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La foi chrétienne ne recherche pas les bravos (II)

Fin de la traduction de l'interview du cardinal Brandmüller au Frankfurter Allgemeine Zeitung. (30/10/2017)

>>> La foi chrétienne ne recherche pas les bravos (I)

La foi chrétienne ne recherche pas les applaudissements

Christian Geyer et Hannes Hintermeier
Frankfurter Allgemeine Zeitung
28 octobre 2017
Traduction d'Isabelle

* * *

L’amour peut-il être un péché ? Et si oui, qui peut le croire ? La polémique sur “Amoris Laetitia” enfle dans le monde entier – entre autres aussi à cause du silence obstiné du pape François.

Dans les “dubia” – les doutes – que vous-même et d’autres cardinaux avez adressés au pape, vous vous référez à l’encyclique “Veritatis Splendor” de Jean-Paul II et à la doctrine des “absolus moraux” qu’elle expose. Selon cette doctrine, il y a des choses qui ne sont jamais acceptables, quelles que soient les difficultés des circonstances ou les bonnes intentions que l’on peut invoquer. Au nombre de celles-ci, on comptait la mise à mort d’innocents, la torture ou l’adultère. Que vous ayez, sur le fond, tort ou raison d’émettre des réserves à l’égard d’ “Amoris Laetitia”, vos “dubia” , en tant que demande courtoise d’éclaircissement adressée au pape, ne nous paraissent pas choquants au premier abord. Au lieu des éclaircissements demandés, il y a eu des menaces et des insinuations. Vos questions ont été qualifiées de “questions de pharisiens”. Le président du Comité central des Catholiques allemands a dit qu’il s’agissait d’ ”infâmes et minables questions-pièges et de chausse-trappes”.

Nous prenons cela sereinement.

Mais vous comprenez que l’on trouve grave la publication des questions que vous avez adressées au pape ?

Peut-être, mais la publication des questions a eu lieu après que nous avons attendu plusieurs mois une réponse et un accusé de réception qui n’est jamais venu. Et surtout eu égard au fait que beaucoup de croyants avaient et ont toujours les mêmes questions et attendent une réponse. Nous, les cardinaux, nous ne vivons pas hors du monde. Nous avons beaucoup de relations. Combien de coups de téléphone, de lettres, de demandes recevons-nous, croyez-vous ? Tout cela nous dit : « pourquoi ne faites-vous rien, vous, les cardinaux ? » Enfin, nous avons prêté serment et sommes, par notre fonction, conseillers du pape. Nous avions demandé une audience et n’avons reçu aucune réponse à cette demande.

Voyons-nous juste en disant que la polémique sur “Amoris laetitia” est suspendue essentiellement à une note de bas de page, qui, d’après vous, est comme une faille par laquelle l’enseignement traditionnel est mis hors-jeu, puisque les circonstances et les intentions d’une action justifient qu’une action soi-disant mauvaise en soi – mise à mort d’innocents, torture, adultère – devienne une action permise “dans certaines circonstances” ?

Il s’agit ici surtout de la note 352. Et maintenant que l’on me dise que toute la tradition de théologie morale de l’Eglise peut être mise hors-jeu par une note de bas de page. On en appelle aussi aux Pères de l’Eglise.

Cette entreprise de réforme ne manque certes pas d’élégance. On laisse inchangées la doctrine traditionnelle, les vérités du catéchisme, mais on assouplit leur degré d’obligation, leur force contraignante. C’est en ce sens que le cardinal Walter Kasper a, dit-on, mis dans le mille quand il a dit : Rien n’est changé par ce texte d’“Amoris Laetitia” et pourtant tout a changé.

Ce que l’on produit là en fait de références n’a aucune pertinence. On s’est appuyé sur un auteur isolé qui, pour sa part, avait travaillé de manière non seulement négligente, mais aussi idéologique. Et alors on veut nous faire croire que l’on s’appuie sur les Pères. Je dis : quod non. Tout cela est une histoire peu glorieuse, c’est de la manipulation des sources. Et, en tant qu’historien on y est particulièrement allergique. On ne doit pas faire des choses pareilles.

Est-ce une impression trompeuse ou bien considérez-vous réellement, du point de vue de l’histoire de l’Eglise, le pontificat de François comme un épisode qui sera corrigé par ses successeurs ?

La question telle qu’elle s’est déjà posée est celle-ci : existe-t-il une autorité définitive et contraignante en matière de foi ? Elle existe. Lorsque Jésus a dit au revoir à ses disciples, il leur a dit : « Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde; allez et enseignez toutes les nations ». Puis il a dit : « Il est bon pour vous que je m’en aille, car ainsi peut venir l’Esprit de vérité, l’Esprit qui vous introduira dans la vérité tout entière et qui sera toujours avec vous ». Cela signifie que les Apôtres sont d’authentiques hérauts de l’Evangile du Christ. Les successeurs des Apôtres sont aujourd’hui le pape et les évêques. Il y a aussi un magistère de l’Eglise qui proclame de manière définitive, par l’autorité de Jésus-Christ, ce qu’est l’Evangile du Christ. Cette proclamation se fait de telle manière qu’elle oblige en conscience.

Ainsi, dans la ligne de vos propos, il n’y a pas de marge de manœuvre ?

Si je dis résolument non à l’annonce, je mets en jeu mon salut éternel, s’il s’agit d’un dogme. Un dogme ne peut être proclamé que par un concile universel ou par le pape seul sous certaines conditions bien précises et dans une forme particulière. C’est un dogme que le mariage est un sacrement et qu’il est, par suite, indissoluble. N’oubliez pas, je vous prie, que c’est le Concile de Trente (1546 jusqu’à 1564), qui, dans le contexte du scandale du mariage de Henri VIII et du double mariage, “autorisé” par Luther et Melanchthon, de Philippe de Hesse, a proclamé la doctrine permanente de l’Eglise comme un dogme formel.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Quel poids aurait une opposition à cette doctrine, si on prend en considération les fins dernières ?

Cela signifie que celui qui prétend que, tant que son conjoint légitime est en vie, on peut contracter une nouvelle union est excommunié ; car c’est là une doctrine erronée, une hérésie. Voilà pour celui qui l’affirme. Et celui qui le fait, commet un péché grave. Et en plus, celui qui a conscience d’avoir commis un péché grave, ne peut s’approcher de la table eucharistique que s’il a au préalable fait pénitence, s’est confessé et a reçu l’absolution. Si quelqu’un pense pouvoir contredire un dogme défini par un concile universel, c’est une chose très grave. C’est là ce qu’on appelle hérésie – et cela signifie exclusion de l’Eglise pour abandon du fondement commun de la foi.

Et celui qui, même en tant que pape, considère simplement cela comme adapté au monde d’hier et dit : je suis un homme d’aujourd’hui ?

Celui qui pense que cela est depuis longtemps dépassé par les développements sociaux et culturels, celui-là adopte le point de vue du modernisme classique de 1900. Qu’il le fasse, mais cela n’est plus catholique. Ces théologiens modernistes – j’entends modernistes au sens technique, pas de manière générique – n’ont rien fait d’autre que de s’approprier Hegel et l’évolutionnisme. En théologie, la conception évolutionniste a le sens suivant : l’homme est en évolution constante et vers le haut, passant d’un degré de conscience culturel à un autre. Et la religion évolue avec lui. Ainsi, ce qui hier était une erreur peut être vrai demain. Et inversement. Cette pensée évolutionniste, les modernistes du début du XXe siècle l’ont transposée à la théologie. Et cela a donné le « bazar » théologique d’aujourd’hui.

Le théologien libéral de Fribourg, Magnus Striet, a écrit, au début de l’année, dans la « Herder Korrespondenz » : si on entend dire actuellement que « Amoris Laetitia » n’a pas changé la doctrine de l’Eglise, mais l’a seulement comprise plus en profondeur, cela est déjà étonnant. On devrait plutôt dire ouvertement que la doctrine a été changée par ce texte.

Il a évidemment raison. Il existe encore des gens qui peuvent penser. Je suis vraiment inquiet à l’idée que quelque chose explose. Les gens ne sont pas bêtes. Le seul fait qu’une pétition avec 870 000 signataires adressée au pape en lui demandant une clarification reste sans réponse – comme n’obtiennent pas de réponse 50 savants de rang international – suscite en effet des questions. C’est vraiment difficile à comprendre.

Des critiques, à ce propos, reprochent au pape d’être autoritaire, derrière un sourire de façade, et de gouverner avec une politique douteuse en matière de ressources humaines : il substitue au personnel théologiquement formé des tâcherons de moindre qualité. A cela s’ajoute, dit-on, une révoltante mise en scène du synode – lorsque les bases d’ « Amoris Laetitia » furent discutées à Rome –, couplée à une subtilité jésuite.

Oui, de telles critiques – jusqu’aux articles de Ross Douthat dans le « New York Times » – s’entendent de plus en plus. Il y a des journalistes qui disent que l’atmosphère au Vatican est totalement changée, que l’on ne parle plus qu’avec ses amis intimes et que, lorsqu’on téléphone, on le fait avec le portable. Que puis-je dire de plus ?

Que pensez-vous réellement de la construction du “pape émérite” à laquelle Joseph Ratzinger fait appel pour lui-même ?

Dans toute l’histoire de l’Eglise on cherche en vain la figure du « pape émérite”. Et qu’un pape s’en aille maintenant et renverse une tradition bimillénaire, cela nous a bouleversés, nous les cardinaux, mais pas seulement nous. J’avais des invités le jour du Rosenmontag de 2013, une table intéressante. Nous venons de nous asseoir pour l’apéritif et attendons l’hôte qui manque encore, lorsqu’un journaliste m’appelle avec la question : Avez-vous déjà entendu ? J’ai pensé que cette nouvelle était une blague de carnaval. Du Rosenmontag.

Quel est, parmi les doutes que vous formulez dans le texte des “dubia”, le doute principal ? Comment tenteriez-vous de l’expliquer clairement, une fois encore, à un profane ?

D’abord : adresser au pape des « dubia », des doutes, des questions, a toujours été une manière de dissiper les ambigüités. Tout à fait normal. Ici, pour le dire simplement, la question est la suivante : Quelque chose qui hier était un péché, peut-il être bon aujourd’hui ? En outre, on demande s’il y a réellement des actes – c’est là la doctrine constante – qui sont toujours et dans toutes les circonstances moralement répréhensibles ? Comme, par exemple, le fait de tuer un innocent ou aussi l’adultère ? C’est à cela que ça revient. Si l’on devait répondre effectivement par oui à la première question et par non à la deuxième, alors, de fait, cela serait une hérésie et ensuite un schisme. Une scission dans l’Eglise.

Considérez-vous qu’il faille réellement envisager un schisme ?

Dieu nous en garde.

fin