riccardo Cascioli

«Petit oeuf était fatigué et satisfait. Il avait connu de nombreux types de familles: toutes semblaient un bel endroit pour grandir»

L'affaire, et ses retombées médiatiques, ont fait grand bruit, suscitant des réactions très vives dans certains milieux.
Elle est assez bien résumée par cet article de l'AFP (qui peut croire que l'une des principales agences dans le monde a gobé la version de "la" Pardi?), repris par le site du Point sous un titre tonitruant :

Le pape François a envoyé sa bénédiction à Francesca Pardi, auteur et éditrice de livres pour enfants sur l'homoparentalité en Italie, qui lui avait fait parvenir ses livres décriés par une partie des catholiques. Le Vatican a cependant pris soin de préciser qu'il s'agissait d'une correspondance privée qui ne remettait pas en cause la doctrine de l'Église condamnant la "théorie du genre".
Mère de quatre enfants, Francesca Pardi a fondé avec son épouse la petite maison d'édition Lo Stampatello, qui publie des ouvrages comme "Petit Oeuf", "Le grand et gros livre des familles" ou encore "Pourquoi tu as deux mamans" présentant différents types de familles "sans ériger de modèle", a-t-elle expliqué vendredi à l'AFP. Ce sont d'ailleurs en partie ces livres que le nouveau maire de Venise, Luigi Brugnaro (centre droit), a bannis cet été des écoles de sa ville, provoquant de vives réactions en Italie et au-delà.
(...)


Disons-le tout de suite: même si le trouble, et même l'indignation, y sont perceptibles, le compte-rendu de Riccardo Cascioli est (trop?) modéré et on peut trouver excessive sa défense du pape (ou alors, la critique est subliminale), mettant en cause à la place les bureaux de la Curie (1). C'est un peu facile, de s'en prendre aux sous-fifres (s'il ne s'agit pas d'une stratégie).
Mais il ne craint pas de désigner très explicitement le fameux "lobby gay" qui a infiltré le Vatican - jusqu'aux étages les plus élevés du Palais Apostolique (et aussi Sainte Marthe!).
Même s'il est certain que le pape lui-même n'a pas répondu à Francesca Pardi (on est loin des débuts du pontificat, où la légende courait qu'il répondait en personne à toutes les lettres, de même qu'il décrochait lui-même le téléphone) et plus que probable qu'il n'a même pas été informé de la lettre, c'est son attitude et ses propos qui ont rendu possible un tel malentendu, et crédible une intervention de sa part. Et bien entendu, les médias ont sauté sur l'occasion.

Pape et gender, nouvel imbroglio au Vatican


Riccardo Cascioli
29 août 2015
La Nuova Bussola
Ma traduction

Allons droit au but: si j'écrivais au pape une lettre courtoise faisant l'éloge du satanisme ou rappelant la nécessité - toujours sur un ton poli et respectueux - d'exterminer une partie de l'humanité, peut-être à travers l'avortement et l'euthanasie, je devrais donc m'attendre à une réponse de la Secrétairerie d'État, au nom du pape, me souhaitant «une activité toujours plus profitable au service de la diffusion des valeurs humaines et chrétiennes authentiques»?

Question stupide? Pourtant, c'est ce que le Saint-Siège voudrait nous faire croire, à lire la note clarifiant le énième imbroglio de la communication vaticane. Hier matin, la nouvelle lancée par le Corriere della Sera, annonçant que François avait écrit à Francesca Pardi, fondatrice de la maison d'édition pour enfants Lo Stampatello, avec sa compagne Maria Silvia Fiengo, a rebondi dans les journaux du monde entier. Le motif de cette agitation? Le fait que la maison d'édition en question est spécialisée dans la publication de petites histoires qui font passer la culture homosexualiste avec le lait du biberon ("Picolo uovo" - Petit oeuf, et "Perché hai due papà" - Pourquoi as-tu deux papas, sont les plus connus). Comme par hasard, certains de ces petits livres sont parmi ceux qui sont interdits dans les écoles communales de Venise par le maire Brugnaro.

C'est la Pardi elle-même qui a raconté son émotion indescriptible en recevant et en ouvrant la lettre arrivée du Vatican; imaginez, quand elle a lu que François lui souhaitait «une activité toujours plus profitable au service des jeunes générations et de la diffusion des valeurs humaines et chrétiennes authentiques» et lui accordait une bénédiction solennelle. A dire vrai, la Pardi et "Il Corriere" se sont laissés un peu emporter et dans le titre du Corrierone, les souhaits et la bénédiction sont devenus un fort encouragement à «aller de l'avant» dans son travail. Mais c'est bien connu, quand il s'agit de promouvoir une bonne cause, on peut gonfler un peu, "Repubblica" docet. Faire marche arrière, il est toujours temps, on sauve la face, mais en attendant, le résultat est là et personne ne reprend la rectification. C'est toujours la même filouterie. Mais qui dans ce cas n'aurait pas réussi si elle n'avait pas trouvé un très bon répondant au Vatican, et ce n'est certes pas la première fois.

En réalité, le pape n'a jamais lu la lettre de la Pardi, il n'a jamais songé à lui écrire personnellement.
Simplement, la lettre - comme beaucoup d'autres adressées au Saint-Père - s'est arrêtée à la Secrétairerie d'État où il existe un bureau spécial qui est en charge de répondre patiemment à tous: la signature est celle de l'assesseur Peter B. Wells, qui, au nom du Pape se sert, en fonction des lettres, d'une série de réponses standard (évidemment, plusieurs personnes travaillent à ce service, et tout ne passe pas par les mains de M%gr Wells). Et c'est ce qui est arrivé avec la Pardi, comme l'a ensuite expliqué le communiqué officiel du Bureau de Presse du Saint-Siège (mais seulement à midi après que la nouvelle ait déjà fait trois fois le tour du monde). Bref, il s'agirait d'une forme de courtoisie rituelle instrumentalisée à des fins idéologiques. La déclaration du Vatican dit en effet:

En réponse à une lettre au Saint-Père de Francesca Pardi, au ton poli et respectueux, la Secrétairerie d'État a accusé réception de celle-ci avec un style simple etpastoral, précisant ensuite qu'il s'agissait d'une réponse privée et donc pas destinée à publication (chose qui, malheureusement, a eu lieu).
En aucun cas la lettre de la Secrétairerie d'État n'entend avaliser des comportements et des enseignements non conformes à l'Évangile, et appelle même à «une activité toujours plus profitable au service des jeunes générations et de la diffusion des valeurs humaines et chrétiennes authentiques ». La bénédiction du pape dans la conclusion de la lettre est à la personne et non à des enseignements non conforme à l'enseignement de l'Église sur la théorie du gender, qui n'est pas le moins du monde changée, comme le Saint-Père l'a rappelé récemment à plusieurs reprises. Donc, une instrumentalisation de la teneur de la lettre est complètement hors de propos.

Tout est clair alors? Eh bien non, et même pas du tout. Un fait de ce genre est si grave qu'il ne peut pas ne pas susciter quelques questions; sans compter que c'est seulement le dernier (pour l'instant) d'une série de malentendus et d'incidents dans la communication qui vont tous dans la même direction.

Ceux qui tentent de minimiser (façon de parler), disent qu'à la Secrétairerie d'Etat, ils pondent ces réponses standard presque mécaniquement, sans trop s'attarder sur qui écrit et ce qui est écrit. Mais ceci n'est pas entièrement vrai: d'abord, ceux qui écrivent au Pape ne reçoivent pas tous une réponse (et de nombreux catholiques, y compris des consacrés, s'en plaignent) (1); la même Pardi prétend avoir déjà envoyé précédemment une autre lettre restée sans réponse (incroyable, la foi avec laquelle cette femme - qui se dit athée - persiste à s'adresser au pape). Donc, cela signifie que certains mécanisme de sélection existent. En second lieu, le contenu et la teneur de la lettre ne pouvaient pas passer inaperçus. Avec la lettre, dont le texte intégral a été publiée par la Pardi sur Facebook, sont arrivés tous les livres jusqu'à présent imprimés par la maison d'édition (trente): l'éditrice voulait en effet prouver au pape qu'il n'y avait dans ces textes aucune tentative d'endoctrinement 'gender'.

Dans la lettre, «au ton poli et respectueux» (il ne manquerait plus que cela!), la Pardi accuse de nombreux catholiques (plus ou moins ceux de la manifestation du 20 Juin) de la diffamer constamment, couvrant son travail «de boue» et «excitant» les gens contre elle et sa compagne (les citant même par leur nom dans les réunions publiques). Et dire qu'elles font tout cela par «amour du prochain», avec beaucoup de sacrifice, sans aide financière de personne. Au contraire, «de nombreuses organisations catholiques s'abaissent à des comportements indignes, déforment la réalité à ce sujet, elles qui devraient montrer une trempe morale supérieure: je voudrais tellement que cela cesse». Et ainsi de suite.

On peut être superficiel et expédier mécaniquement son travail, mais il est assez difficile de lire une lettre de ce genre (aussi parce que pour trouver la réponse standard appropriée, il faut au moins lire les lettres) sans entendre retentir une sonnette d'alarme. Une femme accuse des pires choses une bonne partie du monde catholique, demandant au pape de les faire cesser, et la Secrétairerie d'Etat se montre «reconnaissante pour le geste délicat et pour les sentiments qui l'ont suggéré», remercie, encourage et bénit? Mais quand a-t-on vu une chose pareille?

Et on ne peut pas dire que la presse se soit ensuite beaucoup échauffée: en plus de la lenteur des réactions, il s'agit d'une mise au point, le minimum syndical pour qu'il soit clair que l'enseignement de l'Eglise sur la théorie (sic!) du gender n'a pas changé, mais pas avant d'avoir jugé «polie et respectueuse» une lettre infamante envers une frange consistante de catholiques.

Si tout était réellement arrivé par superficialité, on devrait dire très franchement que dans ce bureau de la Secrétairerie d'État, il y a des imbéciles, dont on attend la destitution immédiate, pour donner au moins un signal de sérieux et de respect pour le pape, qui ne peut pas être exposé à faire une si piètre figure mondiale (à ce propos, il serait intéressant de savoir si tout cela est arrivé dans le dos da Mgr Wells).

Ou bien devons-nous penser qu'à côté de quelque fonctionnaire superficiel, il y en a aussi d'intéressés. Du reste, des ecclésiastiques tendant à promouvoir l'agenda gay, on en remarque de plus en plus, y compris dans les étages supérieurs du Vatican.
Et même en ce qui concerne la littérature pour enfants, ce n'est pas le premier incident. Les lecteurs les plus attentifs de la Bussola se souviendront de l'embarras considérable suscité il y a quelques mois en Argentine et en Espagne (cf. ICI), par la publication sur plusieurs quotidiens nationaux d'histoires pour enfants intitulées "Avec François près de moi", également parrainées par une fondation créée par l'ex-archevêque Bergoglio: les éditeurs avaient sournoisement inséré des histoires sur le modèle de celles de la maison d'édition Lo Stampatello, avec la promotion de plusieurs types de familles. Évidemment, tout avait été fait à l'insu du pape, mais en attendant, l'idée était passée que Bergoglio était d'accord avec ces textes (!!?)

Et dans ce cas aussi, malgré les clarifications, ce qui reste dans l'opinion publique, c'est l'idée que François a accompli un énième acte de rupture. Et les journaux laïques n'ont pas été les seuls à agir comme caisse de résonnance. Outre les retards et les timidités de la Salle de presse, nous ne pouvons manquer de souligner qu'un site d'information catholique comme Aleteia, très proche des cercles du Vatican, a donné une publicité supplémentaireaux idées de la Pardi.
La rusée éditrice précise également que le pape n'a pas écrit «Va de l'avant», comme le suggère le titre du Corriere, et même que la doctrine de l'Eglise sur le sujet n'a certes pas changé. Cependant, «les paroles du Pape certifient un changement de ton sur la question» (et cela va aussi dans le titre) et allons-y pour dire à quel point c'est beau une famille homoparentale, et combien il est juste et chrétien de la respecter. Comme le fait le Pape, et pas ceux du 20 Juin, qui au contraire la diffament.

Qui sait pourquoi viennent à l'esprit ces mots écrits dans un document de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (signé Ratzinger) en date du 1er Octobre 1986. Le document est intitulé "Lettre aux évêques de l'Église catholique sur la pastorale des personnes homosexuelles", il est court et simple, et cela vaut la peine de le relire en entier. Mais pour l'occasion, je voudrais rappeler, en particulier, les points 8 et 9, où il est dit:

(...) aujourd'hui, un nombre toujours croissant de gens, même à l'intérieur de l'Eglise, exercent une très forte pression sur elle pour l'amener à accepter la condition homosexuelle comme si elle n'était pas désordonnée et à légitimer les actes homosexuels. Ceux qui, au sein de la Communauté croyante, exercent ainsi une pression, ont souvent des liens étroits avec ceux qui agissent en dehors d'elle. Or ces groupes extérieurs sont mus par une vision opposée à la vérité sur la personne humaine, telle qu'elle nous a été pleinement révélée dans le mystère du Christ.
...
Au sein même de l'Eglise s'est formé un courant, constitué par des groupes de pression aux appellations diverses et de dimensions variées, qui tâche de se faire passer comme le représentant de toutes les personnes homosexuelles qui sont catholiques. En fait, ses adhérents sont pour la plupart des gens qui ignorent l'enseignement de l'Eglise ou cherchent d'une manière ou d'une autre à le saper. On tente de réunir sous l'égide du Catholicisme des personnes homosexuelles qui n'ont aucune intention d'abandonner leur comportement homosexuel. Une des tactiques utilisées consiste à affirmer, d'un ton de protestation, que toute critique ou réserve à l'égard des personnes homosexuelles, de leur activité et de leur style de vie, est purement et simplement une forme de discrimination injuste.
On assiste même, en certaines nations, à une véritable tentative de manipulation de l'Eglise pour obtenir le soutien, souvent bien intentionné, de ses pasteurs en faveur d'un changement des normes de la législation civile.


On ne peut pas être plus clair: il y a déjà trente ans, le cardinal Ratzinger avertissait qu'il existait un lobby gay dans l'Église, lequel, de mèche avec ceux extérieurs, travaille à subvertir l'enseignement catholique. Peut-être l'origine de l'incident d'hier n'a-t-elle aucun rapport, mais le sentiment que durant ces trente années, certains lobbyistes ont fait une belle carrière ecclésiastique, est très forte.

Note

(1) Une petite remarque en marge.
Ayant écrit à plusieurs reprises à Benoît XVI, j'ai à chaque fois reçu une réponse, sous la forme de la fameuse "lettre standard" de la Secrétairerie d'Etat, signée par l'assesseur Wells (des amis m'ont dit avoir fait la même expérience). Je ne me suis jamais fait d'illusion sur la valeur de la réponse, dont le caractère totalement impersonnel saute aux yeux les moins perspicaces. L'article illustre le processus, et confime ma certitude que ce genre de lettres n'arrive pas sous les yeux du Saint-Père, et même pas sous ceux de son secrétaire (ce que je comprends parfaitement). Il n'est donc pas nécessaire de bâtir un scenario autour - comme l'a pourtant fait la nommée Francesca Pardi, complaisamment relayée par les médias.
Attention, je ne veux pas dire que "ça ne sert à rien d'écrire au saint-Père" (je veux parler de l'émérite!). Je veux au contraire espérer qu'il est informé de la quantité de courrier qui arrive à son nom, et c'est important