Benoit-et-moi 2017
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Benoît XVI écrit au Cardinal Müller

Pour terminer l'année en beauté, la magnifique préface de l'Emérite au livre collectif publié pour le 70e anniversaire du cardinal (31/12/2017)

Le Saint-Père déroule pour nous le livre de ses souvenirs personnels en retraçant les étapes de sa collaboration avec le cardinal Müller. Avant d'évoquer de façon un peu plus qu'allusive les conditions de sa mise à l'écart de la CDF. Au point de permettre à Riccardo Cascioli, qui introduit la lettre, publiée en exclusivité sur <La Bussola>, de titrer "Te chasser fut une erreur".
Certes, Benoît XVI ne le dit pas, et je le respecte trop pour le dire à sa place- mais d'autres le diront, et ce ne sera pas forcément pour l'instrumentaliser à leur profit: on peut parier que cette lettre, longuement méditée, va faire grincer quelques dents .

Une petite note en passant: il est piquant de constater, même si c'est probablement un hasard, que la lettre est datée de la fête liturgique du fondateur de la Compagnie de Jésus!

Cher Müller, te chasser fut une erreur
Signé: Benoît XVI

31 décembre 2017
www.lanuovabq.it
Ma traduction

Le cardinal Gerhard Ludwig Müller unit à la «compétence théologique» cette «sagesse» nécessaire chez personnes qui doivent prendre des décisions dans l'Église. C'est ce qu'écrit le Pape émérite Benoît XVI dans la préface du livre publié aujourd'hui en Allemagne pour célébrer le 70ème anniversaire de l'ancien Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. «Le Dieu Trinitaire - La foi chrétienne à l'époque séculière», tel est le titre de l'ouvrage qui recueille les contributions d'autres évêques et théologiens. Dans la préface (que nous présentons ici dans son intégralité), Benoît XVI tisse les louanges du cardinal Müller et souligne la consonance théologique qui l'unit à lui, en soulignant combien il est imprudent de l'avoir congédié. D'autant plus, observe le pape émérite, que le cardinal Müller n'a rien fait contre le pape François, loin de là. Benoît XVI répète ainsi avec le Cardinal Müller cette défense publique qu'il avait déjà exprimée pour le Cardinal Robert Sarah, lui aussi mortifiée et mis à l'écart par le Pape François. A noter également la coïncidence temporelle: l'écriture de Benoît XVI porte la date du 31 juillet, un mois exactement après la non-confirmation du Cardinal Müller.
(Riccardo Cascioli)


Eminence, cher confrère,

Ton 70e anniversaire approche, et bien que je ne sois plus en mesure d'écrire une véritable contribution scientifique pour le recueil d'analyses qui te sera consacrée pour cette occasion, je voudrais y participer malgré tout avec un mot de salutation et de remerciement.

Vingt-deux ans se sont écoulés depuis que tu m'as offert ton Katholische Dogmatik für Studium und Praxis der Theologie en mars 1995. Ce fut pour moi à ce moment-là un signe encourageant que même dans la génération théologique post-conciliaire, il y avait des penseurs avec le courage d'aborder la totalité, c'est-à-dire de présenter la foi de l'Église dans son unité et son intégralité. En effet, tout comme l'exploration des détails est importante, il n'est pas moins important que la foi de l'Église apparaisse dans son unité interne et dans son intégrité, et qu'en fin de compte la simplicité de la foi émerge de toutes les réflexions théologiques complexes. Parce que le sentiment que l'Eglise nous charge d'un fardeau de choses incompréhensibles, qui finalement ne peuvent intéresser que les spécialistes, est le principal obstacle à la proclamation du oui au Dieu qui nous parle en Jésus-Christ. À mon avis, on ne devient pas un grand théologien parce qu'on est capable de traiter des détails minutieux et difficiles, mais parce qu'on est en mesure de présenter l'unité ultime et la simplicité de la foi.

Mais ton Dogmatik en un volume m'a également intéressé pour une raison autobiographique. Karl Rahner avait présenté dans le premier volume de ses écrits un projet pour une nouvelle construction de la dogmatique, qu'il avait élaboré avec Hans Urs Von Balthasar. Ce fait éveilla évidemment en nous tous une soif incroyable de voir ce schéma rempli de contenu et mené à son terme. Le désir d'une dogmatique signée Rahner-Balthasar, qui naquit à cette occasion, se heurta à un problème éditorial. Dans les années 1950, Erich Wewel avait convaincu le père Bernard Häring d'écrire un manuel de théologie morale qui, après sa publication, devint un grand succès. Alors, l'éditeur eut une idée: que dans la dogmatique aussi, quelque chose de semblable devait être fait et qu'il était nécessaire que ce travail soit écrit en un seul volume, d'une seule main. Il s'est évidemment adressé à Karl Rahner, lui demandant d'écrire ce livre. Mais Rahner s'était entre-temps empêtré dans une telle masse d'engagements qu'on ne pouvait pas s'attendre à ce qu'il accomplît une si grande entreprise. Curieusement, il conseilla à l'éditeur de s'adresser à moi qui, au début de mon chemin, enseignai la théologie dogmatique et fondamentale à Freising. Cependant, bien que j'en fusse à mes débuts, j'étais moi aussi impliqué dans de nombreux engagements et je ne me sentais pas capable d'écrire un travail aussi imposant en un temps acceptable. Alors je demandai de pouvoir impliquer un collaborateur - mon ami le père Alois Grillmeier. Dans la mesure du possible, j'ai travaillé sur le projet et j'ai rencontré le Père Grillmeier à plusieurs reprises pour une consultation approfondie. Cependant, le Concile Vatican II requit tous mes efforts, en plus de me demander de réfléchir d'une manière nouvelle à toute l'exposition traditionnelle de la doctrine de la foi de l'Église. Lorsque je fus nommé archevêque de Münich-Freising en 1977, il était clair que je ne pouvais plus penser à une telle entreprise. Quand en 1995 ton livre m'est arrivé entre mes mains, je vis de façon inattendue qu'un théologien de la génération suivant la mienne avait réalisé ce qui avait été souhaité plus tôt, mais qu'il n'avait pas été possible d'accomplir.

J'ai pu ensuite te connaître personnellement, quand la Conférence épiscopale allemande te proposa comme membre de la Commission théologique internationale. Tu t'y distinguas avant tout pour la richesse de ton savoir et pour ta fidélité à la foi de l'Église qui jaillissait de toi. Lorsque le Cardinal Levada quitta son poste de Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi pour des raisons d'âge en 2012, tu apparus, après diverses réflexions, comme l'évêque le plus apte à recevoir cette charge.

Quand j'acceptai cet office en 1981, l'archevêque Hamer - alors secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi - m'expliqua que le Préfet ne devait pas nécessairement être un théologien, mais un sage qui, en abordant les questions théologiques, ne fît pas d'évaluations spécifiques, mais reconnût ce qu'il fallait faire à ce moment pour l'Église. La compétence théologique devait plutôt se trouver chez le secrétaire qui dirige les Consulta, c'est-à-dire les réunions d'experts, qui ensemble donnent un jugement scientifique précis. Mais comme en politique, la dernière décision n'appartient pas aux théologiens, mais aux sages, qui connaissent les aspects scientifiques et, en plus de ceux-ci, savent considérer l'ensemble de la vie d'une grande communauté. Durant les années de mon office, j'ai cherché à répondre à ce critère. Dans quelle mesure j'y ai réussi, d'autres peuvent en juger.

Dans les temps confus que nous vivons, l'ensemble de compétence théologique et scientifique, et de sagesse, de celui qui doit prendre la décision finale me semble très important. Je pense, par exemple, que dans la réforme liturgique, les choses se seraient terminées différemment si la parole des experts n'avait pas été la dernière instance, mais si, en plus, une sagesse capable de reconnaître les limites de l'approche d'un "simple" spécialiste avait jugé.

Au cours de tes années romaines, tu t'es toujours employé à ne pas agir seulement comme spécialiste, mais aussi comme sage, comme père dans l'Église. Tu as défendu les traditions claires de la foi, mais selon la ligne du Pape François, tu as cherché à comprendre comment elles peuvent être vécues aujourd'hui.

Le Pape Paul VI voulait que les grandes charges de la Curie - celle du Préfet et du Secrétaire - ne fussent assignées que pour cinq ans, afin de protéger ainsi la liberté du Pape et la flexibilité du travail de la Curie. Entre-temps, ton contrat quinquennal dans la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a pris fin. De cette façon, tu n'as plus de charge spécifique, mais un prêtre et surtout un évêque et un cardinal ne part jamais en retraite. C'est pour cette raison que tu peux, et que tu pourras aussi à l'avenir servir publiquement la foi, à partir de l'essence intime de ta mission sacerdotale et de ton charisme théologique. Nous sommes tous heureux qu'avec ta grande et profonde responsabilité et le don de la parole qui t'est fait, tu seras aussi présent dans le futur, dans la lutte de notre temps pour une juste compréhension de la condition d'homme et de chrétien. Que le Seigneur te soutienne.

Enfin, je tiens également à exprimer un remerciement tout personnel. En tant qu'évêque de Ratisbonne, tu as fondé l'Institut Papst Benedikt XVI, qui - dirigé par l'un de tes élèves - accomplit un travail vraiment louable pour maintenir publiquement présent mon travail théologique dans toutes ses dimensions. Que le Seigneur te récompense de tes efforts.

Cité du Vatican, Monastère Mater Ecclesiae
31 juillet 2017
Fête de saint Ignace de Loyola

Ton Benoît XVI