Benoit-et-moi 2017
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Phase B

Le P. Scalese croit voir, dans le discours du 11 octobre - où le Pape, s'appuyant sur l'exemple de la peine de mort, invoquait un "développement de la doctrine" et une nécessaire modification du catéchisme -, un tournant du Pontificat (1/11/2017)

>>> Le texte du discours du 11 octobre:
w2.vatican.va

>>> Et aussi:
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Développement de la doctrine (premier compte-rendu du discours)
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Peine de mort: une réponse au pape
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Ne touchez pas au catéchisme (Père Antonio Livi)

Évoquant dans ces pages le discours prononcé par le Pape le 11 octobre dernier lors de la rencontre organisée par le Conseil Pontifical pour la promotion de la Nouvelle Évangélisation à l'occasion du XXVe anniversaire de la publication du CEC, j'écrivais (pardon de me citer!):

Le "développement doctrinal" est un instrument volontiers utilisé par les novateurs pour faire avancer leurs idées (...)
Il s'agissait cette fois de justifier un changement du catéchisme pour l'adapter à l'esprit du temps (et à l'agenda du nouvel ordre mondial), à propos de la peine de mort. Mais il est évident que le même discours peut s'appliquer à toutes les situations où l'on cherche à modifier subrepticement la doctrine, notamment la communion aux divorcés remariés, le mariage des prêtres, le sacerdoce féminin, etc...

Effectivement, beaucoup de commentateurs se sont focalisés sur le thème de la peine de mort; dans son dernier article, le Père Scalese souligne qu'il n'est pourtant ici que marginal, et identifie dans ce discours un moment peut-être capital, qu'il définit comme le début de la phase B du Pontificat: après la phase initiale, où il s'agissait de rassurer les fidèles en leur expliquant qu'on ne touche pas à la doctrine, mais que c'est l'attitude de l'Eglise envers les gens qui change, enveloppant cela sous le joli nom de "conversion pastorale", on passe à une phase où l'on affirme que la doctrine doit évoluer afin de répondre aux défis des temps qui changent..

Phase B

Père Giovanni Scalese CRSP
31 octobre 2017
querculanus.blogspot.fr
Ma traduction

* * *

Le 11 octobre dernier, c'était le 25e anniversaire de la publication du Catéchisme de l'Église catholique en 1992, à l'occasion du 30e anniversaire de l'ouverture du Concile Vatican II. La célébration a été marquée par une rencontre organisée par le Conseil Pontifical pour la Promotion de la Nouvelle Évangélisation (auquel, depuis 2013, a été transférée la compétence pour la catéchèse, précédemment confiée à la Congrégation pour le Clergé). Le Pape a adressé aux participants à la rencontre un discours, qui a eu une certaine résonance médiatique, surtout à cause de l'espoir qu'il exprimait que soit donné dans le Catéchisme «un espace plus approprié et plus en adéquation avec les objectifs exprimés [dans le discours]» au thème de la peine de mort, et du recours à l'image de la naphtaline pour stigmatiser une conception erronée de la tradition. Comme c'est souvent le cas, la focalisation sur le détail a fait perdre de vue le cadre de l'ensemble. Le discours du Pape méritait sans doute une plus grande attention, qui n'était pas seulement celle centrée sur certains aspects, tout compte fait, marginaux.

J'ai l'impression qu'il faut attribuer au discours du Pape François un caractère en quelque sorte «programmatique» de ce qui, à mon avis, sera la deuxième phase de son pontificat. Il me semble qu'en général, la valeur de certaines interventions pontificales a été sous-estimée. La même chose s'est produite avec Evangelii gaudium: pour beaucoup, moi y compris, cela semblait une simple exhortation apostolique post-synodale, qui rassemblait les résultats du Synode de 2012 sur la nouvelle évangélisation; on n'avait pas réalisé, ou du moins pas suffisamment, qu'elle contenait une grande partie du programme qui allait être mis en œuvre pendant le pontificat. Je pense donc que le discours d'il y a trois semaines pourrait contenir les lignes opérationnelles qui seront suivies dans la phase B du pontificat.

Pourquoi parler d'une seconde phase du pontificat? Parce que j'ai l'impression que nous nous trouvons face à un tournant décisif. La phase A du pontificat du Pape Bergoglio a été caractérisée par ce qu'il a appelé, dans Evangelii gaudium, «conversion pastorale» (n. 25). Certains ont parlé à ce propos d'un «changement de paradigme» (1); nous-mêmes avons parlé, peut-être avec une certaine témérité, d'une «révolution pastorale» (2). La caractéristique de cette première phase a été la sous-estimation de la doctrine en faveur de la pastorale: la doctrine - nous a-t-on répété avec insistance - ne change pas; ce qui change, c'est l'attitude de l'Église envers les gens. L'événement le plus significatif de cette première phase a été sans aucun doute la publication de l'exhortation apostolique Amoris laetitia.

On a l'impression que le discours du 11 octobre marque la transition vers une nouvelle phase, dans laquelle, tout en réaffirmant que la doctrine ne change pas, l'accent est mis sur la nécessité quelle progresse. Jusqu'à présent, cela n'avait jamais été dit; jusqu'à présent, on avait préféré ne pas parler de doctrine, si ce n'est pour la dévaloriser et se concentrer sur la pastorale. Aujourd'hui, en revanche, on reprend le discours sur la doctrine, pour dire qu'elle doit évoluer afin de répondre aux défis des temps qui changent. Je ne sais pas si on se rend compte du changement de perspective. J'inviterais à mes lecteurs à relire attentivement le discours du Pape afin de rendre compte de ce changement.

Je ne saurais dire si ce changement était planifié dès le départ et s'inscrit donc dans une stratégie spécifique, ou plutôt s'il s'est avéré nécessaire après avoir constaté qu'il n'est pas possible d'ignorer la doctrine. Il est illusoire de penser qu'il est possible d'exercer une pastorale qui n'aurait pas derrrière elle une doctrine bien définie. Si la doctrine dit A et que la pastorale fait B, il est évident qu'il y a quelque chose qui ne cadre pas; c'est pourquoi, ou bien l'on change la pastorale, uu bien l'on change la doctrine. Comme désormais, c'est la pastorale qui a la préséance, il est très compréhensible que l'on pense à une révision de la doctrine.

Le problème du «développement du dogme» n'est pas nouveau dans l'Église: puisque la tradition, comme le rappelle justement le Pape François, est une réalité dynamique, elle «progresse et croît vers un accomplissement que les hommes ne peuvent entraver». Le développement de la tradition n'est pas seulement possible et légitime, mais il est même nécessaire: exclure a priori toute nouveauté dans la tradition peut avoir des conséquences inimaginables. Pensons par exemple aux vétéro-catholiques (3) qui, au nom de la tradition, ont rejeté le dogme de l'infaillibilité pontificale, défini dans le Concile Vatican I et considéré par eux comme une nouveauté inacceptable, et qui se sont donc séparés de l'Église de Rome. Eh bien, ils sont restés si fidèles à la tradition qu'aujourd'hui, ils ont bien pensé à ouvrir le sacerdoce aussi aux femmes! (4)

Le plus fervent partisan du développement du dogme a été Vincent de Lérins (Ve siècle), rappelée par le Pape dans son discours (5). Peut-être serait-il utile de reprendre la citation complète (Commonitorium, ch 23 [n. 29]). Après avoir décrit les lois du développement dans le monde de la nature, Saint Vincent déclare:

Ita etiam christianae religionis dogma sequatur has decet profectuum leges, ut annis scilicet consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate, incorruptum tamen inlibatumque permaneat et universis partium suarum mensuris cunctisque quasi membris ac sensibus propriis plenum atque perfectum sit, quod nihil praeterea permutationis admittat, nulla proprietatis dispendia, nullam definitionis sustineat varietatem.

Le dogme de la religion chrétienne a besoin lui aussi de suivre ces lois de développement: c'est-à-dire qu'il doit se consolider avec les années, se dilater avec le temps, grandir avec l'âge, mais rester dans tous les cas intègre et intact, accompli et parfait dans la proportion de toutes ses parties et, pour ainsi dire, dans tous ses membres et tous ses sens; et qu'il ne doit pas non plus admettre un quelconque changement ni subir aucune perte de sens ni la moindre variation dans ses contours».

Ce n'est pas la première fois que le Pape François "coupe" Saint Vincent de Lérins. Il l'avait déjà fait dans Evangelii Gaudium à la note 45, où, reprenant un passage du discours de Jean XXIII pour l'ouverture du concile Vatican II ( («Est enim aliud ipsum depositum Fidei, seu veritates, quae veneranda doctrina nostra continentur, aliud modus, quo eaedem enuntiantur»), il avait négligé la phrase «eodem tamen sensu eademque sententia», qui est une expression paulinienne (1 Cor 1:10), utilisée par Saint Vincent de Lérins, à son tour reprise par le Concile Vatican I (6)

Le fait d'insister sur un aspect, en négligeant l'aspect opposé, ou si l'on veut complémentaire, est une caractéristique du discours du 11 octobre. Alors que chez les deux Pontifes cités plus haut, Jean XXIII et Jean-Paul II, les deux préoccupations étaient présentes - celle de garder intact le dépôt de la foi et celle de permettre que ce dépôt soit compris par les hommes de notre temps et d'exprimer aussi ses potentialités implicites - on a l'impression que le Pape François se préoccupe exclusivement de ce second aspect. Entre les deux verbes qu'il a mis en évidence - «conserver» et «poursuivre» - l'accent mis sur le second est clair. Et même, le problème de la mise à jour du langage, qui avait joué un rôle si important dans le discours inaugural du Concile, semblerait fortement réduit:

Il ne suffit donc pas de trouver un langage nouveau pour exprimer la foi de toujours. Face aux nouveaux défis et perspectives ouvertes devant l’humanité, il est nécessaire et urgent que l’Eglise expose la nouveauté de l’Evangile du Christ, contenue dans la Parole de Dieu, mais pas encore mise en lumière.

Ce qui est une vérité sacro-sainte, qui trouve son fondement dans la constitution apostolique Fidei depositum, avec laquelle Jean-Paul II approuvait le Catéchisme; mais ce qui frappe, c'est l'accent mis sur cet aspect au détriment de l'autre aspect - celui de la garde du dépôt - qui est également présent dans ce document. Cette insistance, conjuguée à d'autres indices, ne peut que faire surgir le soupçon qu'on se prépare à une «mise à jour» du magistère précédent. Un «groupe de recherche» sur Humanae vitae a déjà été constitué pour «écarter de nombreuses lectures partielles» de l'encyclique (7). Il semblerait aujourd'hui que l'on veuille aussi procéder à une révision du Catéchisme. Dans le discours du 11 octobre, il est question d'un point spécifique, la peine de mort; mais on dirait qu'il s'agit d'un prétexte (l'exposé sur la peine de mort avait déjà été révisé lors de la publication de l'édition latine typique en 1997). Le soupçon effleure qu'on veut commencer par là, puis procéder à d'autres changements, qui ont déjà été demandés par certains groupes (par exemple sur l'homosexualité). La publication d'une nouvelle édition du Catéchisme (8) - accompagnée d'un commentaire théologico-pastoral - est une initiative plutôt suspecte, non pas tant, ou pas seulement pour les commentateurs qui ont été choisis, mais aussi pour l'idée même du commentaire: estt-il vraiment nécessaire de commenter un catéchisme? N'est-il pas déjà assez clair en soi? Ou ne veut-on pas procéder plutôt à sa «réinterprétation»? Le Catéchisme devrait-il être relu à la lumière d'Evangelii gaudium et d'Amoris laetitia?

Enfin, j'espère que ce qui se passe dans le domaine liturgique ne se produira pas à propos du Catéchisme. Durant le Pontificat de Jean-Paul II, on s'était peu à peu dirigé vers une certaine centralisation liturgique, en ce qui concernait les traductions. Aujourd'hui, avec la publication du Motu Proprio Magnum Principum, on est revenu à la situation précédente: chaque compétence en matière de traduction est laissée aux conférences épiscopales nationales (voir querculanus.blogspot.com)
Eh bien, dans le domaine de la catéchèse, il s'est produit quelque chose de semblable. Le Concile n'avait pas demandé la rédaction d'un nouveau catéchisme pour remplacer celui du Concile de Trente; il s'était limité à prévoir la préparation d'un "Directoire pour l'éducation catéchétique du peuple" (Christus Dominus, n. 44), chose qui fut réalisé en 1971 (la deuxième édition du Directoire fut publiée le même jour que la promulgation de l'édition typique du Catéchisme le 15 août 1997). L'élaboration des catéchismes était donc laissée à l'initiative des Conférences épiscopales qui, dans la période qui a suivi le Concile, se sont activées pour la publication de catéchismes nationaux pour différents groupes d'âge. Un effort énorme, mais les résultats furent plutôt décevants; à tel point que les évêques réunis dans le Synode extraordinaire de 1985 demandèrent au Pape de préparer un seul catéchisme pour toute l'Église; une demande qui fut rapidement accordée avec la publication du Catéchisme de l'Église catholique en 1992. Une fois publié le catéchisme universel (qui a été un énorme succès, pas seulement éditorial), les catéchismes locaux ont perdu toute importance jusqu'à pratiquement disparaître. Il est évident que, pour les champions de la décentralisation ecclésiale, la publication du Catéchisme était un échec qu'ils n'ont jamais digéré. Maintenant que nous sommes dans une phase de revanche, il ne serait pas surprenant que certains veuillent, moyennant quelque stratagème, mettre de côté le Catéchisme de l'Église catholique, pour revenir au bon temps des catéchismes nationaaux, où il était à l'évidence plus facile d'adapter la doctrine aux besoins du monde d'aujourd'hui.

Notes de traduction


(1) Ici ma traduction: benoit-et-moi.fr/2016/actualite/amoris-laetitia-et-le-changement-de-paradigme

(2) Ma traduction: benoit-et-moi.fr/2016/actualite/la-revolution-pastorale

(3) fr.wikipedia.org/wiki/église_vieille-catholique

(4) Voir à ce sujet: www.lepoint.fr/monde/italie-maria-vittoria-longhitano-premiere-femme-pretre-en-italie..

(5) « Mais peut-être dira-t-on : N'y aura-t-il alors, dans l’Eglise du Christ, aucun progrès de la religion ? - Certes, il faut qu'il y en ait un, et considérable ! Qui serait assez ennemi de l'humanité, assez hostile à Dieu, pour essayer de s'y opposer ? »

(6) Voir la citation complète ici: benoit-et-moi.fr/2016/actualite/amoris-laetitia-tout-etait-dans-evangelii-gaudium

(7) Voir ici: fr.radiovaticana.va et ici: fr.zenit.org
Et aussi, sur ce site: Humanae Vitae dans l'oeil du cyclone (les révélations de Roberto di Mattei le 19 juin dernier)

(8) Voir l'annonce sur le site du Conseil Pontifical pour la promotion de la Nouvelle Evangélisation